Edmond de Goncourt : passion Japon
Journal du Japon vous invite à découvrir la passion d’Edmond de Goncourt pour l’Asie et plus particulièrement le Japon et ses arts. Deux ouvrages permettent de découvrir son amour pour les arts japonais : La maison d’un artiste, publié en 1881, dans lequel il présente sa collection d’art japonais et chinois et Hokusai, l’Art japonais au XVIIIème siècle, monographie qu’il consacra à ce grand artiste en 1896.
La maison d’un artiste : une collection impressionnante
Des frères Goncourt, on connaît surtout l’Académie qui porte leur nom. Il faut savoir qu’elle a été fondée après la mort d’Edmond grâce à la vente de la collection d’œuvres du 18e siècle et d’art japonais et chinois que les deux frères avaient accumulés dans leur maison d’Auteuil. Ils avaient commencé cette collection dès 1838 lorsqu’ils étaient adolescents, avaient acquis des estampes japonaises dès 1861, bien avant que la fièvre japonisante touche l’Occident dans les années 1870 à 1890. Jules est mort en 1870, mais Edmond a continué à s’occuper de la collection et s’est lancé dans l’écriture de La Maison d’un artiste pour répertorier ses trésors et offrir aux lecteurs de très belles descriptions des objets, de leur histoire et de leur fonction. Un très gros travail pour cet amateur d’art curieux et toujours en quête d’explications auprès d’artistes et de Japonais venus à Paris, qui s’apprécie aujourd’hui dans une version richement illustrée et accompagnée d’une enquête de Geneviève Lacambre, historienne de l’art, spécialiste du japonisme, qui mène le lecteur sur les traces de ces objets aujourd’hui dispersés. De nombreuses photographies inédites tirées de l’album personnel d’Edmond de Goncourt permettent de se rendre compte de la quantité et de la qualité des objets collectionnés.
Le lecteur pénètre donc dans la maison et la visite pièce après pièce.
Dans le vestibule, on peut admirer des broderies du Japon :
« Des broderies du Japon, ai-je dit plus haut, c’est là, dans leurs cadres de bambous, la riche, la splendide, l’éclairante décoration des murs du vestibule et un peu de toute la maison. Ces carrés de soie brodés appelés fusha ou foujousa font la chatoyante couverture sous laquelle on a l’habitude, dans l’Empire du Lever du Soleil, d’envoyer tout présent quelconque, et le plus minime, fût-il même de deux œufs. Les anciens foujousas fabriqués à Kioto sont des produits d’un art tout particulier au Japon, et auxquels l’Europe ne peut rien opposer : de la peinture, de vrais tableaux composés et exécutés en soie par un brodeur, où sur les fonds aux adorables nuances, et telles qu’en donne le satin ou le crêpe, un oiseau, un poisson, une fleur se détache dans le haut-relief d’une broderie. Et rien là-dedans du travail d’un art mécanique, du dessin bête de vieille fille de nos broderies à nous, mais des silhouettes d’êtres pleins de vie, avec leurs pattes d’oiseau d’un si grand style, avec leurs nageoires de poisson d’un si puissant contournement. »
Il y a des dessins dans le petit salon, une vasque en fonte du Japon dans le grand salon, des kakemonos dans l’escalier. Edmond possède de nombreux albums japonais qu’il admire plus que tout, comme le montrent les mots passionnés qu’il leur consacre :
« Ces albums ouverts et parcourus de l’œil, de la première ou plus rationnellement de la dernière à la première page, il vous apparaît, baignée des méandres azurés des mers, des fleuves, des rivières, des lacs, une terre aux rivages semés d’écueils baroques, contre le granit rose desquels brise éternellement le Pacifique ; des plages fourmillantes de vendeurs et de vendeuses de coquillages et de choux de mer, qui courent après des pieuvres leur échappant ; des villages formés d’une seule rue, contournant une anse dormante de leurs toits, surmontés, aux deux extrémités, de poissons porte-bonheur sculptés ; des rizières inondées, où dans les lignes flottantes de l’eau, les brindilles lointaines semblent des croches sur un papier de musique réglé ; des campagnes couvertes d’une herbe vivace, de la hauteur d’un homme, toute verte d’un côté, toute blanche de l’autre ; des villes coupées de ponts bombés, s’élevant sur une forêt de madriers rouges ; des jardins de plaisir, sillonnés de ruisselets tournoyant à l’entour de plantations d’iris et de roseaux ; des intérieurs dont le lisse bois vernissé enferme comme la clarté humidement rayonnante de nos écoles de natation, – cette terre enfin composée de trois mille huit cent îles ou rochers : le Japon.
