Guerre du Pacifique : Épisode 2 – Pearl Harbor (partie 2/2)
Dans la première partie qui aurait pu s’intituler « Guerre de résistance en Chine », nous avons abordé la guerre sino-japonaise (1937-1945) où communistes de Mao Zedong et nationalistes de Tchang Kaï-Chek n’ont pas baissé les armes contre l’envahisseur japonais. Une grande partie de la Chine (ports et façade est) a été conquise et le Japon a tenté d’étendre son empire en Mongolie, prolongement naturel après l’invasion de la Mandchourie (1932). A la bataille de Khalkin Gol en 1939, les soviétiques ont réussi à défendre leur protégé et l’URSS a ainsi réaffirmé sa position de grande puissance régionale : un pacte de non-agression nippo-soviétique est alors signé.
Dans cette seconde partie, nous aborderons l’invasion de l’Indochine française et l’élément déclencheur de l’entrée en guerre des États-Unis, l’attaque « surprise » de Pearl Harbor. A la suite de cet épisode, les États-Unis se mobiliseront complètement pour laver l’affront en entrant en guerre, sur le front européen contre l’Allemagne nazi et l’Italie de Mussolini et en Asie contre l’empire du Japon, la guerre du Pacifique.
L’invasion japonaise de l’Indochine française
Le plus beau joyau de l’Empire
L’Indochine française était appelée la « perle de l’empire » : en effet, il s’agissait de la colonie française la plus peuplée et la plus riche. Fondée en 1887, elle regroupe plusieurs territoires conquis au fil de l’expansion de la France en Asie orientale : la colonie de Cochinchine (1862), le protectorat du Cambodge (1863), les protectorats de l’Annam (1884) et du Tonkin (1884), du protectorat du Laos (1893) et du territoire à bail chinois de Kouang-Tchéou-Wan (1898).
L’Indochine est riche en matières premières (caoutchouc, charbon, riz…) mais n’est pas une colonie de peuplement comme cela fut le cas en Algérie notamment : on comptait environ 30 000 colons, fonctionnaires ou militaires de la métropole pour une population totale de 20 millions d’Indochinois soit moins d’1%. C’est d’ailleurs ce qui explique que les territoires ne sont pas administrés directement par la France qui laisse les monarchies locales en place.
La colonisation de l’Indochine s’accompagne d’une politique de grands travaux jusqu’aux années 1930 pour établir des infrastructures de transport modernes. A noter la ligne de chemin de fer de l’Indochine et du Yunnan reliant Haïphong (Tonkin) à Kunming (province du Yunnan en Chine) de 2 767 km. Des hôpitaux, dispensaires et infirmeries sont créés et des campagnes de vaccination massive et le progrès de la médecine réduisent les épidémies (variole, peste, paludisme, choléra…). La France investit aussi dans l’enseignement : l’université indochinoise à Hanoï est créée en 1907 et devient le lieu de formation des cadres administratifs indigènes. Fortement inégalitaires avant la colonisation, les sociétés indochinoises le resteront dans le système colonial. L’histoire du pays a peu de place dans la mémoire collective en France si ce n’est l’épisode de la décolonisation et la fameuse bataille de Diên Biên Phu lors de la guerre d’Indochine contre les troupes communistes vietnamiennes du Viêt Minh.
La France défaite et le régime de Vichy
Retour en Europe avec le début de la Seconde Guerre mondiale. Après l’invasion de la Pologne en , la France et le Royaume-Uni déclarent la guerre à l’Allemagne en vertu d’un traité d’assistance mutuelle qui les liait avec la Pologne attaquée. Adoptant une stratégie défensive, les 2 alliés abandonnent la Pologne prise en étau par les troupes allemandes et soviétiques. En effet, le L’armée polonaise est écrasée avant la fin du mois de septembre. L’Armée rouge attaque la Finlande le . Face à une résistance finlandaise particulièrement vigoureuse, l’union soviétique subit de lourdes pertes. La Guerre d’Hiver dure jusqu’au Avec le traité de Moscou, l’URSS obtient l’annexion de la Carélie dont l’isthme protège l’accès à Léningrad (Saint-Pétersbourg) ainsi que plusieurs îles du golfe de Finlande.
