Romans de printemps : une petite sélection à lire partout !
Pour un printemps remplit de bonnes lectures, Journal du Japon vous propose une sélection de beaux romans à emporter partout, en week-end, en vacances, dans les transports en commun… Vous n’avez plus qu’à choisir celui qui vous tente le plus !
Maïmaï d’Aki SHIMAZAKI : amour et histoire familiale
« Après une averse violente, le ciel se dégage rapidement. Le soleil fort tape sur les tuiles des toits. On est lundi. Il fera très chaud et humide cet après-midi.
Je me tiens debout devant la fenêtre et observe l’aquarelle que je viens de terminer. Un escargot rampe sur une feuille de physalis. Les tentacules sortis, il se dirige vers la tige d’où pendent des fruits dont les enveloppes sont vertes. »
Ainsi s’ouvre le roman.
Tarô, le narrateur, a vingt-six ans. Il est sourd et muet de naissance. Il est mannequin dans la même agence que Mina, qu’il fréquente depuis quelques mois. Mais ce qu’il aime par dessus tout, c’est peindre. Lorsqu’il apprend la mort brutale de sa mère âgée de cinquante-huit ans, il décide de transformer la librairie qu’elle tenait en atelier, et de se consacrer totalement à son art.
La vie s’organise entre le quotidien avec sa grand-mère adorée et la peinture.
Mais quand une jeune fille vient présenter ses condoléances, c’est toute sa vie qui est bouleversée. C’est Hanako, qu’il avait connue lorsqu’il était en première année d’école primaire, elle n’avait que quatre ans, mais ils adoraient jouer ensemble. Fille de diplomate, elle avait dû partir du jour au lendemain pour d’autres pays, et il en avait été très triste. Le coup de foudre vingt ans après est réciproque. Hanako a a ppris à parler la langue des signes, ils se sentent tellement bien ensemble qu’ils décident de se marier.
Une relation fusionnelle, et, en parallèle, le deuil à faire. Tarô tombe alors sur d’anciens documents, d’anciens objets qui suscitent en lui des interrogations. Les activités de sa mère, ses relations, le mystère autour de la naissance de ce petit garçon sourd-muet et d’un père espagnol qui serait décédé ?
Et ce poème composé par sa mère :
« Maïmaï, maïmaï,
Où vas-tu si lourdement ?
Que portes-tu dans ta maison si grande?
Un chagrin ou un fardeau, ou bien les deux?
Ah, tu ne peux qu’avancer, comme la vie!
Bon courage, maïmaï ! Adieu ! »
Mais le bonheur est total et rien ne peut le compromettre …
Comme à son habitude, Aki SHIMAZAKI plonge le lecteur dans un univers doux et familier. Les personnages sont attachants et le quotidien se déroule calmement. Peut-être trop parfaitement … Malgré les doutes, les interrogations, chacun veut croire au bonheur, à la belle vie qui s’offre au jeune couple.
Ce roman, qui sort le 3 avril, clôt le troisième cycle romanesque, L’Ombre du chardon, consacré à l’intime, qu’elle décrit avec simplicité, élégance et pudeur (après avoir consacré sa première pentalogie Le Poids des secrets aux secrets de famille intergénérationnels, sa deuxième Au cœur du Yamato à l’influence de la sphère professionnelle sur la vie personnelle) .
Maïmaï fait suite à Azami, Hôzuki, Suisen et Fuki-no-tô, mais chaque livre peut se lire individuellement ou dans le désordre. En effet, si certains personnages apparaissent dans plusieurs ouvrages, la construction délicate et totalement maîtrisée permet de lire chaque livre comme une bulle autonome, puis ensuite de les faire se frôler, se rencontrer, se croiser.
Des univers à observer, à effleurer, pour une lecture douce et hors du temps.
Plus d’informations sur le site de l’éditeur.
Quand le ciel pleut d’indifférence d’Izumi SHIGA : Un homme dans sa ville natale désertée, près de Fukushima
Yôhei Yoshida a la quarantaine. Il se promène dans les rues de sa ville natale. C’est là qu’il vit depuis qu’il est revenu de Tokyo pour s’occuper de sa mère malade. Mais depuis l’accident nucléaire, la ville est déserte.
