Keiko NAGITA : aux sources de Candy Candy
Si vous avez 30 ans ou plus, le nom de Keiko NAGITA vous est peut-être familier, puisqu’elle a signé le scénario du manga Candy sous le pseudonyme de Kyôko MIZUKI dans les années 1970. Elle venait nous présenter en mars dernier, à l’occasion du Salon Livre Paris 2019, le récit de la jeunesse et des premiers émois de son héroïne, Candice White, qu’elle retrace en deux romans dont le dernier volume sort ce mois-ci.
L’occasion de dresser le portrait de l’auteure, et d’évoquer avec elle cette saga connue de tous…
Candy Candy, une seconde famille pour son auteure
Kyôko MIZUKI est un des pseudonymes de Keiko NAGITA née le 28 novembre 1949, auteure japonaise, et récompensée par le prix du manga Kōdansha pour le meilleur shôjo, Candy Candy en 1977 avec Yumiko IGARASHI. Pour comprendre l’origine de cette histoire, il faut remonter aux 12 ans de l’auteure : son père meurt cette année là. C’est alors qu’elle crée la famille imaginaire des André (Andrew) pour se soulager de la solitude et écrit ses histoires sur un cahier : « Je sens que la famille André a gentiment pris soin de moi. Les André sont l’origine mon récit ».
Mizuki passe ensuite quelques années comme actrice dans la troupe de théâtre Shiki pendant son adolescence. Au lycée, en classe de première, elle remporte le prix pour un concours de contes dans le magazine pour jeunes filles Jogakusei no tomo des éditions Kôdansha. À l’âge de 19 ans, elle décide de se consacrer au métier d’écrivain. À l’époque elle contribue souvent avec des poèmes au magazine Kōkō bungei, et se fait remarquer par le poète Katsumi SUGAWARA puis rejoint son club de poésie. À l’âge de 20 ans, elle publie en édition privée une collection de poèmes Kaeru.
Dans les années qui vont suivre, elle écrit des contes et des histoires romantiques pour les revues de jeunes filles et l’éditeur Kôdansha revient vers elle et lui propose d’écrire ses histoires pour le magazine Shôjo Friend. Dans les années 1970, elle écrit alors beaucoup d’histoires pour manga sous les pseudonymes d’Ayako Kazu, Akane Kouda, Kyoko Mizuki et Keiko Nagita.
En 1975, arrive finalement l’histoire de la petite fille aux taches de rousseur Candy Candy pour le magazine mensuel Nakayoshi : « J’ai perdu ma mère à l’âge de 21 ans, j’étais alors seule au monde. Écrire cette histoire a soulagé ma douleur ». Néanmoins elle précisera plus tard que « Qui est sa mère n’est pas le thème. Qui que soient vos parents, vous devez accepter votre destin et tenir debout. Je voulais éclaircir cela. J’ai commencé à écrire l’histoire de Candy deux après la mort de ma mère. Mon père est mort alors que j’avais 12 ans, je vivais dans la solitude car je suis fille unique. En faisant une rétrospective, je me rends compte qu’écrire l’histoire de Candy m’a permis de soigner mes peines. »
Le manga est adapté en dessin animé diffusé à la télévision en 1976 par Tôei animation. Depuis, Candy Candy l’a transformée en l’un des plus grands écrivains à succès.
Rencontre avec la charmante Keiko NEGITA
C’est à travers quelques échanges par mail que nous avons ensuite pu échanger avec une scénariste ravie de parler de Candy et de sa propre histoire, même si les deux sont, comme on peut rapidement le constater, très liés…
Journal du Japon : Bonjour Keiko NAGITA, et merci pour votre temps…
Première question : parlez-nous de vous, qu’est-ce qui vous a poussé à devenir scénariste de manga ? En lisiez-vous d’ailleurs dans votre enfance ?
Keiko NAGITA : Bonjour, c’est un honneur de pouvoir vous parler aujourd’hui.
Je suis très heureuse qu’on me pose des questions sur Candy. Merci💛^^💛
Pour répondre à votre première question, j’ai fait mes débuts dans la littérature pour jeunes filles lorsque j’avais 19 ans. Ces nouvelles ont attiré l’attention d’un éditeur de magazine de mangas, qui m’a demandé si écrire un scénario de manga était quelque chose qui m’intéresserait. Lorsque j’étais enfant, j’adorais les œuvres Anne… La maison aux pignons verts, Papa longues jambes, Les Quatres Filles du docteur March, ou encore Le Jardin secret, et c’est parce que je les admirais que j’ai voulu devenir autrice de littérature pour jeunes filles.
A l’époque, je n’étais pas capable d’écrire une histoire qui se déroule à l’étranger et d’en faire un “roman” à proprement parler, mais un scénario de manga, c’était déjà une chose plus facilement réalisable. Dessiner une histoire qui se déroule dans un pays dans lequel je n’avais jamais été s’est avéré extrêmement amusant, et durant ces 10 années pendant lesquelles j’ai écrit pour le manga, j’ai fini par négliger un peu mon activité principale d’autrice de romans ^^;
Ensuite, dites-nous : comment sont nés Candy et son histoire ?