Les troupes françaises attendent les Allemands derrière la ligne Maginot, fortifications tout le long des frontières. Aucun camp ne prend l’initiative de l’attaque sur le front de l’Europe de l’ouest et il ne se passe rien pendant plusieurs mois, d’où le surnom de « drôle de guerre ». Français et Britanniques pensent que le temps joue en leur faveur, leur permettant ainsi de rattraper leur retard sur l’effort d’armement. A cela s’ajoute le fait que l’Allemagne a des ressources plus limitées car elle ne dispose pas d’un vaste empire colonial comme la France ou le Royaume-Uni. Un blocus maritime est aussi pratiqué en vue d’accélérer l’effondrement en ressources de l’Allemagne.
Le 10 mai 1940, les troupes allemandes attaquent la Hollande et la Belgique, pays neutres. Les armées franco-anglaises stationnées dans le Nord vont au combat. Cette offensive n’est qu’une diversion, la réelle percée est dans les Ardennes en direction de la Meuse, faiblement défendue car le massif était considéré comme un obstacle naturel trop important rendant impossible toute attaque ennemie. La « guerre éclair » (Blitzkrieg) donne la victoire à Hitler et humilie la France défaite en 1 mois seulement. Dès le 13 mai, les divisions blindées (Panzerdivisionen) franchissent la Meuse à Sedan, Givet et Dinan. Les troupes motorisées allemandes s’engouffrent dans la brèche et foncent en direction de la Somme . La route de Paris est ouverte. En 5 jours, l’armée allemande a réussi à percer une défense jugée inviolable ! La Somme est atteinte le 20 mai, la Manche (Boulogne) le 22 mai. Les troupes allemandes sont à Rouen dans la Seine le 9 juin. Déclarée ville ouverte, Paris tombe sans combat le 14 juin. Après la débâcle française face à l’armée allemande, l’exode commence : des millions de personnes fuient l’avancée de la Wehrmacht.
Le gouvernement français a quitté la capitale dès le 11 juin et se trouve à Bordeaux le 14 juin. Le 16 juin, le président du Conseil Paul Reynaud donne sa démission au président Lebrun qui appelle le maréchal Pétain pour le remplacer. L’armistice est signé à Rethondes le 22 juin, dans le wagon même où avait été signée la capitulation de l’Allemagne en 1918. La France est désarmée et divisée en 2 parties : les 3/5 du territoire est en zone d’occupation et le reste est séparé par une ligne de démarcation et constitue la zone libre. Le 10 juillet 1940, l’Assemblée nationale donne les pleins pouvoirs constituants à Pétain. Le régime de Vichy assure le gouvernement de la France en zone libre jusqu’à la libération en 1945. Refusant l’arrêt des combats, le général de Gaulle fait un appel à la résistance le
L’Indochine sous le régime de Vichy et l’invasion japonaise
Courant juillet 1940, le prince Konoe, descendant du puissant clan Fujiwara, revient au pouvoir grâce à l’appui des militaires. Lors de son premier mandat de Premier ministre (juin 1937-janvier 1939), c’était lui qui avait recommandé l’invasion de la Chine et qui, avec son gouvernement, avait promulgué la « Loi sur la Mobilisation nationale » en 1938 accordant un budget illimité à la fabrication d’armements, limitant les libertés démocratiques (en contrôlant les syndicats notamment) et en nationalisant les principales industries et les médias. Il s’agit de l’un des principaux théoriciens de l’expansionnisme du Japon avec les ouvrages de propagande « Les Fondements de la politique nationale » (Kokutai no hongi) en 1937 et « La Voie des sujets » (Shinmin no michi) en 1941. C’est Konoe qui a promis de construire la Sphère de co-prospérité de la grande Asie orientale. Pour mener son projet, il choisit comme ministre de l’Armée le général Hideki Tōjō et Yōsuke Matsuoka aux Affaires étrangères, deux bellicistes notoires. Konoe donne un délai de 12 mois à l’armée et à la marine pour être prêt à entrer en guerre contre les États-Unis et le Royaume-Uni, obstacles au « nouvel ordre » souhaité en Asie.