« Le lendemain de la catastrophe, les habitants se sont enfuis dans la panique à l’annonce de l’explosion de la centrale nucléaire. La clinique Yasaka aussi, ne sachant plus où donner de la tête avec tous les malades et les blessés, a fermé ses portes ) la fin de l’après-midi. Cependant, moi, je n’ai pas fui. Je ne pouvais pas m’enfuir. Debout devant ma porte, je suis resté à fumer cigarette sur cigarette en regardant distraitement le soir tomber sur le quartier que les voitures n’arrêtaient pas de traverser sans s’arrêter. Jamais je ne pourrai oublier ce que j’ai ressenti alors. Il me semblait que je me dépouillais de toutes sortes de choses, et l’épouvante m’a saisi à l’idée que moi aussi j’allais me retrouver complètement vide. »
Seuls les animaux sont encore là. Il y a les chats que nourrit Reiko Mimura, bénévole dans une association de protection des animaux. Et il y a Henry, le chien de la clinique Yasaka. Le pauvre a été abandonné, attaché, dans une cage. Lorsque le narrateur revoit cette cage, il replonge trente ans en arrière : il venait nourrir le paon qui se trouvait alors dans cette cage. Il aimait venir là et converser avec Misuzu, la fille du directeur de la clinique. C’était avant, avant le drame qui marqua profondément son enfance et sa vie. Et la silhouette du paon majestueux hante encore son esprit.
Entre un passé douloureux et un présent fantomatique, Yôhei tente d’avancer. Son quotidien est rythmé par les soins à sa mère qui ne quitte plus son lit, les courses au supermarché, les trajets en voiture dans des rues désertes, près des marais cimetières jonchés de déchets. Des images des rues joyeuses de son enfance lui reviennent en mémoire. Un cirque, des boutiques … et le salon de coiffure de ses parents.
Nourrir les animaux devient vital pour lui :
« Je remplissais mes poches de croquettes et, ici et là, chiens et chats pointaient leur museau. Je ne m’étais pas pris d’amour pour les animaux. Je ne me sentais pas attendri à la vue d’un chien ou d’un chat. Je n’avais pas la présomption d’imaginer que je pouvais secourir quelqu’un grâce à un illusoire sentiment d’amour. Simplement, quand je donnais à manger à un animal, je ressentais de façon palpable que j’étais intégré au monde.«
Parler avec Reiko, évoquer leurs passés respectifs, est également une source de vie, alors que sa mère se meurt petit à petit dans le silence.
Le récit est celui d’un cheminement intérieur, d’une remise à plat de sa vie, de son passé. Arrêter de fuir, regarder en face tout ce qui s’est passé, comprendre, réparer, se réconcilier avec soi-même pour pouvoir enfin avancer.
Un mélange doux et amer de tristesse et de petits bonheurs, de désolation et de beauté, d’errance et d’attention à l’autre, de fêlure et de réparation, de passé et de présent, de besoin de mémoire et d’envie de futur.
Un livre précieux !
« Chaque endroit me rappelait des souvenirs. Chaque chose me rappelait des gens. La mémoire n’était pas dans ma tête, elle était au bord de la route, elle était au détour d’une rue. Les souvenirs affluaient à ma mémoire. De même qu’on se souvient d’une ville, de même la ville se souvient de nous. Je pense que je fais partie de la ville, tout comme la ville est une partie de moi-même. »
Plus d’informations sur le site de l’éditeur.
La grande traversée de Shion MIURA : la création d’un dictionnaire
Voici un livre au sujet déroutant : comment se crée un dictionnaire ? Malgré ou grâce à ce sujet original, le livre a connu un grand succès au Japon : il s’est vendu à 1 300 000 exemplaires, a été adapté au cinéma et sous forme de dessin animé !
Dans une maison d’édition japonaise, Araki travaille au service des dictionnaires avec une équipe réduite, dans une annexe poussiéreuse. L’argent manque, mais la passion est bien là. Depuis trente-sept ans, il travaille avec une motivation sans faille, mais l’âge de la retraite approche et il doit se trouver un remplaçant. Ce sera Majimé, un jeune homme atypique, aux cheveux ébouriffés, maladroit, souvent la tête ailleurs, se posant toutes sortes de questions sur le sens, les sens des mots. Celui du mot amour le laisse particulièrement dubitatif, n’ayant, à vingt-sept ans, pas encore connu ce sentiment … jusqu’à ce qu’il tombe sur la petite fille de sa logeuse, la belle Kaguya, passionnée de cuisine comme il est passionné de mots.