Le rêve de l’éditeur qui m’a proposé d’écrire un scénario de manga était de créer un “shôjo manga centré sur une jeune fille américaine (comme Anne la maison aux pignons verts)”. Moi qui partageais le même rêve, il me répétait “j’aimerais que vous écriviez cette histoire, afin qu’on puisse un jour la mettre en dessin”, j’ai donc réfléchi à la façon de donner naissance à une histoire inédite et ai avancé petit à petit vers pour trouver cette idée.
En effet, les histoires de “jeunes filles occidentales” que je connaissais étaient toutes basées sur des circonstances stéréotypées de “l’orpheline” qui “mène sa vie malgré tout avec force et gaieté”. Je voulais créer une histoire qui ravive ces principes de base, mais je sentais le danger d’en faire une œuvre qui ne se distingue pas des autres pour autant. J’ai collaboré avec plusieurs mangakas au fil des années avant de rencontrer Yumiko IGARASHI.
Pourquoi placer l’histoire entre les Etats-Unis et le Royaume Uni, à la fin du XIXe ?
Comme je vous l’ai dit plus tôt, j’ai pensé naturellement à une héroïne de la même époque qu’Anne… la maison aux pignons verts. Si j’ai choisi l’Angleterre, c’est pour le lien avec la famille André. Et surtout, après la mort d’Anthony, il était important que Candy change de décors pour sa blessure sentimentale.
Quelles ont été vos sources d’inspirations pour le personnage et son histoire ?
Je pense que se sont harmonisées à l’intérieur de moi mes différentes expériences de livres, films, voyages, choses que j’ai vécues ou entendues. Chaque expérience a son utilité.
Il arrive aussi qu’une conversation anodine sème une graine qui germe par la suite.
Par exemple, l’idée des “trois portails” caractéristiques d’Anthony, Alistair et Archibald m’est venue lorsqu’une connaissance m’a parlé du portail d’une résidence visitée lors de son voyage à la campagne (Japon). C’était une immense demeure luxueuse (entourée de nombreux arbres qui la cachaient presque totalement), où s’élevait un portail somptueux de style traditionnel japonais. Et cette personne m’a raconté qu’alors qu’elle était ébahie devant ce portail déjà très impressionnant, elle a fait le tour du terrain et est tombée alors sur un magnifique portail de style occidental encore plus incroyable. Cette histoire a semé une graine dans mon esprit.
D’où vient votre pseudonyme Kyôko Mizuki sous lequel vous êtes scénariste de Candy ?
A cette époque, j’étais publiée dans un magazine de prépublication (Nakayoshi), et avec les histoires courtes en parallèle, j’écrivais beaucoup d’œuvres à la fois. Mon éditeur m’a alors dit qu’il serait embarrassant de voir le même nom d’auteur partout, et j’ai donc pris un nouveau nom de plume chaque fois que j’écrivais plusieurs histoires en parallèle. Mais les publications se sont tellement chevauchées que mon éditeur a rajouté le nom Kyôko MIZUKI en plus des autres. J’ai alors pensé que je n’avais pas besoin d’un énième nom de plume, mais mon éditeur m’a confié que “Kyôko” était le prénom de son premier amour, et j’ai donc accepté ce pseudonyme avec honneur. ^^
Comment expliquez-vous le succès de ce personnage et de son histoire dans les années 70-80 ?
Je ne suis pas sûre.
Mais il est sûrement dû à l’enthousiasme de notre éditeur, les dessins adorables de Mlle Igarashi, et les créateurs de l’anime qui ont travaillé avec beaucoup de ferveur. Peut-être que les fans ont ressenti les efforts combinés de tous ces gens passionnés ?
Je suis reconnaissante qu’on ait eu autant de chance avec ce succès.
Quel est le moment, dans le manga ou l’anime, qui vous a le plus marqué et pourquoi ?
Pour ce qui est de l’anime Candy, je n’ai pas encore vu tous les épisodes (tous les volumes ne sont pas sortis en vidéo, quant aux DVDs, je ne les regarde pas, car il n’existe que des versions pirates.) Mais j’adore la chanson du générique de fin dont j’ai écrit des paroles, “J’aime demain” (“Candy s’endort” en version française, ndt) et je la chante de temps en temps.
Pour ce qui est du manga… comme ce genre de scènes partent de mon esprit pour ensuite être couchées sur le papier, mon manuscrit, aucune en particulière ne me vient en tête. Mais j’ai trouvé les expressions des personnages très vivantes dans le manga.
Notre époque est synonyme d’héroïne forte, guerrière presque, comment Candy peut-elle séduire les jeunes générations selon vous ?
Je pense que, même si les époques ont changé, le cœur même des jeunes est immuable.
Qu’est-ce que cela signifie d’être fort ? Quelle est la définition de “l’homme preux” ?