Le Japon est en guerre contre la Chine depuis 1937 et la résistance des armées de Tchang Kaï-Chek continue malgré les assauts de l’envahisseur et la propagande du régime collaborateur de Wang Jingwei. Les résistants sont notamment ravitaillés par la voie ferrée du Yunnan, qui passe par Haïphong dans le Tonkin, au nord de l’Indochine. Les Japonais mettent de plus en plus la pression sur la France pour que cessent ces ravitaillements. Avant le début de la guerre en Europe, le gouvernement français s’était engagé à ne pas permettre le transit de matériel militaire vers la République de Chine. La défaite française de juin 1940 ouvre une brèche. La France a perdu son lustre d’antan et son aura de grande puissance et Tokyo ne se prive pas d’en profiter pour imposer dès juillet 1940 au gouvernement de Vichy la fermeture du chemin de fer du Yunnan. Loin de la métropole, l’amiral Decoux tente d’entretenir les relations diplomatiques avec les Japonais et de résister aux pressions japonaises mais il sait qu’il n’a que très peu de moyens militaires sur place, insuffisants pour résister à une agression étrangère et juste assez de forces de sécurité pour maintenir l’ordre intérieur.
Le 30 août, Vichy signe donc sans surprise un accord de principe avec les Japonais, reconnaissant la position privilégiée et les intérêts du Japon en Extrême-Orient. Les commandements militaires des 2 pays doivent rapidement régler les modalités pratiques de l’accord politique. La France retarde l’échéance et Tokyo réagit le 19 septembre en envoyant un ultimatum exigeant la signature d’une convention avant le 22 septembre à minuit. Un accord est conclu in extremis le 22 à 15h et prévoit de mettre à disposition des Japonais 3 aérodromes dans le Tonkin, proche de la Chine et le droit de passage de 6 000 soldats de l’armée impériale à passer par le Tonkin. Malgré cela, l’armée japonaise du Guandong passe brutalement à l’offensive. 25 000 soldats envahissent le nord de l’Indochine. La France ne peut aligner que 5 000 hommes. Pendant 4 jours, les combats ont lieu autour de Lang Son, à 40 km de la frontière chinoise. La ville tombe le 26. La presqu’île de Do Son au sud de Haïphong est bombardée. Des troupes japonaises débarquent sur la plage de Dong Tac et marchent sur Haïphong. Un cessez-le-feu est ordonné et Decoux est forcé d’accepter la défaite et d’autoriser les Japonais à stationner à leur guise. Ils s’installent à Hanoï et Haiphong. Le Japon s’engage néanmoins à respecter la souveraineté française en Indochine. Le 5 octobre, les prisonniers français sont libérés. Les Japonais permettent également aux Français de reprendre l’administration de la province de Lạng Son. Une collaboration avec le Japon se met ainsi en place en Indochine, sur le modèle du régime de Vichy avec l’Allemagne nazi.
