Suicides au Japon : un plan de lutte qui porte ses fruits ?
Malgré toute l’affection que nombre d’entre nous portons à ce pays, il ne faut pas oublier que le Japon fait toujours partie des nations avec le plus haut taux de suicide au monde. Si ce problème a longtemps été un tabou, le gouvernement a mis en place un plan de lutte contre ce fléau qui semble avoir porté ses fruits. Mais si le nombre de suicides général est en baisse, le taux de suicide chez les plus jeunes reste très inquiétant. Analysons les raisons de ce mal et les actions mises en place pour éviter les drames.
Pourquoi le Japon fait partie des pays d’Asie où l’on se suicide le plus ?
Précision : les chiffres du taux de suicide donnés ci-après sont exprimés en nombre de suicides pour 100 000 habitants afin de faciliter la comparaison des statistiques selon chaque pays.
En 2018, le taux de suicide au Japon a chuté à son plus bas niveau depuis 37 ans, avec 16,3 suicides pour 100 000 habitants (20 598 décès). Si en Asie, le Japon est toujours à la seconde place des pays avec le plus de suicides (derrière la Corée du Sud et ses 24 suicidés pour 100 000 habitants), le pays a réussi à perdre de nombreuses places dans ce funeste classement mondial au cours des dernières années.
A titre de comparaison, en Europe, le pays où le taux de suicide est le plus élevé est en Hongrie (26,7) suivie de la Slovénie (18,1) et de la Lettonie avec un taux à 18 suicides pour 100 000 habitants. A noter que le top 3 est constitué uniquement de pays de l’Europe de l’Est.
Bien que le Japon reste un pays où le taux de suicide est inquiétant, on est très loin des sommets du début des années 2000. En 2003, le pays avait dû faire face à plus de 34 427 décès, un triste record qui a poussé le pays à réagir. Dès lors, avec la mise en place de différentes méthodes de prévention, le nombre de suicides au Pays du Soleil levant n’a fait que décroître d’année en année. Avec un passage sous la barre des 30 000 morts en 2012 (27 283 décès) et une baisse symbolique a à peine plus de 20 000 morts en 2018 (ce qui représente tout de même plus de 50 suicides quotidien), le pays semble sur la bonne voie pour enrayer ce phénomène.
Mais si des solutions ont finalement été envisagées suite aux chiffres alarmants de la décennie précédente, c’est bien parce que chez les Japonais, le suicide n’est pas vu comme un pêché, comme c’est le cas dans les pays occidentaux à culture judéo-chrétienne. Du côté de l’Archipel, on considére plutôt ce geste comme une manière de prendre ses responsabilités vis-à-vis de ses proches et de la société, d’assumer ses erreurs et de ne pas faire honte à son entourage. Une mentalité qui n’est pas nouvelle, puisque l’on retrouve cette volonté de mourir en assumant ses actions dans la tradition du Seppuku hérité du Code du Samouraï. Évidemment, on pourrait également faire un lien historique avec les Kamikaze, qui se suicidaient (parfois de leur plein gré mais également de force), pour aider la patrie lors de la Seconde Guerre mondiale. Mais penser que les suicides actuels dérivent de ces traditions reviendrait à ignorer des causes bien plus actuelles, poussant des individus à s’ôter la vie.
Les principales causes du suicide chez les Japonais
Au Japon, demander de l’aide est vu comme un signe de faiblesse, d’échec, ce qui a des conséquences directes sur les individus en situation de détresse. Certains choisissent de vivre reclus chez eux (ceux qu’on nomme les Hikikomori) quand d’autres décident d’exprimer leur mal-être via des styles vestimentaires exubérants comme le Yami Kawaii. Dans les situations les plus graves, c’est la solution du suicide qui est retenue.
Les causes qui poussent les Japonais à de telles extrémités sont nombreuses et variables, selon leur classe sociale, leur statut et leur âge. Les problèmes de santé représentent presque la moitié des suicides sur l’archipel nippon et sont souvent liés à des dépressions. Au Japon, les troubles mentaux ne sont pas vus comme des maladies, on les considère comme une infirmité et ils restent tabous. Ceux qui en souffrent n’en parleront pas forcément et ceux qui osent en parler ne seront que très peu suivis.
Pourtant, les cas de dépression sont nombreux au Japon, et découlent parfois de difficultés financières ou de la solitude qu’éprouvent certains habitants. Chez les plus anciens, ces deux facteurs sont responsables de nombreux suicides. Il n’est pas rare de lire dans un journal qu’une personne âgée a été retrouvée sans vie chez elle, seule. Face à la peur de laisser des dettes, elle préfère se suicider et laisser l’assurance couvrir les paiements car le système japonais est assez favorable aux suicidés. De plus, le système traditionnel qui voulait que les enfants prennent soin des plus âgés n’est plus trop d’actualité dans nos sociétés modernes, au Japon comme ailleurs. Une cause de solitude supplémentaire pour des anciens qui ne s’attendaient pas forcément à passer leur fin de vie seuls.