Ce sont des thèmes que je poursuis.
Candy est une fille qui possède à la fois force et faiblesse. Peut-être même y a-t-il une Candy juste à côté de vous ^^
Je pense que l’on continuera de rencontrer au cœur de chaque histoire des héroïnes à l’âme similaire à celle de Candy.
Pour nous intéresser plus particulièrement au roman, dites-nous en quoi il diffère du manga ou de l’anime que nous connaissons tous en France ?
Le roman de Candy qui est paru aux éditions PIKA raconte les souvenirs de Candy devenue trentenaire. Ce n’est pas la suite de la série, mais il comprend tout de même des éléments dans la continuité. J’ai écrit cette œuvre avec un sentiment de nouveauté, en faisant face à ces personnages qui ont grandi. J’espère qu’elle vous plaira.
Candy est née il y a plus de 40 ans maintenant, a été source de beaucoup de joie pour vous, de souffrance et de conflit aussi… Quel regard portez-vous sur cette jeune fille aujourd’hui ?
En toute honnêteté…
Plus de vingt ans après la fin de cette œuvre, on a prétendu du jour au lendemain que je n’avais pas écrit l’histoire originale et que je n’avais pas de droits d’auteur. De plus, mon nom en tant qu’autrice de l’œuvre originale a failli être effacé des titres Candy, comme si je n’existais pas. Les auteurs d’histoires originales écrivent à chaque fois des dizaines de manuscrits pour espérer voir leur histoire adaptée en manga (dans mon cas, j’en ai écrit environ deux milles). Mais, une fois devenue manga, l’histoire originale n’est plus visible. Le manga devrait pourtant être également l’œuvre de l’auteur à l’origine de l’histoire. Mais ce qui m’a le plus choquée, c’est cette industrie qui a estimé pouvoir supprimer le nom de l’auteur (considéré comme gênant) de l’œuvre originale pour le business de représentation des personnages.
C’est pourquoi j’ai fermement lutté et décidé de protéger ma dignité et le “monde de l’histoire” en faisant “mes adieux au manga”. C’était une expérience difficile, mais je pense que c’est grâce à cette séparation avec le manga que j’ai pu écrire ce roman.
J’ai ainsi pu libérer Candy et ses amis du cadre du manga.
Tout comme j’ai ressenti beaucoup de choses en prenant de l’âge, ces personnages, eux aussi, ont vécu toutes sortes de choses. Ils m’apparaissent très libres et heureux, à présent. Je pense que j’ai réussi (un tant soit peu) à accomplir mon devoir envers eux.
Comme le dit si bien Mademoiselle Pony, “si on tourne au coin de la rue sans avoir peur, on peut y trouver le bonheur”, et je suis très reconnaissante de l’avoir trouvé à mon tour.
💛~~❤
Une très belle conclusion, merci Keiko NAGITA !
Retrouvez les deux tomes de Candy – Candice White l’orpheline en librairie et toutes les informations sur le site internet des éditions Pika, que nous remercions en même temps que l’adorable Keiko NAGITA pour cette interview ! En bonus, voici les premières pages du tome 1 pour vous faire un avis !
Quelle joie que de lire cette interview, grand merci à vous de connaître qui se cache derrière la première histoire qui a probablement le plus marqué ma petite enfance et mon imaginaire de fillette. Je me demandais justement pourquoi le cadre était anglo saxon alors que l’auteur est japonaise, je comprends mieux maintenant. Moins maintenant mais c’est vrai que par le passé les japonais faisaient un complexe occidental.
Je serai intéressée de connaître votre avis d’expert sur cette inspiration occidentale vs des histoires plus nippones. Merci et à vous lire !
Bonjour Laure,
Paul OZOUF, rédacteur en chef. Merci de nous avoir lu ! Alors l’Europe et notamment la France, l’Angleterre , l’Italie et l’Allemagne ont toujours fasciné le Japon surtout lors des périodes fastes et raffinée de leur hautes sociétés, comme la période Louis XIV – révolution chez nous, ou à l’époque Victorienne souvent au Royaume Uni… D’autant plus que, à la différence d’eux, il reste encore beaucoup de vestiges de cette époque chez nous (à Paris on peut citer Versailles, l’Opéra Garnier, le Louvres, …) , là où beaucoup a été perdu chez eux en dehors des Chateaux. Et puis c’est loin et donc c’est exotique donc ça fait rêver… Et ça les fait déprimer parfois, quand ils viennent pour des longs séjours ici… Ils déchantent un peu. Enfin bref, c’est un vaste sujet mais c’est toute une fascination alimentée par la très grande distance qui fait que l’Europe est une source d’inspiration qui dure !
Merci d’avoir partagé votre interview avec nous, en lisant votre article il est fidèle à ce que l’auteur a dit dans son interview donnée à Pika Édition à Paris en mars 2019, j’y étais et j’ai eu la joie de rencontrer Keiko Nagita avec qui j’ai posé pour une photo et qui a signé mon roman, un moment inoubliable.