Durian SUKEGAWA, écrivain de la délicatesse
Journal du Japon consacre aujourd’hui son portrait d’écrivain à Durian SUKEGAWA. Son nom ne vous dit peut-être rien, mais si on vous dit Les délices de Tokyo, peut-être que cela vous parlera. Avant le magnifique film de Naomi KAWASE, c’est Durian SUKEGAWA qui a écrit le livre. Portrait d’un écrivain qui mêle poésie et délicatesse pour décrire des vies qui passent, de l’enfance à l’âge adulte, de la maturité à la vieillesse.
Né à Tokyo en 1962, Durian SUKEGAWA est un garçon curieux, ce qui l’amène à être diplômé de philosophie, mais également de l’École de pâtisserie du Japon ! Côté carrière, il a d’abord été scénariste, puis a fondé la Société des poètes qui hurlent, mêlant dans des performances troublantes lecture de poèmes et musique punk rock. Il a également animé une émission nocturne à la radio.
Mais c’est ici l’écrivain que Journal du Japon vous présente à travers les trois romans qu’il a écrits : Les Délices de Tokyo, Le Rêve de Ryôsuke (parus aux éditions Albin Michel mais désormais disponible au Livre de Poche) et L’Enfant et l’oiseau, le dernier paru en mai aux éditions Albin Michel. Ces livres ont en commun une délicatesse et une poésie qui parcourent chaque page. Ils mettent en scène des personnages touchants, attachants, qui n’ont pas une vie facile, mais qui cherchent à vivre en harmonie avec le monde qui les entoure, avec tous les êtres vivants qui partagent leur quotidien. Des êtres en marge, mais qui ont un cœur énorme. Amitié, amour, générosité, partage … autant de mots mis en histoires pour le plus grand bonheur des lecteurs !
Les délices de Tokyo : une petite échoppe de dorayaki, beaucoup d’amour !
Nous vous avons déjà parlé de ce livre émouvant, brillamment adapté au cinéma par Naomi KAWASE dans cet article.
Le livre met en scène un trio attachant formé par Sentarô, qui gère tant bien que mal sa petite échoppe de dorayaki, Tokue, la vieille dame aux mains déformées par la maladie, qui arrive dès le matin à l’aube et passe plusieurs heures à préparer la pâte de haricots dans cette minuscule boutique, et la petite lycéenne Wakana, un peu perdue, qui trouve là la chaleur humaine qui manque à son quotidien, et qui se prend d’amitié pour ce duo improbable.
Petit à petit, le passé se dévoile, les souffrances, les blessures de chacun apparaissent par petites touches. Ils apprennent à se connaître, un peu, à partager de beaux moments autour d’une pâtisserie, sous les arbres verdoyants ou les cerisiers qui fleurissent.
Une lecture émouvante, qui incite à aller vers l’autre, au-delà des différences (l’âge, la maladie, les préjugés qui nuisent tellement aux relations humaines), à aimer la vie dans tous ces petits instants merveilleux qu’elle offre, malgré les souffrances, les déchirures, la cruauté ou la bêtise.
Plus d’informations sur le site de l’éditeur.
Le Rêve de Ryôsuke : une île, une nouvelle vie ?
Ryôsuke est un jeune homme qui souffre d’un mal être profond qui remonte à son enfance et à la mort de son père. Il décide d’embarquer pour l’île d’Aburi. Après une tentative de suicide alors qu’il était cuisinier, un travail physique sur un chantier pour apporter l’eau au village de l’île lui paraît une bonne idée pour oublier la vie citadine, et surtout retrouver la trace d’un ancien ami de son père qui pourra peut-être l’aider à comprendre et à avancer.
Mais la vie n’est pas facile sur l’île : les insulaires regardent les trois jeunes étrangers arrivés pour travailler sur le chantier d’un très mauvais œil. Pourtant Kaeru, jeune femme passionnée par la photographie, Tachikawa, jeune homme aux cheveux longs un peu bourru, et Ryôsuke forment un trio gentil qui ne cherche pas les histoires. Malgré les hostilités et les bagarres, ils trouveront sur place quelques véritables amis : Hashi, l’ancien ami du père de Ryôsuke, qui a un temps voulu fabriquer du fromage de chèvre sur l’île, l’institutrice de la seule école de l’île, Toshio le facteur et le président de l’association des résidents, qui essaie de maintenir l’ordre.
C’est une île magnifique mais où la vie est difficile. Pas de boutique, pas d’hôpital, ni de police et encore moins de réseau ! Les livraisons arrivent par bateau, et le plat préféré des insulaires est le ragoût de chèvre (appelée pinza).
Rester ou partir ? Vivre en élevant des chèvres et en tentant de faire du fromage (malgré un climat chaud et humide peu propice) ? Ryôsuke tente d’avancer, de réaliser un rêve … mais quel rêve, le sien ou celui de son père ?
Comme dans les autres livres de Durian Sukegawa, les personnages principaux ont des fêlures, un passé qui les hante. Le lecteur s’attache à eux et les accompagne dans leur quête, leur rêve.
Les paysages sont à couper le souffle, les saisons défilent et on sentirait presque la moiteur sur notre propre peau ! Une île loin d’être le paradis, mais qui remet l’homme à sa place, au milieu des banians et des chèvres sauvages.
« Dans la pénombre, plusieurs puits de lumière se dessinaient.
Il leva la tête, les suivant du regard.
Il en eu le souffle coupé.
Il y avait des arbres géants, pareils à des rochers.