Le fait d’être seul est également un fléau chez les jeunes, dans ce pays où la démographie est en berne, à cause d’un syndrome du célibat qui frappe le Japon depuis déjà quelques années. De plus en plus de jeunes actifs ne sont pas en couple et font face à un quotidien morose qui ne leur correspond pas. La surcharge de travail, la pression constante de la société et sa culture de la réussite, l’absence de soutien d’un conjoint et l’isolement toujours plus fréquent auquel sont confrontés les jeunes (avec l’explosion des nouvelles technologies et le repli sur soi qu’elles entraînent) sont autant de causes qui, si elles ne sont pas désamorcées à temps, peuvent amener à commettre l’irréparable. Chez cette tranche d’âge des 20-30 ans, la difficulté à trouver un emploi stable est l’une des raisons majeures qui pousse au suicide.
Parmi les autres causes responsables du suicide, on notera les ennuis familiaux, les problèmes liés au travail et aux heures supplémentaires parfois absurdes que doivent effectuer les jeunes employés et des problèmes relationnels, dans une entreprise ou à l’école.
Le suicide dans le pays touche principalement les personnes entre 50 ans et 59 ans (environ 15%) principalement à cause du chômage ou d’une faillite, suivies par les quarantenaires (15 %) pour des raisons financières en majorité, puis les plus de 60 ans (13 %). Parmi ces catégories, les hommes représentent 68 % des victimes avec 14 125 décès, contre 6 473 suicides chez les femmes. Si dans l’ensemble, ces chiffres sont en baisse par rapport aux années précédentes, une donnée vient nuancer cette amélioration : le taux de suicide chez les moins de 19 ans est en nette hausse et il s‘agit de la première cause de décès chez les jeunes de 10 à 19 ans dans le pays.
Un constat alarmant qui s’expliquerait par la trop grande pression subie par les enfants dès leur plus jeune âge, par l’environnement scolaire et par la culture de groupe.
Le suicide chez les plus jeunes : un problème croissant qui inquiète
Le pic de suicide juvénile au Japon est le 1er septembre, jour de la reprise du second semestre à l’école. Au soir du 31 août et le 2 septembre, les décès sont également nombreux lors de ces 2 dates, tout comme au début du mois d’avril qui correspond à la reprise de l’année scolaire. Il est donc assez facile de faire le lien entre ces suicides et un mal-être à l’école.
Avec 250 décès de Japonais de moins de 18 ans en 2017, le taux le plus haut depuis 30 ans, le problème est plus qu’actuel et les chiffres permettent d’en cerner l’ampleur. Voici, comment se répartissent les victimes : 6 élèves d’écoles élémentaires, 84 collégiens et 160 lycéens. A noter qu’il s’agit principalement de garçons même si le nombre de jeunes filles qui décident de mourir est en forte augmentation.
Mais que peut-il se passer de si violent dans une école pour inciter des jeunes gens à se donner la mort ?
Pour le comprendre, Il faut percevoir l’importance de la notion de groupe dans le système scolaire et dans la société japonaise, ainsi que la compétition permanente qui s’instaure entre les élèves dès le plus jeune âge (et dont le film Battle Royale de Kinji FUKUSAKU est une brillante métaphore).
Dès qu’un élève ne se plie pas à ce moule scolaire qui prône une certaine conformité, qu’il ne parvient pas à obtenir les résultats demandés par ses parents et qu’il se retrouve en échec ou qu’il ne trouve pas sa place dans le groupe, il devient une cible toute trouvée pour les autres. Le harcèlement scolaire appelé Ijime provient des camarades de classe mais aussi des professeurs, qui sous prétexte de maintenir la cohésion d’une classe peuvent tenir des propos blessants envers certains élèves.
Parmi les causes de suicide chez les écoliers et les étudiants souvent évoquées, on retrouve le harcèlement scolaire mais également le stress trop difficile à supporter (notamment en période d’examen), la pression sociétale et certains problèmes familiaux. Hélas, sur l’ensemble des 250 décès, 140 ont été classés dans la catégorie « Pour raisons inconnues », ce qui ne facilite pas la compréhension de ce phénomène tragique.
Il n’est donc pas simple de mettre en place des campagnes de prévention efficaces pour informer les élèves sur les solutions qui les aideraient à s’en sortir et sur le potentiel soutien dont il pourrait bénéficier. C’est pourtant une tâche à laquelle s’attèle le gouvernement japonais depuis quelques années et qui pourraient porter ses fruits à court terme. Dans la préfecture d’Akita, pionnière de cette lutte contre le suicide, les résultats semblent pour le moment encourageants.
Plan de lutte contre le suicide : l’exemple de la préfecture d’Akita
Lorsque le taux de suicide au Japon a atteint son apogée, au début des années 2000, le monde entier avait braqué ses lumières sur le pays. Une mauvaise publicité qui a incité le Japon à prendre des mesures nouvelles, car être cité comme mauvais élève met les dirigeants japonais dans une position délicate vis-à-vis de leurs homologues des pays développés : le pays est d’ailleurs le seul membre du G7 à avoir un tel taux de suicide !