La guerre franco-thaïlandaise (1940-1941)
En 1932, un coup d’État éclate au royaume de Siam. Le maréchal Plaek Pibulsonggram dit Phibun est Premier ministre en 1938 et fait changer le nom du royaume pour celui de Thaïlande, « la terre des Thaïs » et met en place en place sa dictature militaire (1938-1944 et 1948-1957). Il aspire à redonner à son pays l’éclat qu’il avait jadis où l’empire siamois partageait avec la Chine la péninsule indochinoise. L’arrivée de la France avait fait basculer les rapports de force et le royaume du Cambodge s’était émancipé de la tutelle de son puissant voisin en 1863 en signant avec la France un traité de protectorat. La France battue par l’Allemagne en juin 1940 et l’invasion japonaise de l’Indochine en septembre réveillent ainsi les ambitions thaïlandaises. Après des manifestations nationalistes et anti-françaises à Bangkok, la capitale thaïlandaise, des escarmouches éclatent le long du fleuve du Mékong et sur la frontière cambodgienne. Les villes de Ventiane et Thakkeh au Laos, Siem-Reap et Battambang au Cambodge sont bombardées de jour par l’armée thaïlandaise qui souhaite reconquérir les provinces qui ont été rattachées au Cambodge et se venger du rattachement du Laos à l’Indochine française. Le 17 janvier 1941, la marine française attaque les navires thaïlandais à Koh Chang, dans le golfe de Thaïlande et une bonne partie de la flotte de guerre thaïlandaise est ainsi détruite. L’aéroport de Siem-Reap est atteint par un raid aérien le 24 janvier. Le Japon qui souhaite s’assurer la future collaboration militaire de la Thaïlande intervient en médiateur dans le conflit et impose dans un ultimatum la signature d’un armistice qui sera proclamé le 28 janvier. Sous la contrainte japonaise, la France signe le 9 mai un traité de paix avec la Thaïlande où elle lui cède les provinces de Battambang et Siem-Reap au Cambodge, de Champassak et Sayaburi au Laos.
Pearl Harbor et l’entrée en guerre des États-Unis
L’isolationnisme américain et un pays mal préparé pour la guerre
Les États-Unis se montrent détachés des problèmes internationaux. Il faut dire que les Américains se sentent loin des événements en Europe et en Asie, protégés par les océans Atlantique et Pacifique. Leur pacifisme et anti-colonialisme ne les impliquent pas directement dans la Seconde Guerre mondiale. Si les États-Unis étaient intervenus lors de la Première Guerre mondiale, c’était avant tout en réaction à la guerre sous-marine déclenchée dans l’Atlantique par l’Allemagne. La crise a durement frappé le pays en 1929. Le président Roosevelt depuis 1933 a la priorité de remettre en ordre l’économie américaine. Malgré les périls qui se lèvent en Europe (nazisme) et en Asie (impérialisme japonais), l’opinion publique demeure hostile à toute aventure guerrière.
L’armée de terre compte à peine 190 000 soldats à laquelle on peut ajouter 200 000 hommes de la Garde nationale. L’armement date : le fusil Springfield remonte à 1903 ; les armes automatiques, fusils mitrailleurs et mitrailleuses ont fait la Première Guerre mondiale. L’artillerie en est encore largement au canon de 75mm français de 1897. Le matériel moderne commence seulement à apparaître. La production du fusil Garand M1 commence en 1936 et sera remarquablement fiable lors du second conflit mondial. Ce n’est pas mieux du côté de l’armée de l’air : au début de 1941, les moyens aériens sont modestes ou vétustes. Le chasseur monomoteur Curtiss P/40 Warhawn se révélera inférieur aux appareils japonais. Les États-Unis n’ont que quelques dizaines de bombardiers B/17. L’armée de l’air américaine est bien équipée avec son bimoteur de transport qui entrera dans la légende, le Douglas C/47 Skytrain (DC/3). La marine fait meilleure figure. Pour la bonne raison, que les États-Unis doivent contrôler les mers pour assurer leur sécurité et leur commerce. L’outre-mer (Philippines, Caraïbes et Hawaï) impose aussi la présence d’une flotte. C’est pour ces raisons que les Américains ont défendu leurs intérêts en s’accordant lors du traité de Washington en 1922 le meilleur tonnage devant la Grande-Bretagne et le Japon. En théorie, les États-Unis sont devant ces puissances. Le Japon a dénoncé le traité en 1934 et au fil des années, le retard s’est accumulé. En 1939, la marine américaine totalise 1,2 million de tonnes de bâtiments en services, soit environ 80% de la marine britannique. Sa force repose essentiellement sur ses cuirassés et ses destroyers et seuls 4 porte-avions sont opérationnels : les Lexington, Saratoga, Enterprise et Yorktown. Enfin, il existe aussi le Marine Corps créé en 1775, troupe d’élite qui s’est illustré en France en 1918. En 1939, il ne compte plus que 15 000 hommes et s’est spécialisé dans le débarquement amphibie.