Et dans ce pays, toute une vie qui paraît remplie, amusée, rendue doucement rêveuse par le voisinage amoureux et la contemplation de l’eau. Ce ne sont sur ces pages que femmes regardant l’eau, ici accoudées sur la toiture d’une cabine, là soulevées sur la pointe des pieds en haut d’une estacade, la main au-dessus des yeux ; et partout sur les balcons, auprès des lanternes posées sur un pied, et tout en buvant de petites tasses de thé, ces femmes ont l’œil et l’attention à l’eau qui coule. On en voit de ces femmes qui, dans le matin qui s’éveille, au bord d’une rivière, attachent de petits morceaux de papier, couverts d’aimables pensées, à la patte de grues qu’elles mettent en liberté ; on en voit qui, dans la nuit, blêmes apparitions, une flûte aux lèvres, une robe noire comme le ciel aux épaules, glissent sur une barque silencieuse. »
« Tout le Japon est présent, vivant dans ces albums ». Et d’évoquer les matsuri, les combats de sumo, les théâtres.
Il possède des albums sur tout type de sujets : à l’usage des fabricants, sur l’habillement, les armures des guerriers, d’autres sur les objets en laque, et sur les éléments de dessin, et même des albums érotiques.
Dans son cabinet de l’Extrême-Orient, il décrit les nombreux netsuke, ces petites figurines en ivoire représentant des dieux japonais mais aussi des sujets comiques, érotiques, philosophiques, des animaux, des figurines légendaires.
Il y a également les nombreuses boîtes de laque, faïences (de Satsuma), sabres, écritoires et boîtes à médecine. Les photographies permettent de se rendre compte de la beauté de tous ces objets.
Sa plume se fait parfois triste lorsqu’il évoque son frère décédé ou la vieillesse et la mort qui se rapprochent. Des passages intimistes touchent le lecteur qui s’était perdu parmi tant de belles choses.
On pénètre dans ce livre comme on pénètre dans un musée, sur la pointe des pieds et les yeux grand ouverts, pour admirer une collection merveilleuse et un homme passionné et passionnant !
Plus d’informations sur le site de l’éditeur.
Hokusai, l’art japonais au XVIIIème siècle
Dans cet ouvrage de deux cents pages, Goncourt livre une monographie très complète de la vie et surtout de l’œuvre abondante du grand peintre.
Grâce à l’aide de son ami japonais Hayashi, il a pu avoir accès à des textes en japonais, à de nombreux ouvrages illustrés et à des collections importantes et il décrit pièce après pièce les réalisations du « vieux fou de dessin ».
Les éléments de la vie d’Hokusai sont cités dans cette biographie chronologique mais c’est surtout dans la description de chaque estampe, chaque dessin, chaque illustration que Goncourt excelle. Et on se met à rêver d’une exposition géante de toutes les œuvres qu’il décrit si brillamment au lecteur émerveillé !
La plume précise et poétique de l’auteur permet de faire apparaître sous les yeux du lecteur les vues du Mont Fuji aussi bien que le lac Biwa ou les monstres effrayants que le grand peintre adorait mettre en scène. On trouve aussi des guerriers, des planches d’architecture, de cuisine, des illustrations de romans ou de poésie, des cascades ou des ponts.
Un voyage au Japon des villes, des campagnes, des samouraïs et des courtisanes, des villageois et des acteurs, des animaux et des fantômes, des plantes et des monuments, grâce au pinceau d’Hokusai et à la plume de Goncourt !