Comme une excroissance du sol, ils étaient recouverts de mousse, et des plantes parasites proliféraient sur leurs troncs tellement énormes qu’il aurait fallu s’y mettre à plusieurs pour les entourer de ses bras. Leur galbe singulier dominait l’espace. Ils n’étaient que bosses, courbures et mousse, parés d’un feuillage massif qui bouchait le ciel et d’une myriade de racines aériennes semblables à des nuages.
Les arbres géants s’alignaient à perte de vue. Dressés en silence les uns à côté des autres, ils dégageaient une aura extraordinaire.
C’était une forêt primaire de banians, la première que Ryôsuke voyait de sa vie. Une existence ininterrompue depuis un millier d’années, en symbiose avec les éléments. C’était l’éternité incarnée.
Ryôsuke était médusé. Il en oublia même, un instant, la chèvre qui le poussait au derrière. »
Un voyage initiatique, un humain en quête d’harmonie, de paix intérieure et de paix avec les autres et la nature.
Plus d’informations sur le site de l’éditeur.
Un auteur qui parle d’humanité, de symbiose entre l’homme et la nature, mais aussi de la difficulté de la vie, humaine comme animale, de nos blessures plus ou moins profondes, qu’il faut tenter de soigner pour avancer.
L’enfant et l’oiseau : une vie de corbeau
« Était-ce l’ouïe ? Ou la vue ?
Il ne se rappelait pas bien par quoi cela avait commencé.
Une myriade d’éclats de lumière, le bruissement des feuilles : voilà les premiers souvenirs de Johnson.
Sous les rayons du soleil, les rameaux du cèdre de l’Himalaya formaient une nuée infinie d’aiguilles qui s’entrechoquaient. »
Tout commence lorsqu’un tout jeune corbeau tombe du nid par un jour de tempête. Ritsuko, femme de ménage et mère célibataire, décide de le ramener chez elle. Pourtant les animaux sont interdits dans son immeuble. Mais elle sent qu’elle a eu raison d’agir ainsi : Son fils de onze ans, Yôichi, se passionne pour cet animal, le soigne, le nourrit … Une véritable amitié se lie entre l’enfant et l’oiseau qui le suit partout dans l’appartement. Malheureusement le responsable de l’association des résidents, accompagné d’une personne de la mairie, entre de force dans l’appartement. Le corbeau que Yôichi a prénommé Johnson (nom figurant sur la boîte de pansements qu’il a utilisés pour le soigner) a juste le temps de s’envoler du balcon.
Il erre alors dans le ciel, chassé par ses congénères car il est faible, maigre, incapable de voler correctement. Il rencontre alors un autre corbeau. Ils volent ensemble, mangent ensemble … Johnson reprend goût à la vie et s’installe dans l’allée des Ormes entre la gare et la grande tour que tous les corbeaux admirent et vénèrent.
« Ensemble, ils contemplaient passants et voitures à travers le feuillage. Cette atmosphère, ce paysage, ce compagnonnage étaient agréables à Johnson. L’autre oiseau semblait partager ce sentiment. Pas une seule fois il n’avait fait mine de lui donner un coup de bec.
Quand ils étaient ainsi perchés ensemble, Johnson voyait une image en lui.
Celle d’un rayon vert.
Au lever du soleil, il arrivait qu’un flash de lumière verte surgisse à l’horizon, juste avant que l’astre émerge. Le rayon vert traversait le ciel au-dessus de la ville, au loin.
Johnson l’avait aperçu quand l’automne avait été bien installé, le vent devenu plus froid.
Le pressentiment d’un commencement.
Voilà ce qu’avait éveillé en lui ce flash de lumière, et ce qu’il ressentait devant son guide.
Alors pour lui, il était désormais Rayon vert.
Les êtres sans nom, Johnson les distinguait suivant l’impression qui leur était attachée. Dans son esprit, cet oiseau était un rayon vert, signe précurseur du renouveau. »
Chacun grandira, vivra entre bonheurs et souffrances. Une cohabitation difficile entre humains, entre oiseaux, entre humains et oiseaux décrite à la fois à travers les yeux de Johnson et ceux de Yôichi, en alternance … Mais toujours au fond des yeux de ces deux êtres qui s’aiment profondément, la beauté d’une relation plus forte que les haines (qui sont par ailleurs très nombreuses dans le livre et parfois d’une violence inouïe : haine d’humains envers d’autres humains, envers les oiseaux, violence gratuite, intolérance à celui qui n’est pas dans les clous, à ce qui « dérange » l’ordre établi).
Un livre doux et amer, tendre et dur, entre amour et cruauté, gentillesse et extrême violence … avec une plume qui distille de la beauté, même au cœur de la noirceur !
La prouesse de l’auteur est de faire entrer le lecteur dans la tête du corbeau, de comprendre ses sentiments, de voir les paysages qui défilent sous ses yeux, d’emmagasiner avec lui les souvenirs les plus beaux ou les plus douloureux.
Se mettre à sa place et sentir la difficulté d’être un oiseau dans un monde d’humains haineux et intolérants, mais aussi voir la beauté de la rosée qui met des perles brillantes partout.
Et pleurer …
Vous ne regarderez plus jamais les corbeaux de la même façon !
Plus d’informations sur le site de l’éditeur.
J’ai beaucoup aimé les 3 livres de Durian Sukegawa. Ils sont empreints d’une sensibilité exceptionnelle. Le dernier est une ode à la Tolérance et à la Liberté et met en exergue ce que nous devons promouvoir : la Culture du Vivant, le respect de la Vie, de la Nature, à commencer par la protection des espèces…
Ce livre m’a ému, en passant par les larmes…