Une petite galerie de personnages attachants, passionnants prend vie sous les yeux du lecteur : Majimé qui reprend la direction du service et la création de La grande traversée, dictionnaire de deux cent trente mille mots, près de trois mille pages, une tâche qui lui prendra quinze ans, Nishioka, tout le contraire de Majimé, franc, dragueur, extraverti, parfois lourd dans ses remarques et ses blagues, mais finalement ami et soutien précieux, Madame Sasaki, secrétaire et grande organisatrice des tâches de l’équipe (souvent aidée par des dizaines d’étudiants en lettres), Araki qui continuera à apporter son aide et son expertise même parti à la retraite, le Professeur Matsumoto, directeur éditorial, ami de longue date d’Araki, qui a consacré sa vie aux dictionnaires, démissionnant même de son université pour être totalement disponible pour se travail titanesque. Puis il y aura Midori, arrivée du service magazine féminin, réticente au début, mais vite dévorée par la même passion pour ce dictionnaire. Sans oublier Kaguya et sa passion pour la cuisine.
Le lecteur se prend de passion pour la construction du dictionnaire, la recherche des mots justes pour définir un mot, la suppression des mots désuets, l’ajout de nouveaux mots, de nouvelles définitions. Même le papier qui servira de support aux mots est l’objet d’attentions et de discussions. Il faut le toucher, le regarder, tourner les pages pour vérifier la facilité du geste, tester l’encre, l’épaisseur, la transparence, la couleur. Et quand le bouclage arrive et que l’annexe ressemble à une ruche, le lecteur jubile !
Les personnages sont décrits avec précision, tant sur le plan physique que surtout psychologique et affectif. Leurs doutes, leurs obsessions, leurs émotions, leur façon de les exprimer ou de les garder pour eux, leur quotidien envahi par les mots, le crayon et le carnet qui ne sont jamais loin, les échanges, les discussions passionnées.
La parole à Kaguya sur l’importance des mots :
» J’ai commencé mon apprentissage avant d’avoir vingt ans. Mais ce n’est qu’après avoir rencontré Majimé que j’ai compris l’importance des mots. Selon lui, notre mémoire est faite de mots. Nos souvenirs peuvent être ravivés par des parfums, des goûts, des bruits, mais en réalité ce qui se passe est que quelque chose qui sommeillait en nous se transforme en mots.
Elle continua, tout en lavant des assiettes.
Lorsque nous mangeons quelque chose qui nous paraît délicieux,jusqu’à quel degré sommes-nous capables de nous en souvenir en mettant des mots sur cette sensation? Majimé,qui consacre sa vie aux dictionnaires, m’a fait prendre conscience du fait que c’est une faculté primordiale pour un cuisinier. »
On s’attache à cette petite famille, et la tristesse envahit le lecteur quand il faut refermer le livre après avoir partagé quinze ans de création, de joie, de désillusion, de patience, de peine parfois, mais surtout d’amour pour les mots, pour les livres, pour cette Grande traversée que l’on rêverait de toucher !
Un monde passionnant qui donne envie de se plonger dans un dictionnaire une fois le livre fermé !
« On peut dire d’un dictionnaire que c’est une cristallisation de la sagesse humaine, non seulement parce qu’il accumule les mots, mais surtout parce qu’il incarne l’espoir au sens propre du terme, l’expression de la volonté inébranlable de ses auteurs. »
Saluons au passage le difficile travail de traduction d’un tel livre (les mots japonais et la subtilité des différentes écritures et des différents sens), effectué brillamment par Sophie Refle.
Plus d’informations sur le site de l’éditeur.
Il ne vous reste plus qu’à faire votre choix et à plonger dans des histoires originales et touchantes !
J’ai adoré le Shimazaki (comme toujours!) mais été déçue par le Shion Miura. J’ai acheté le Shiga Izumi hier, un auteur que je ne connais pas encore. Vu le billet, je me réjouis.