Karaoké : Une histoire de passion et de société qui fait du bruit
Le mot karaoké ne vous est certainement pas étranger, et nous n’utilisons pas en France ce mot emprunté au Japon sans raison. La culture du karaoké au Pays du Soleil levant est un phénomène important, sur le plan ludique comme sur le plan social. Il était temps de dédier un article à une des activités les plus incontournables du Japon. Et nous le conclurons avec l’interview de Guillaume LEBIGOT alias Axel Terizaki, animateur karaoké de convention française qui sait passer le micro comme personne. En scène !
Qu’est-ce que le karaoké ?
Pour celles et ceux qui ne connaîtraient pas le karaoké… Cela consiste à chanter les paroles d’un morceau accompagné de la version originale du titre ou sa version instrumentale uniquement. Le plus souvent, les paroles défilent à l’écran pour que le chanteur essaye de prononcer chaque syllabe au bon moment en suivant le rythme de la chanson. Il vous suffit d’aimer chanter et de savoir lire, et vous pourrez étendre votre répertoire facilement. Si chanter n’est pas au goût de tout le monde et que cette activité remonte au début de l’humanité, l’histoire du karaoké n’est pas si vieille que cela. En effet, ce n’est qu’à la fin des années fin 1950 ou début des années 1960 qu’apparaît le sing-along, qui consiste à chanter en même temps que l’interprète du morceau. Aux États-Unis, le chanteur Mitch MILLER animait une émission télé où il reprenait les classiques de la chanson américaine, accompagné de chœurs, mais aussi de tous les téléspectateurs qui souhaitaient chanter. Vous l’aurez deviné, ce n’est pourtant pas du karaoké au sens strict. Et d’ailleurs, ce mot vient du japonais kara (le vide), et oke, qui est la contraction du mot okesutora signifiant l’orchestre.
Le berceau de « l’orchestre vide »
Peut-être ne le savez-vous pas encore mais les Japonais adorent pousser la chansonnette. L’origine du karaoké est peu claire et ce dernier semble être apparu de plusieurs façons différentes. Une chose est certaine, c’est qu’à la fin des années 1960 voire au début des années 1970 que les Japonais prennent plaisir à chanter dans les bars les morceaux qui passent sur les juke-box. C’est à cette époque qu’un vendeur de crêpes, batteur dans son temps libre, fait chanter les patrons de bar en les accompagnant à la batterie. Mais Daisuke INOUE est un peu paresseux et décide de s’enregistrer jouer pour que les habitués puissent chanter sans qu’il ait à jouer. Les machines qu’il crée à cette occasion vont devenir son business. Et dès 1972, on est capable d’extraire la piste vocale des morceaux, ce qui permet de développer le karaoké pour de bon. Des entreprises se lancent dans cette aventure et produisent de véritables machines à karaoké qui sont commercialisées, pour les salles et à usage domestique. Il faudra attendre les années 1990 pour que les karaokés deviennent des lieux de divertissement. En effet, le karaoké est un loisir bruyant et il convient donc de s’adonner à cette activité dans une salle dédiée, la karaoké-box. Et c’est à partir de là que le karaoké va proliférer dans toutes les rues fortement éclairées du Japon.
Le karaoké dans la société japonaise
Ce n’est pas un hasard si le mot retenu pour parler de cette activité est un mot japonais. Le peuple nippon adore chanter. Dans la période d’après-guerre, le enka moderne rassemble tous ceux qui aiment donner de la voix. Il s’agit là de ballades assez lentes et sentimentales. Cependant, ce n’est pas à ça que tient le succès du karaoké. Avant d’être le passe-temps d’amateurs de chant, le karaoké est une activité sociale. Se rendre au bar, par exemple, est quasiment une obligation chez les salariés, qui doivent resserrer leurs liens. Les karaoké-box deviennent rapidement un lieu de rendez-vous professionnels (mais pas que !), et si chanter permet de se détendre dans un quotidien stressant de salaryman, il est aussi vrai qu’organiser des réunions autour de micros favorisent la relaxation et permet de signer des contrats importants plus facilement. La pratique du karaoké s’inscrit elle aussi dans cette mentalité japonaise de la vie en communauté. Certains employés se rendent même seuls dans des box pour pratiquer leurs techniques de chant, dans l’espoir de faire bonne impression auprès de leurs collègues et patrons à la prochaine session karaoké.