Faiblement armés, les États-Unis sont pourtant la première puissance économique mondiale. Ce pays de 131 millions d’habitants est riche en matières premières (charbon, pétrole, fer, fonte, acier, aluminium) et possède une puissante industrie qui fournit le monde en machines et en biens d’équipement, loin devant l’Allemagne, l’URSS, la Grande-Bretagne et la France. Curieusement, l’Allemagne et le Japon semblent sous-estimer le potentiel américain… La défaite française est un avertissement pour Roosevelt : si l’armée qui passait pour être la première du monde est tombée en 6 semaines seulement, cela signifie que Hitler dispose d’une puissance redoutable. En juillet 1940, il obtient ainsi du Congrès 4 milliards de dollars de budget pour la Défense, puis 5,25 en septembre. Cet argent servira à soutenir la Grande-Bretagne et à la construction accélérée de nouveaux cuirassés et porte-avions. Les Américains sont prêts à entretenir 2 flottes, l’une dans l’Atlantique contre l’Allemagne et l’autre dans le Pacifique contre le Japon. A la veille de Pearl Harbor, la flotte du Pacifique est presque au niveau de celle des Japonais :
Japon | États-Unis | |
Cuirassés
Porte-avion Croiseurs Destroyers Avions |
11
11 34 110 1 250 |
10
4 35 90 1 110 (souvent périmés) |
Source : « La Grande Histoire de la Seconde Guerre mondiale – de l’invasion de l’URSS à Pearl Harbor » de Pierre Montagnon – Chapitre 17 : Une grande puissance mal protégée (p243)
Pour rattraper son retard sur le Japon en ce qui concerne les porte-avions, 11 bâtiments de type Essex sont en construction. Il faudra attendre tout de même 2 ans avant qu’ils ne prennent la mer. Quant à l’aviation, les usines américaines tournent essentiellement pour les commandes franco-anglaises jusqu’en juin 1940 et accélèrent le rythme pour répondre aux besoins anglais au second semestre. Avec seulement 190 000 hommes, l’armée de terre est incapable d’effectuer des missions d’interventions. Fin juin 1940, elle en compte 375 000. Le 16 septembre, après le vote favorable des 2 chambres, le président américain signe le Selective Service Act (Loi sur le service militaire sélectif). Il mobilise ainsi immédiatement pour 1 an 800 000 Américains parmi les 16 millions de mobilisables. En 1941, l’armée de terre compte ainsi 1 400 000 hommes à entraîner et à équiper. En cas de déclaration de guerre contre l’Allemagne ou contre le Japon, un plan de mobilisation de 8 795 000 hommes est prévu. Les États-Unis préparent la guerre. Si les achats au titre de la Défense représentaient 1,32% du PNB en 1939, il est prévu dans l’optique d’une guerre inévitable qu’ils passent à 31,17% du PNB en 1942, soit d’1,2 milliards de dollars à 49,4.
Vers Pearl Harbor et le compte à rebours japonais
Face à l’impérialisme japonais, Roosevelt décide de porter un coup sévère au Japon. Le 26 juillet 1940, il prend 2 décisions : le gel des avoirs japonais aux États-Unis et la limitation des exportations. Ainsi, 135 milliards de dollars se trouvent bloqués. Les importations japonaises chutent de 80%. Pétrole, fer, zinc blé et coton sont sévèrement contrôlés. La Grande-Bretagne et les Indes néerlandaises suivent aussi l’embargo. Privé de ses approvisionnements vitaux, le Japon se retrouve face à un choix : négocier avec les Occidentaux et abandonner son impérialisme ou s’engager précipitamment dans la guerre et occuper les territoires par la force pour leurs ressources. Chaque jour, les Japonais se retrouvent à prélever 12 000 tonnes d’hydrocarbures sur leurs réserves pour faire tourner leurs industries et approvisionner leur armée engagée en Chine notamment.
