Festival d’Annecy : La lente transition de la japanime
Le Japon était à l’honneur cette année au Festival international du film d’animation d’Annecy avec quatre films en compétition, des événements spéciaux tel que des avant-premières, des conférences et tables rondes. Ce panel a permis d’étudier l’état actuel de la japanimation et de sa diffusion à l’étranger. Parmi cette sélection une tendance apparaît entre, d’un côté, les films d’animation « traditionnels » dans la filiation du travail d’Hayao MIYAZAKI, très enchanteurs et avec pour thème central la nature, et, d’un autre côté, les films de science-fiction réalisés en image numérique accordant plus de place à l’action.
S’échapper du carcan Ghibli
Parmi les différents studios d’animation actuellement en activité, celui qui est le plus fortement exposé à l’influence du maître est, bien sûr, le Studio Ponoc, fondé par des anciens animateurs du Studio Ghibli. Les trois réalisateurs fondateurs du studio étaient à Annecy pour nous présenter leurs derniers films réunis en une anthologie nommée Modest Heroes, consacrée au héros du quotidien. Chaque film possède sa propre vision de l’héroïsme et son propre style d’animation. Hiromasa YONEBAYASHI est assurément celui dont la filiation apparaît la plus flagrante. Réalisateur du précédent film du studio, Marie et la fleur de la sorcière, qui était un véritable « Ghibli-like », le réalisateur a expliqué que cette anthologie de court-métrages se veut être beaucoup plus personnelle. Et cela se ressent dans son film intitulé Kanini & Kanino qui ouvre la projection et pour lequel YONEBAYASHI, récemment papa pour la deuxième fois, s’est posé la question de savoir quel monde il voudrait laisser à ses enfants. C’est par le biais de l’histoire d’une famille de lilliputien vivant sous l’eau et qui doit lutter pour sa survie contre les prédateurs des grands fonds que le réalisateur veut nous faire prendre conscience de la nécessité de respecter la nature sinon elle peut se retourner contre nous, à l’image des nombreux cataclysmes qui frappent le Japon.
Le second court Life ain’t gonna lose réalisé par Yoshiyuki MOMOSE raconte l’histoire d’un petit garçon mortellement allergique aux œufs et réussit le tour de force de saisir en seulement 16 minutes, toutes les difficultés quotidiennes auxquelles va être confronté ce garçon, mais également ses parents et en particulier sa mère. Celle-ci doit fournir une attention constante et être prête à tout lâcher à la seconde près pour sauver son fils. Un très joli drama sur l’amour maternel et les combats du quotidien. Enfin, Akihiko YAMASHITA, a choisi l’histoire d’un salaryman, littéralement, Invisible aux yeux des autres qui finit par avoir l’occasion d’accomplir un acte héroïque en dépit de son « handicap ». Le réalisateur arrive même à nous faire ressentir les émotions d’un personnage qui, physiquement, n’existe pas et nous fournit une très belle scène finale de course poursuite aux allures de sakuga !
A l’instar de Kanini & Kanino, la référence à la nature a beaucoup occupé la sélection japonaise avec une focalisation sur le thème de l’eau qui a rythmé le festival, tantôt nous montrant sa beauté, sa nécessité ou encore, la diversité d’espèces qui y vit.
Pour commencer, le film de Keiichi HARA : Wonderland : le royaume sans pluie, se présente comme un conte initiatique où une héroïne va se retrouver transportée dans un monde parallèle pour y accomplir une quête dont l’objectif final permettra de sauver ce monde et qui, grâce au voyage qu’elle entreprend, mûrira. On suit également en filigrane tout au long du film la question de la rareté de l’eau qui, de par sa disparition, ternit les couleurs flamboyantes de ce royaume parallèle et met en danger la survie de la population. On retrouve ainsi les thèmes de la figure féminine forte et de la question écologique comme pour Princesse Mononoke, le voyage de Chihiro. Néanmoins quelques facilités de scénario et un méchant peu convaincant viendront obscurcir le tableau.
Dans la catégorie « Contrechamps », on retrouve le film d’Ayumu WATANABE véritable ode à la beauté des fonds marins. Les enfants de la mer débute comme une simple aventure estivale adolescente teintée de fantastique et s’achève en trip psychédélique sur fond de questionnement métaphysique. L’animation est sans conteste magnifique, sublimée par la bande originale de Joe HISAISHI (Mon voisin Totoro, Princesse Monoke, Sonatine, Hana-bi, etc), mais le dernier tiers du film pourra paraître peut-être un peu plus abscons à certains.