Faire du karaoké sur le sol nippon
Si vous êtes tentés de vous rendre un jour dans un karaoké japonais, ce qui va suivre devrait vous intéresser. Tout d’abord, sachez que suivant l’enseigne que vous choisirez influera sur le prix. Karaokekan et Big Echo Karaoke sont très réputés et donc plus chers que d’autres chaînes de karaoké plus discrètes. Comme dans les salles de bowling en France par exemple, les prix dépendent de l’affluence. En clair, vous payez moins cher en semaine et en journée et beaucoup plus le soir en week-end ou la veille d’un jour férié. Niveau tarif, la session se paie par tranche de 30 minutes par personne et non pas la location de la salle : inutile donc de remplir le karoké-box en imaginant réduire la note ! Et il y a parfois des frais d’entrées aussi amortis en restant le plus longtemps possible et parfois, une boisson obligatoire à commander. Pour 2 heures de karaoké, ainsi, cela peut coûter entre 10 et 20€ par personne. Prenez en compte le fait que vous aurez rapidement soif si vous chantez beaucoup, et que si vous n’êtes là que pour ça, vous n’aurez probablement plus trop de voix après la 3e heure. Mais certains karaokés fournissent des boissons illimitées (sans alcool bien évidemment).
Essayez donc de chercher les tarifs en vigueur pour le karaoké que vous avez repéré. Vous ne parlez pas un mot de japonais ? Cela risque d’être problématique (sauf dans les grandes villes peut-être). Néanmoins, il vous faudra une bonne maîtrise des hiragana et des katakana si vous voulez chantez des chansons en japonais. Mais rassurez-vous, il y aura toujours des chansons occidentales (très majoritairement en anglais). D’ailleurs notez que les karaokés utilisent différentes bases de données selon l’enseigne que vous choisissez. Ce qui veut dire que le catalogue de chansons disponibles sera différent d’un karaoké à l’autre.
Comment cela se passe concrètement ? C’est assez simple : on vous assigne un box, une heure de début et une heure de fin. Vous pouvez cependant appeler pour rallonger la séance si vous vous prenez au jeu. Et inversement, vous pouvez appeler pour finir plus tôt. En sortant du karaoké, vous paierez par tranche de 30 minutes où vous avez chanté. Mais avant cela, on vous emmènera dans une petite pièce confortable munie d’un écran, une tablette pour programmer vos karaokés et la carte des boissons. Appelez pour commander à tout moment. Il y aura des boissons comprises dans la formule free drink, et d’autres non. Vous pourrez même commander à manger. Ensuite, vous savez ce qu’il vous reste à faire…
Le karaoké dans nos contrées
En dehors du Japon, le karaoké est surtout présent dans des bars et des restaurants où l’on vous propose de chanter devant tout le monde, qu’ils aient demandé ou non à subir les voix de casseroles de certains. Il y a même des soirées karaoké organisées dans certaines salles de bowling. Les karaoké-box sont plus rares et il faudra certainement vous rendre à Paris pour pouvoir expérimenter ces charmantes boîtes pour chanteurs en herbe. Mais assurez-vous que leur catalogue vous permette de chanter en japonais !
Au Japon, il est plus craint de ne pas chanter du tout et ainsi de s’exclure soi-même du groupe social. Alors qu’en France, la plupart sont embarrassés de donner de la voix en public (ou même en cercle privé). Voilà pourquoi en Occident nous préférons les chants de groupe de type chorale. Les karaoké-bars ne forcent pas à chanter et le prix de l’équipement de karaoké est compris dans le prix des consommations car sinon cela découragerait encore plus les clients de chanter, là où au Japon, on paye pour pouvoir tenir le micro. Le karaoké y est culturellement plus discret.
Chanter à la maison
Bien évidemment, rien ne vous oblige à chanter dans des bars ni sous la douche. Plusieurs licences de jeux vidéo vous proposent de faire du karaoké et de noter vos performances, donnant ainsi un aspect ludique à la pratique. Aux plus nostalgiques, il reste encore les cassettes vidéo et DVD karaoké avec un choix tout de même limité. Pour tourner la page, il existe des plateformes sur internet qui vous permettent d’accéder à tout un catalogue de chansons. Pour réaliser une soirée digne de ce nom, on peut aussi fabriquer son karaoké maison en rassemblant une TV grand-écran avec une bonne chaîne Hifi et un micro. N’oubliez pas de noter sur vos agendas les prochaines conventions dans votre région, en espérant qu’on vous propose de pouvoir chanter les derniers openings de vos animes préférés plutôt que de la variété française.