Réunion de crise au Japon : membres du gouvernement et chefs militaires se réunissent à Tokyo le 3 septembre. Le Premier ministre Konoe réclame des délais pour négocier avec les États-Unis. Amiraux et généraux sont pressés et exigent des actes : « Pour la défense et la pérennité de notre Empire, nous allons parachever nos préparatifs de guerre ; les tractations politiques ne pourront se prolonger au-delà du 10 octobre. Nous sommes résolus, s’il le faut, à soutenir une guerre contre les États-Unis, la Grande-Bretagne et les Pays-Bas. » Le 6 septembre, une conférence se tient au palais impérial. Il est question du recours aux armes, de l’établissement d’un ordre nouveau sans oublier l’incertitude d’une victoire finale. Loin de cette frénésie guerrière, l’empereur Shōwa intervient exceptionnellement, rompant avec la tradition, en récitant ce poème composé par son grand-père Meiji :
Toutes les mers sont sœurs.
Pourquoi donc les tempêtes et les vagues se querellent-elles avec rage de par le monde ?
Cet appel à la paix déguisé sous la forme d’une allégorie poétique n’est pas écouté et n’aura pour effet que de reporter la date butoir au 15 octobre. Le 18 septembre, Konoe échappe à une tentative d’assassinat et souhaite rencontrer Roosevelt pour empêcher l’embrasement. Le président américain est indécis. Son attention se porte sur l’Allemagne qui torpille avec ses sous-marins U-Boot les destroyers américains Green, Kearny et Reuben. Face au silence américain, Konoe a perdu son pari de rencontrer Roosevelt pour négocier. La date de l’ultimatum passée, Konoe doit céder sa place à son ministre de la Guerre, le général Tōjō. Les bases du Pacifique sont mises en « alerte de guerre » et une attaque japonaise contre la Russie, les colonies britanniques ou hollandaises est envisagée. Le 3 novembre, le plan de l’amiral Yamamoto d’attaque sur Pearl Harbor est approuvé par l’Empereur et le haut commandement. Simultanément, le Japon tente un ultime effort pour la paix avec ses diplomates à Washington, Kichisaburō Nomura rejoint par un envoyé spécial Saburō Kurusu, ancien ambassadeur à Berlin. Début novembre, un premier plan est présenté et prévoit de régler le conflit sino-japonais par le retrait des troupes japonaise en Indochine et dans le sud de la Chine mais avec l’occupation pendant 25 ans au moins du nord de la Chine, la Mongolie et Hainan. Face au refus, un nouveau plan est remis le 20 novembre. Les plans japonais sont refusés car ils reviendraient à laisser les mains libres au Japon en Chine et à abandonner son allié Tchang Kaï-Chek. Le 26 novembre, le gouvernement américain rejette le plan B et émet des contre-propositions dont celle d’un traité de non-agression dans le Sud-Est asiatique avec évacuation de la Chine et de l’Indochine. Conditions inacceptables pour Tōjō ! La voie diplomatique entre Tokyo et Washington a échoué. A la conférence impériale du 1er décembre, le Premier ministre Tōjō met la machine de guerre japonaise en marche
Les événements ont atteint le point où le Japon doit entamer une guerre avec les États-Unis, la Grande-Bretagne et les Pays-Bas pour préserver l’Empire.
L’Empereur n’émet pas d’objection… Dans une semaine, les armes parleront.