Présentation du peintre :
« Dans les deux hémisphères, c’est donc la même injustice pour tout le talent indépendant du passé ! Voici le peintre, qui a victorieusement enlevé la peinture de son pays aux influences persanes et chinoises, et qui, par une étude, pour ainsi dire, religieuse de la nature, l’a rajeunie, l’a renouvelée, l’a faite vraiment toute japonaise ; voici le peintre universel qui, avec le dessin le plus vivant, a reproduit l’homme, la femme, l’oiseau, le poisson, l’arbre, la fleur, le brin d’herbe ; voici le peintre, qui aurait exécuté 30 000 dessins ou peintures, voici le peintre qui est le vrai créateur de l’Ukiyo-e, le fondateur de l’École vulgaire c’est-à-dire l’homme qui ne se contentant pas, à l’imitation des peintres académiques de l’école de Tosa, de représenter, dans une convention précieuse, les fastes de la cour, la vie officielle des hauts dignitaires, l’artificiel pompeux des existences aristocratiques, a fait entrer, en son œuvre, l’humanité entière de son pays, dans une réalité échappant aux exigences nobles de la peinture de là-bas ; voici enfin le passionné, l’affolé de son art, qui signe ses productions : fou de dessin … »
L’enfance du peintre est rapidement brossée, Goncourt raconte le travail du jeune homme dans un atelier, la publication de livres qu’il écrit et illustre, les contes pour enfants et la poésie qu’il illustre … et les surimonos qu’il décrit avec délicatesse :
« Les surimonos, les impressions moelleuses où la couleur et le dessin semblent tendrement bus par la soie du papier japonais, et qui sont ces images à la tonalité si joliment adoucie, si artistement perdue, si délavée, de colorations pareilles aux nuages à peine teintés que fait le barbotage d’un pinceau chargé de couleur dans l’eau d’un verre, ces images qui, par le soyeux du papier, la qualité des couleurs, le soin du tirage et de rehauts d’or et d’argent, et encore par ce complément du gaufrage – obtenu, le croirait-on, par l’appuiement du coude nu de l’ouvrier sur le papier-, ces images n’ayant rien de similaire dans la gravure d’aucun peuple de la terre, font une grande partie de l’œuvre d’Hokusai. »
Les années défilent entre succès et déboires (un petit fils vaurien dont Hokusai doit réparer les escroqueries, une maison qui part en fumée, avec les créations du peintre).
Il y a le bonheur d’Hokusai à illustrer des romans :
« Le Japon est amoureux du surnaturel, et ses romans sont pleins d’apparitions. Or l’artiste, appelé là-bas le peintre des fantômes, le peintre qui a dessiné ces têtes des Cent Contes qui vous laissent dans la mémoire un souvenir d’épouvante, le peintre auquel les directeurs de théâtres venaient demander des maquettes de visions d’effroi, le peintre près duquel les conférenciers macabres sollicitaient des figures de mortes, devait aimer à traduire, avec les imaginations de son art, les rêveuses imaginations dans le noir des lettrés de son pays, et c’est ce qui explique les longues années où une partie de son talent appartint à l’illustration des romans ».
Et bien sûr de très belles pages sont consacrées au Manga que Goncourt décrit volume par volume et qui l’a fortement impressionné :
« Le Manga, cette profusion d’images, cette avalanche de dessins, cette débauche de crayonnages, ces quinze cahiers où les croquis se pressent sur les feuillets, comme les œufs de la ponte des vers à soie sur une feuille de papier, une œuvre qui n’a pas de pareille chez aucun peintre de l’Occident ! Le Manga, ces milliers de reproductions fiévreuses de ce qui est sur la terre, dans le ciel, sous l’eau, ces magiques instantanés de l’action, du mouvement, de la vie remuante de l’humanité et de l’animalité, enfin, cette espèce de délire sur le papier du grand fou de dessin de là-bas ! »
Un livre à lire pour la magie des descriptions et à compléter par une immersion dans les œuvres d’Hokusai (dans les musées, sur vos écrans, dans des catalogues ou de beaux livres en papier glacé … il en existe de très nombreux et très beaux).
Plus d’informations sur le site de l’éditeur.
Ces deux livres d’Edmond de Goncourt vous permettront de découvrir un grand écrivain mais également un grand amoureux des arts, de l’Asie, qui aimait découvrir, comprendre, apprendre et transmettre ses passions.