Si la tendance est à la baisse depuis 2010, suite à une première campagne de prévention lancée en 2007, le véritable plan de lutte contre ce fléau a été mis en place en 2016. L’objectif de cette action de grande envergure est de ramener ce taux à 13 suicides pour 100 000 habitants comme c’est le cas aux États-Unis ou en Allemagne, d’ici à 2025. Pour cela, le gouvernement a choisi d’instaurer des campagnes locales et de miser sur des opérations régionales afin de toucher les populations à risque au plus près.
A travers le pays, de nombreuses mesures ont ainsi vu le jour : des campagnes d’affichages dans les métros, un plan de lutte contre le surendettement, des améliorations dans le domaine de la santé et des maladies mentales ou un soutien aux familles dont un membre s’est donné la mort. Le Japon a enfin reconnu qu’il s’agissait bien d’un problème de société et non de la volonté individuelle de chacun. Les résultats les plus intéressants ont été obtenus dans la préfecture d’Akita, là où le taux de suicide a longtemps été le plus haut de l’archipel.
Dès 1999, le gouverneur de la région a voté un budget consacré à la lutte contre le suicide, alors que jusque-là on pensait qu’il ne fallait pas utiliser l’argent de l’Etat pour des problèmes personnels. Ce fut le point de départ d’une prise de conscience nationale, qui a vu de nombreux citoyens s’impliquer dans ce combat contre un ennemi susceptible de toucher n’importe quel proche. Dès lors, les réseaux d’entraides se sont organisés.
Tout d’abord, il a fallu identifier les populations à risque. Comme on l’a vu, les personnes les plus âgées, les plus démunis et celles qui souffrent de la solitude sont considérées comme les populations les plus à risque. Ce sont donc celles qu’il faut protéger en priorité.
Pour cela, un système de gardiens a été mis en place. Des volontaires bénévoles suivent une formation dont le but principal est d’apprendre à déceler les comportements suicidaires. Tout le monde peut devenir gardien et déjà 3 000 personnes ont suivi ces cours depuis 2017. La préfecture espère que ce chiffre atteindra les 10 000 d’ici 2022. Quand ils identifient une personne présentant un comportement à risque, ils peuvent l’orienter vers une assistance qui les prendra en charge. En plus de ces gardiens, on trouve dans cette communauté de bénévoles des personnes qui prêtent leurs oreilles à ceux qui en ont besoin. De nombreuses personnes âgées, seules, n’ont plus personne à qui se confier. Parler, être écouté, même si ce n’est que quelques heures par semaine peut être salvateur. Ils pourront appeler la hotline nationale disponible tous les jours, ou recevoir la visite de l’un des volontaires des associations de prévention.
Ces gestes d’entraide semblent avoir porté leurs fruits chez les adultes, mais comme nous l’avons détaillé plus haut, le taux de suicide chez les enfants restent très préoccupants puisqu’il ne cesse de croître. Face à cette situation, des intervenants et des professeurs ont pris conscience qu’il fallait au plus vite expliquer aux enfants que demander de l’aide n’était pas une mauvaise chose. Ce simple appel au secours, vu comme un aveu de faiblesse par les générations passées, pourrait sauver de nombreuses vies à l’avenir.
Dans certaines écoles, on enseigne donc aux plus jeunes comment exprimer leurs sentiments. On leur apprend des exercices de respirations anti-stress et on forme les membres du personnel éducatif à détecter les signes annonciateurs d’un mal-être profond. Certains cris de détresse sont lancés sur les réseaux sociaux, et c’est un terrain qui doit également être contrôlé pour prévenir toute tentative de suicide. Enfin, depuis 2013, une loi pour la promotion des mesures préventives contre les brimades a été adoptée, ce qui a permis de créer des comités de coordination de lutte contre le harcèlement pour réagir au mieux à ces problèmes.
Faire comprendre aux enfants qu’ils ne sont pas seuls face à leur souci permettrait de former des adultes plus forts, conscients que l’on doit partager ses souffrances plutôt que de les garder enfouies jusqu’à ne plus les supporter. En suivant cette évolution, la prochaine génération de Japonais pourrait remettre en cause certains principes figés dans le pays depuis bien longtemps.
Il reste beaucoup à faire au Japon pour enrayer ce fléau qu’est le suicide, surtout quand on voit que le taux de suicide chez les jeunes Japonais est en hausse constante. Mais les réseaux d’entraide locaux et la prise de conscience nationale face à ce problème sociétal laisse présager une évolution positive dans les années à venir.
Sources :
- Economic Distress and Suicide in Japan, Health and Global Policy Institute, Yukiko TANISHO (2013)
- De la mort volontaire au suicide au travail : histoire et anthropologie de la dépression au Japon, Junko KITANAKA (2014)
- L’organisation du système éducatif japonais, Jun OBA (2016)
- https://data.oecd.org/healthstat/suicide-rates.htm
https://www.stat.go.jp/english/data/handbook/pdf/2018all.pdf
1 réponse
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