« Vent d’est, pluie » – l’attaque « surprise » de Pearl Harbor
Le 26 novembre 1941, la 1ère flotte aérienne japonaise (Kidō Butai) quitte la baie d’Hitokappu, au sud des îles Kouriles. L’amiral Yamamoto a mis les gros moyens : 6 porte-avions (Akagi, Hiryū, Kaga, Shōkaku, Sōryū, Zuikaku), 2 cuirassés, 3 croiseurs, 9 destroyers, 8 pétroliers et 3 sous-marins de protection. A leur bord, 343 chasseurs ou bombardiers Zero, Kate ou Val. L’attaque reposant sur l’effet de surprise, l’armada de la Marine impériale japonaise se dirige vers l’archipel d’Hawaï par le nord en empruntant une route peu fréquentée. Le 1er décembre, l’Empereur a approuvé en conférence impériale la guerre de la Grande Asie orientale et a autorisé le bombardement de Pearl Harbor. Le 4 décembre, les missions diplomatiques japonaises sont averties de l’attaque imminente grâce au bref message codé « vent d’est, pluie » (Higashi no kaze ame) qui signifie crise américano-japonaise. En cas d’attaque contre la Russie, la métaphore climatique aurait été « vent du nord, nuages ». « Vent d’ouest, clair » en cas d’attaque sur la Malaisie et l’Indonésie avec une invasion éventuelle de la Thaïlande. Le 6 décembre, la flotte reçoit l’ordre officiel et définitif d’attaquer Pearl Harbor avec ce message codé : « Gravissez le mont Niitaka » (Niitaka-Yama Noborre). La date est fixée au 8 décembre (dimanche 7 décembre à Washington).
Dans la nuit du 6 au 7 décembre, l’escadre met le cap vers l’île d’Oahu, dans l’archipel d’Hawaï. A Pearl Harbor se trouve alors 91 bâtiments de la flotte américaine du Pacifique. Par chance, les porte-avions Saratoga, Lexington et Enterprise ne se trouvent pas à Pearl Harbor au moment de l’attaque. Vers minuit, les sous-marins se dirigent vers Oahu en mission de reconnaissance. La première vague de 183 avions décolle des porte-avions à 370 km de la base américaine et est conduite par le capitaine de frégate Fuchida. A 7h48, les premiers chasseurs Japonais aperçoivent la rade de Pearl Harbor. Le capitaine Fuchida donne l’ordre d’attaque : «Tigre, tigre, tigre» («Tora, tora, tora»). En 2 vagues d’assaut, les appareils japonais, bénéficiant de la surprise et des faibles défenses américaines, réussissent à détruire le gros de l’US Navy.
Nom | Type | Mise en service | Touché par | Tués | Retour au combat | Mois d’immobilisation et commentaires |
|
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Navires détruits | |||||||
1 | Arizona | Cuirassé | 1916 | 2 bombes de 800kg | 1 177 | Définitif | |
2 | Oklahoma | Cuirassé | 1916 | 5 torpilles | 429 | Définitif | |
3 | Utah | Bateau cible | 1911 | 2 torpilles | 58 | Définitif | |
Navires endommagés | |||||||
4 | West Virginia | Cuirassé | 1923 | 7 torpilles, 2 bombes de 800kg (1 défectueuse) | 106 | juillet 1944 | 31 |
5 | Oglala | Mouilleur de mines | 1917 | 1 torpille (dommages indirects) | 0 | février 1944 | 26 |
6 | Cassin | Destroyer | 1936 | 2 bombes de 250kg | 0 | février 1944 | 26 |
7 | California | Cuirassé | 1921 | 2 torpilles, 1 bombe de 250kg | 105 | janvier 1944 | 25 |
8 | Downes | Destroyer | 1937 | 1 bombe de 250kg | 12 | novembre 1943 | 23 |
9 | Nevada | Cuirassé | 1916 | 1 torpille, 5 bombes de 250kg | 57 | octobre 1942 | 10 Échoué pour éviter la submersion dans le chenal. |
10 | Vestal | Navire atelier | 1913 | 2 bombes de 250kg (1 défectueuse) | 7 | août 1942 | 8 |
11 | Shaw | Destroyer | 1936 | 3 bombes de 250kg | 24 | juin 1942 | 6 |
12 | Helena | Croiseur léger | 1939 | 1 torpille | 34 | juin 1942 | 6 |