Il est intéressant de s’arrêter un instant sur la communication menée autour de ces deux films qui se disputent le slogan de « fable écologique ». Il nous paraît important de préciser qu’il ne s’agit, en réalité, en aucun cas du propos principal du film mais plus d’un thème sous-jacent qui suit l’intrigue en filigrane. Toutefois le fait que des films abordent de plus en plus ces sujets, même en surface, est très important. De nombreux enfants vont sûrement aller voir ces films qui feront peut-être germer chez eux le début d’un questionnement sur la soutenabilité de notre monde.
Le dernier film en 2D présenté en compétition cette année est celui de Masaaki YUASA, intitulé Ride Your wave. On quitte cette fois-ci les voyages introspectifs et l’écologie pour garder seulement le thème de l’eau à travers une romance sur fond de surf. Genre assez inhabituel dans la filmographie de YUASA, celui-ci parvient
malgré tout à nous fournir une histoire touchante, que certains pourront juger même presque mièvre, tout en arrivant à traiter le deuil de façon très poétique dans la suite de son film. La présence du fantastique en revanche semble un peu superflue conduisant l’héroïne à trop se reposer dessus dans sa quête d’indépendance.
Enfin, la conférence « Work In Progress » sur le dernier film de Makoto SHINKAI nous en apprend un peu plus sur les thèmes qu’il entend développer dans son prochain film Weathering with you. Le film sera essentiellement centré autour du temps, au sens de la météo, car pour le réalisateur il s’agit d’un thème universel qui parle à tout le monde quelque soit l’endroit où l’on se trouve sur terre. On retrouve encore une fois les thèmes précédemment évoqués qui apparaîtront ici de manière sous-jacente. En effet SHINKAI déclare dans un extrait vidéo projeté à l’occasion du festival : « Vous l’avez sans doute remarquez, mais le temps change depuis quelques années », voulant sûrement nous alerter sur les changements climatiques. Autre thématique récurrente : le film mettra en scène des héros adolescents car pour lui ils sont porteurs d’avenir et de changement et de force de transformation.
Tuer le père : le passage à la 3D
Si les films animés en 2D s’articulent plus ou moins tous autour des thèmes de la beauté de la nature, d’héroïne forte avec pour toile de fond des questions environnementales, il ne s’agit là que d’une partie du paysage actuel de l’animation japonaise puisque l’autre grand pan représenté dans cette sélection nippone à Annecy était celui de la science-fiction avec des films qui se démarquent également par leur technique d’animation reposant sur la 3D et la CGI ( Ndlr : Computer Generated Imagary).
The Relative Worlds de Yuhei SAKURAGI est un très bon exemple de cette amorce de transition dans le paysage de l’animation japonaise. Le réalisateur nous dépeint ici deux mondes parallèles où les incidents dans l’un deux peuvent avoir des répercussions différentes dans l’autre. Des protagonistes pouvant voyager d’un monde à l’autre, cela aurait pu donner de bonnes scènes de tension dramatique et de négociations diplomatiques. Mais le film se perd malheureusement dans tous les clichés surannés du shonen, sans compter la 3D qui vient rendre les mouvements peu fluides et les expressions du visage encore assez rigides. Un pari risqué étant donné que le Japon accuse un sérieux retard par rapport à ses homologues occidentaux dans ce domaine. Un retard qui s’explique par des raisons historiques, bien sûr, comme le rappelait Matthieu PINON lors d’une conférence consacrée à : « l’anime japonais à l’international ». En effet, en 1995 sortait Ghost in the Shell (GITS) au Japon, quand sortait la même année Toy Story aux Etats-Unis, le premier film en 3D/CGI et déjà très fluide. Cet exemple symbolise bien le gap entre les deux pays, que le Japon a toujours du mal à combler. Toutefois, les jeunes animateurs comme YUHEI sont directement formés à la 3D maintenant et on peut envisager un futur où la 3D viendra totalement remplacer la 2D.