Et si nous laissions un expert en parler, d’ailleurs ? Retrouvons Guillaume LEBIGOT, aussi connu sous le nom d’Axel Terizaki, notre consultant en karaoké qui va notamment nous parler de la présence de ce pan de la culture japonaise en France !
L’interview d’Axel Terizaki
Journal du Japon : D’où vous vient la passion du karaoké ? Et qu’est-ce qui vous a poussé à vous investir dans ce milieu ?
Axel Terizaki : Ma première vraie expérience de karaoké est arrivée lors d’une nocturne à la convention Epitanime en 2001. C’est devenu depuis un rendez-vous presque religieux lorsque j’allais à la convention. L’ambiance électrique de la salle m’avait subjugué et continue de le faire chaque fois que je participe à un karaoké de groupe ainsi. C’est une façon très différente de faire du karaoké par rapport à ce qu’on peut connaître au Japon ou même en France dans les karaoké box. Dans ce genre de karaoké de groupe, il y a aussi un aspect découverte car on peut y entendre des chansons que l’on ne connaît peut-être pas, et ainsi découvrir les animés associés. Il y a du coup un vrai côté partage de passion entre les membres du public car on peut suggérer des chansons au responsable de la salle karaoké et passer celle que l’on souhaite.
J’ai voulu reproduire cette expérience en dehors des conventions lorsque j’ai découvert qu’il n’existait pas à proprement parler une communauté ouverte autour du karaoké en France. La majorité des associations faisant du karaoké en convention ne partagent pas leurs créations.
JDJ : Comment se passe le karaoké en convention ? Qu’est-ce que cela implique d’un point de vue logistique et administratif ?
AT : J’ai déjà parlé un peu de cela tout à l’heure, mais quand on explique à un Japonais comment se passe le karaoké en France, il nous regarde avec de grands yeux. Quand on arrive dans une salle karaoké en convention, on s’installe et on regarde. On attend de voir quelles chansons vont passer, et on chante sur celles qui nous plaisent, seul ou avec des amis voire avec toute la salle quand la chanson est très populaire. Les organisateurs font passer une feuille où on peut écrire nos suggestions, et on prie pour qu’elles passent, car au final l’organisateur filtre ces demandes, et passe aussi des chansons qu’il souhaite passer.
C’est un évènement convivial avant tout, on entre et on sort quand on le souhaite.
Côté logistique, il faut avant tout un grand écran pour que tout le monde puisse lire les paroles, une bonne sonorisation (même si certains vous diront que ça ne sert à rien quand tout le monde chante!), un lecteur vidéo capable de lire des karaokés, une base de données de karaokés, et éventuellement un logiciel de gestion de liste de lecture. Selon la configuration de la salle, il faudra penser à l’aérer de temps en temps ou permettre un temps mort afin que les gens sortent naturellement et reviennent plus tard… Chacun organise son karaoké comme il le souhaite, avec les moyens qu’il possède. Certains utiliseront des vidéos piochées sur Youtube (il y a beaucoup de vidéos karaoké sur la plateforme de Google), d’autres des vidéos faites maison à partir de DVDs ou de Blu-Rays, ou d’autres iront même piocher des vidéos de fansub (qui sont notoirement connues pour faire du karaoké sur les génériques).
JDJ : Pour l’anecdote, quel est votre meilleur souvenir de karaoké ?
AT : Il y en a tellement ! Durant une nocturne Epitanime (la convention tourne aussi la nuit) je me souviens m’être endormi sous une table, pour me réveiller au milieu de la nuit en entendant le générique d’ouverture de Clannad. Je me suis levé, l’ai chanté, puis je suis retourné (mal) dormir sous la table.
Je pense que tout le monde s’accordera néanmoins à dire que son meilleur souvenir de karaoké, c’est quand on pense être le seul à connaître et aimer un générique, avant de s’apercevoir que toute ou partie de la salle chante avec nous dessus.
JDJ : La barrière de la langue est-elle importante lorsqu’on souhaite chanter en japonais ? Est-ce que le karaoké en japonais à un avenir en France ?