13 | Pennsylvania | Cuirassé | 1916 | 1 bombe de 250kg | 32 | mars 1942 | 3 |
14 | Tennessee | Cuirassé | 1920 | 2 bombes de 800kg défectueuses | 5 | février 1942 | 2 |
15 | Maryland | Cuirassé | 1921 | 2 bombes de 800kg défectueuses | 4 | février 1942 | 2 |
16 | Raleigh | Croiseur léger | 1924 | 1 torpille, 1 bombe de 250kg | 0 | février 1942 | 2 |
17 | Curtiss | Porte-hydravions | 1940 | 1 bombe de 250kg | 21 | janvier 1942 | 1 |
18 | Honolulu | Croiseur léger | 1938 | 1 bombe de 250kg (dommages indirects) | 0 | janvier 1942 | 1 |
19 | Helm | Destroyer | 1937 | 2 bombes de 250kg (dommages indirects) | 0 | décembre 1941 | 0 |
20 | New Orleans | croiseur lourd | 1931 | Dommages indirects | 0 | décembre 1941 | 0 |
Source des données : magazine Guerres & Histoire n°4 de décembre 2011 p49
Le lendemain de l’attaque, devant le Congrès des États-Unis, Roosevelt déclare :
Hier, 7 décembre 1941, une date qui restera le jour de l’infamie, les États-Unis d’Amérique ont été soudainement attaqués. Peu importe le temps que cela peut nous prendre pour repousser cette invasion préméditée. Le peuple américain, dans son droit, avec sa force ira jusqu’à la victoire absolue.
Le Congrès déclare la guerre au Japon à l’unanimité exceptée le vote de la députée pacifiste Jeannette Rankin. Le Président Roosevelt signe la déclaration de guerre le jour même. Quelques heures après, le Royaume-Uni entre aussi en guerre contre le Japon. L’Allemagne et l’Italie déclarent la guerre aux Etats-Unis le 11 décembre. L’attaque japonaise galvanise la nation américaine unie pour venger Pearl Harbor ! On prête à l’amiral Yamamoto ces mots : «Je crains que tout ce que nous avons réussi à faire est de réveiller un géant endormi et de le remplir d’une terrible résolution.»
Winston Churchill écrit dans ses Mémoires : «Aucun Américain ne m’en voudra de proclamer que j’éprouvai la plus grande joie à voir les États-Unis à nos côtés. Je ne pouvais prévoir le déroulement des événements. Je ne prétends pas avoir mesuré avec précision la puissance guerrière du Japon, mais je compris que, dès cet instant, la grande République américaine était en guerre, jusqu’au cou et à mort. Nous avions donc vaincu, enfin !»
Le Japon toujours en guerre contre la Chine tente de couper les approvisionnements vitaux de la résistance chinoise. La France, qui vient de perdre en juin 1940 en quelques semaines, est une proie toute choisie. L’Indochine française est envahie pour fermer le chemin de fer du Yunnan. Japonais et Américains n’arrivent pas trouver un terrain d’entente sur la guerre sino-japonaise et l’invasion de l’Indochine. L’embargo pousse les Japonais à déclarer la guerre. L’attaque « surprise » de Pearl Harbor du 7 décembre 1941 mettra le feu aux poudres. Les États-Unis entrent en guerre et toute la nation est complètement mobilisée pour laver l’affront, en Europe contre l’Allemagne nazi et l’Italie de Mussolini et en Asie contre l’empire du Japon.
Au programme du prochain épisode : l‘avancée japonaise dans le Pacifique et le tournant de la bataille de Midway.
2 réponses
[…] la seconde partie de l’épisode 2 – Pearl Harbor, nous nous étions quittés avec l’attaque « surprise » du 7 décembre 1941 de la flotte […]
[…] est prévue. Ainsi, serait terminé le travail commencé à Pearl Harbor le 7 décembre 1941 [Cf l’épisode 2 – Pearl Harbor]. Fort de cette suprématie dans le Pacifique, il pense que le Japon pourrait ainsi obtenir une paix […]