Au Japon, faire face à la précarité des seniors

Dans un monde en perpétuel mouvement, le Japon doit faire face à de nombreux enjeux dès aujourd’hui, pour demain. Défis économiques, sociétaux, environnementaux, ils prennent de multiples formes. Mais il y a une question essentielle que l’Empire nippon ne peut plus décemment occulter, c’est celle de la pauvreté. D’autant plus que les premières victimes de cette précarité croissante sont les plus populations les fragiles, à savoir les personnes âgées.

Personnages âgés et précarité

Photo RO © Rachida Ourahou

Le Japon vit actuellement un moment hautement historique : l’abdication de l’Empereur AKIHITO suivie de l’avènement du nouvel Empereur, son fils, NARUHITO. Ce changement d’Empereur, dont nous avons déjà largement parlé ici, annonce également la fin de l’ère HEISEI et le début de l’ère REIWA, que les autorités japonaises traduisent très officiellement par « Belle harmonie ». Alors que tous les regards sont tournés sur ces événements à la symbolique forte mais sans réel enjeu politique ; le Japon étant une démocratie où l’Empereur n’a aucun pouvoir si ce n’est celui de représentation divine ; cette « Belle harmonie » annoncée par la nouvelle ère tiendra-t-elle toutes ses promesses ? On peut en douter.

Dans un pays riche qui se positionne comme la troisième puissance économique mondiale, il est un fait que les difficultés économiques des dernières années ont eu de graves conséquences sur toute une catégorie de la société : les personnes âgées. Sans néanmoins exclure les autres typologies de population, à savoir les femmes, les enfants et les travailleurs précaires. La lumière est mise sur les personnes âgées car non seulement elles souffrent sévèrement de solitude (6 millions de personnes âgées vivent totalement isolées) mais aussi, et surtout, de précarité. Avec plus d’1/4 de sa population qui a plus de 65 ans, le Japon a pour principal enjeu futur de faire face au vieillissement de sa population. Un défi majeur lorsque l’on sait que parmi cette tranche de la population, 1 senior sur 5 vit sous le seuil de pauvreté.

Échapper à la faim en allant… en prison

Jouissant d’un des taux de criminalité le plus bas au monde, l’empire du Soleil Levant dresse cependant le constat suivant : la part des délinquants de plus de 60 ans a doublé en 20 ans. Que reproche-t-on à ces seniors ? La multiplication des infractions mineures et plus précisément des vols à l’étalage pour simplement se nourrir. Le plus fou ? Certains commettent volontairement des délits mineurs pour être arrêtés et incarcérés dans un établissement pénitentiaire.

En prison, ils sont logés, nourris, bénéficient également de soins médicaux, et surtout, ils ne sont pas seuls. Ces quelques raisons auront suffi à certains pour faire le choix de la délinquance pour être emprisonnés. Face à ce phénomène qu’on observe depuis quelques années déjà, l’administration pénitentiaire japonaise a même dû s’adapter en créant des unités spéciales pour les plus de 60 ans. Largement représentées, les femmes sont nombreuses à être détenues. Pour la plupart, lorsqu’elles deviennent veuves, elles ne parviennent pas à s’en sortir avec leur faible pension.

En 2065, la part des personnes de plus de 65 ans atteindra les 40%

Si en façade règne le plein emploi avec un taux de chômage qui avoisine les 2.8%, le Japon ne peut plus cacher son problème majeur de paupérisation de sa population. Avec une pension moyenne de 500 € pour 40 ans de cotisation pour la tranche des employés dans le secteur privé, la seule retraite ne permet pas de vivre, voire de survivre pour ceux qui ne seraient pas propriétaires de leur logement dans une ville comme Tokyo où le loyer moyen se révèle prohibitif. En 2019, 1 senior sur 5 travaille au Japon. Souvent plus par obligation que par choix. Mais ce qui relève du choix, c’est la possibilité de garder un contact social par le biais du travail et éviter ainsi l’isolement. Pour ne pas sombrer totalement dans la précarité, beaucoup ont recours à des petits emplois, des contrats précaires permettant d’atteindre péniblement 500 € par mois, ce qui permet de doubler le montant de sa retraite.

Emploi et séniors

Crédit photo : Jeremy-Stenuit-unsplash

Au premier rang des victimes de cette situation, les femmes seules, encore une fois, souffrent énormément. Avec un système de retraite établi après-guerre qui favorise la femme au foyer au détriment de la femme active, on se retrouve avec des situations ubuesques où une femme seule ayant cotisé toute sa vie, percevra une pension plus faible qu’une femme mariée ayant passé sa vie à élever ses enfants avec un époux qui se chargeait d’apporter un salaire à la maison. Les évolutions actuelles de la société japonaise contraignent à repenser cette méthode de calcul complètement caduque et inadaptée aux réalités sociales d’aujourd’hui (moins de mariages, peu d’enfants, des femmes qui souhaitent davantage se concentrer sur leur carrière professionnelle, etc.)

Relever le défi de la précarité face à l’allongement croissante de la durée de vie

Dans la préface de l’édition française de son livre Contre la pauvreté au Japon, Makoto YUASA souligne que : « le nouveau gouvernement (le Parti Démocrate sortit vainqueur des élections législatives en 2009 ndlr) reconnut le 20 octobre 2009 l’existence de la pauvreté au Japon. C’était la première fois que le gouvernement changeait de position sur ce sujet depuis que, quarante-trois ans plus tôt, en pleine période de haute croissance économique, était apparue l’idée selon laquelle ‘‘le problème de la pauvreté au Japon appartient désormais au passé’’. ».

Le Premier ministre Shinzo ABE a annoncé de nombreuses mesures politiques pour faire face à ce problème du vieillissement de la population avec notamment la promesse d’investir plus de 16 milliards d’euros mais sans que l’on sache exactement quelles formes prendront ces investissements. Cependant, une des mesures prises récemment par le gouvernement ABE est, sur la base du volontariat, de partir à la retraite jusqu’à 80 ans pour les fonctionnaires avec la promesse d’une pension plus élevée qu’en partant à 70 ans (qui est l’âge maximum actuel).

Précarité sénior Japon

Crédit photo : Jase-Bloor-unsplash

Alors, l’avenir s’annonce-t-il harmonieux pour la société japonaise ? Le dernier rapport de l’ONU laisse poindre une réponse plutôt pessimiste… Le World Happiness Report 2019 classe le pays au 58e rang des pays les plus heureux du monde. Les Japonais, et la jeunesse nippone notamment, sont peu enclins à faire rimer bonheur et futur. Une crainte de l’avenir qui revêt de nombreuses raisons (situation de la femme japonaise, faible taux de natalité, recul des mariages, précarisation du travail…) mais qui plus que jamais, souligne l’importance pour ce beau pays de relever le défi de l’allongement de la durée de vie de sa population et de faire réellement face aux problèmes sociaux qu’il rencontre.

 

 

 

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