AT : Cela dépend quel karaoké on fait : en convention en France, les karaokés sont écrits en romaji (une façon d’écrire le japonais avec notre alphabet occidental) et donc sont lisibles par n’importe qui. Au Japon, les karaoké box proposent uniquement des karaokés en japonais, ce qui implique de pouvoir lire la langue pour chanter (ou alors il faut connaître la chanson par cœur !)
En romaji, le karaoké de chansons japonaises est aisé à lire et à chanter car chaque syllabe est très bien découpée. Un autre point qui aide énormément par rapport au karaoké box habituel : en convention, on utilise des versions chantées afin de guider ceux qui ne connaissent pas la chanson, alors que dans un karaoké box au Japon par exemple, on utilisera des versions instrumentales des chansons afin de bien mettre en valeur la voix du chanteur ou de la chanteuse de karaoké.
Malheureusement, hors des conventions, le karaoké en japonais n’a que peu d’intérêt pour un public en France. Même pour les japonais eux-mêmes, dont peu savent lire les karaokés en romaji.
JDJ : Et d’ailleurs, quel futur pour le karaoké en France ? Au Japon ?
AT : Avant de parler d’avenir il est important de faire un état des lieux : en France, on aimerait toujours plus de karaoké à la maison. Les solutions sont parfois assez peu connues pourtant. L’éditeur de jeux vidéo Ubisoft propose Let’s Sing chaque année avec des tubes variés et mainstream. Sony sur ses consoles Playstation propose toujours Singstar en version « free-to-play » (le jeu de base est gratuit, mais il faut acheter les chansons). Du côté de Nintendo, il est possible avec un compte eShop japonais de télécharger l’application Joysound (une chaîne de karaoké box au Japon), permettant de faire un karaoké sur sa console Switch. A noter que cette application propose un tout autre modèle économique, plus proche du karaoké japonais où on paye à l’heure ou pour une soirée et où on peut profiter de tous les titres disponibles. D’ailleurs, cette application était disponible sur l’eShop Wii U en France (avec un logiciel traduit, et avec des titres en japonais).
Il existe bien entendu des karaoké box en France, et dans certains restaurants, mais il faut bien avouer qu’en France on a pas cette culture du karaoké comme en Asie. Du coup c’est assez difficile de dire quel avenir il peut avoir en France.
Au Japon c’est toute une institution, et toujours une activité à faire en groupe, en couple, ou parfois même seul, pour s’amuser. J’ai du mal à voir les karaoké box japonais délaissés : ou alors il faudrait que cela soit remplacé par une autre activité. Je les vois mal, par exemple, faire du karaoké chez eux où c’est petit et mal insonorisé. Les karaoké box offrent un certain confort, permettent de commander boissons et plats durant la session de karaoké…
JDJ : Quels sont les titres les plus demandés en France ?
AT : En convention, ce sont évidement les génériques d’animés populaires qui font mouche auprès du public. Le générique de The Promised Neverland pour prendre un exemple récent, marche plutôt bien. A part ça, tout dépend de la génération à laquelle on s’adresse : si les génériques français d’Albator, Goldorak et Creamy vont fonctionner du tonnerre sur des trentenaires et quarantenaires, le public de moins de 30 ans préférera les génériques de Pokémon, Yu Gi Oh, Fullmetal Alchemist, ou Code Lyoko, bref tout ce qui passait à la télévision chez nous au début des années 2000.
Un bon opérateur de karaoké adaptera sa playlist au public de la convention où il fait du karaoké. Par exemple, à la convention Jonetsu 4 (de l’association Nijikai) ayant récemment eu lieu à Bourg-la-Reine ou durant les nocturnes Epitanime où le public est déjà plus expérimenté, on passera plutôt des génériques très récents, des chansons difficiles à chanter (avec un débit de parole élevé), ou d’autres grands classiques comme les génériques de JoJo’s Bizarre Adventure, Log Horizon, Sakura Taisen, Steins;Gate, Flip Flappers, etc.
JDJ : Mais au fond, quelles différences y a t-il entre le bon et le mauvais chanteur de karaoké ?
AT : Je vous répondrais bien en parodiant le sketch sur les chasseurs des Inconnus, mais en vérité, je n’en sais rien : chacun chante comme il le souhaite, c’est ça la beauté du karaoké !
Merci beaucoup pour vos réponses ! Et à bientôt dans le monde fantastique des conventions et du karaoké !
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[…] D’autres infos sur le Karaoke à retrouver sur le site micro-karaoke et journaldujapon. […]