Dans la même veine, on retrouve Human Lost de Fuminori KIZAKI, présenté en avant-première lors du festival. A la différence de The relative worlds, Human Lost bénéficie d’une animation 3D plus convaincante puisqu’étant réalisée par le studio Plygones Pictures, bien plus expérimenté que le jeune studio CRAFTAR chargé de The Relative Worlds. Cependant ils pêchent tous les deux par cette manie de présenter un univers intéressant et de ne pas arriver à l’exploiter. Human Lost se veut être une libre adaptation du roman La déchéance d’un homme de Dazai OSAMU dans un univers dystopique Orwellien. On se place dans un monde futuriste où la plupart des maladies ont été éradiquées et le système de soin est accessible à l’ensemble de la population peu importe sa classe. Evidemment la réalité n’est pas si rose que cela et l’on s’aperçoit assez vite que cette illusion de haut niveau de santé générale sert surtout une caste d’élites intouchables, « les qualifiés » , alors que le reste de la société vit dans la pauvreté et la pollution, obligée constamment de porter des masques à gaz. Cette population est également sous contrôle total du système et des élites via les nanotechnolgies auto-soignantes implantées dans leur corps qui fournissent en direct les données sur leur état de santé. Tous les ingrédients sont réunis pour faire un classique de science-fiction mais malheureusement, facilités scénaristiques, incohérences et le peu de développement accordé aux relations entre les personnages ne permettront pas au spectateur de se sentir réellement impliqué, sans compter la bataille finale remplie de clichés.
A l’opposé, on trouve Promare, nouveau projet du studio Trigger, lui aussi traitant de science-fiction mais qui arrive à échapper aux écueils des deux premiers. Coup de cœur de ce festival, il sera difficile de rester objectif sur ce film. La salle était remplie de fans de Kill la Kill et Gurren Lagann, l’ambiance était complètement folle, créant des conditions de visionnages qui ont joué pour beaucoup. Mais la plongée dans le film répond en écho à la salle avec, déjà, le ton décalé de l’œuvre qui sied si bien au studio Trigger et qui permet de ne pas rendre l’avalanche constante de surenchère ridicule. Contrairement aux films précédents qui installaient une ambiance sombre, trop sérieuse et en décalage avec leur final, ici on est dans le pur esprit shonen du dépassement constant servi par une animation colorée et explosive. Le tout saupoudré de dizaines de références, de fan-service, sans que cela ne vienne non plus ternir le propos. Enfin les personnages ne sont pas trop manichéens et la back story du « méchant » convaincante.
C’est quoi la suite?
Alors au final, quel bilan tirer de ce festival et du secteur de l’animation japonaise ? Depuis une vingtaine d’années ce secteur a beaucoup progressé au Japon notamment grâce aux investissements étrangers. Cependant la crise démographique à laquelle le pays fait face actuellement conduit à ce qu’il y ait moins d’enfants pour regarder les grosses franchises qui rapportent beaucoup d’argent et moins d’enfants pour devenir animateurs plus tard. Le Japon doit alors absolument commencer à cibler le marché mondial quitte à même abandonner les animes remplies de références à la culture nippone qui en faisait pourtant tout le charme pour aller vers des thèmes et des genres plus globaux, voire vendeurs, comme la romance et la science fiction. De plus, le poids de la concurrence internationale sur le secteur met une pression énorme sur les acteurs actuels de l’industrie au Japon, noyant la majorité des équipes sous les heures supplémentaires et paupérisant la place du savoir-faire des anciens qui n’a pas le temps de se transmettre. On peut toutefois y objecter la démarche de SHINKAI qui semble avoir trouvé un bon compromis entre culture japonaise et film à portée globale. Enfin, il faudra surveiller Crunchyroll qui de par sa grande notoriété et nombre d’utilisateurs (Ndlr : 50 millions environ) possède une quantité gigantesque de data qui en fait l’un des acteurs les mieux placés du marché pour influer sur le type d’œuvres originales basées sur les goûts des consommateurs. Crunchyroll vient notamment d’ouvrir deux studios à Los Angeles et Tokyo. En attendant, le Japon rentrera bredouille cette année du festival, il faudra néanmoins surveiller les développements du secteur selon les pistes lancées ante, dans les prochains mois et années. Le rendez-vous est donc pris à Annecy pour la suite des aventures !
2 réponses
[…] particulière aux relations entre les animaux et avec Umi et Sora. Comme nous en parlions dans notre article bilan du festival. Les films japonais en compétition cette année, semblaient tous teintés de cet aspect fable […]
[…] que l’édition 2020 Festival International du Film d’Animation d’Annecy ouvre ses portes, nous avons eu l’occasion l’an dernier de voir en avant-première le dernier […]