Le Japon (enfin ?) prêt à recevoir des travailleurs étrangers
L’image peut paraître surprenante. En décembre dernier le journal Les Echos illustrait son article sur la nouvelle législation japonaise en matière d’accueil de travailleurs étrangers par une photo détonante qu’on vous laisse découvrir ci-dessous. Pour comprendre les tenants de ce débat électrique ayant agité la classe politique japonaise, Journal du Japon vous en dit plus sur cette nouvelle législation qui entrera en application en avril prochain.
Avant toute chose, de quoi parle-t-on exactement ?
Le Japon fait face à une pénurie de main d’œuvre dans de nombreux domaines peu qualifiés : restauration, bâtiment, services aux personnes âgées, agriculture, nettoyage… Pour pallier le manque de bras, résultante notamment du vieillissement de la population de l’empire du Soleil Levant, le Gouvernement conservateur du Premier ministre Shinzo ABE a décidé d’ouvrir ses frontières à plusieurs centaines de milliers de travailleurs étrangers sur les 5 prochaines années.
Malgré un taux de chômage de 2,5%, les voyants restent néanmoins au rouge dans l’archipel nippon où une grave pénurie de travailleurs peu qualifiés laisse apparaître les maux dont souffre le Japon : des habitants vieillissants et un faible renouvellement de la population (1,44 enfant par femme en moyenne).
La révision de la loi immigration adoptée par le Parlement le 8 décembre 2018 sonne comme une évidence voire une obligation dans un pays qui compte 1,2 million de travailleurs étrangers pour près de 128 millions d’habitants. Ces travailleurs sont pour la plupart issus de Chine et des pays d’Asie du Sud-Est (Cambodge, Vietnam…). Il s’agit d’une demande répétée des milieux professionnels nippons. Les dirigeants n’avaient de cesse depuis plusieurs années de demander une révision de la législation en matière d’accueil de travailleurs étrangers.
Jusqu’à la dernière minute, les opposants à la loi ont tenté de faire échouer le vote. Cela a même donné lieu à des scènes ahurissantes où les élus ont failli en venir aux mains pour empêcher le déroulement du scrutin.
Que dit précisément cette loi ?
Entrant en application en avril prochain, cette nouvelle législation prévoit la délivrance de plus de 350 000 visas qui regroupent deux catégories.
Au préalable, on peut souligner les conditions d’attribution très strictes du premier type de visa. Derrière cela, le but affiché est d’empêcher les candidats au départ de s’installer durablement au Japon et de s’assurer qu’ils repartiront au terme de leur visa qui implique pour ce faire de savoir parler un minimum le japonais et de justifier de qualifications professionnelles. A cela s’ajoute le fait que ces travailleurs qualifiés pourront résider 5 ans sur le territoire nippon mais sans leur famille.
La deuxième catégorie de visa s’adresse pour sa part aux étrangers hautement qualifiés qui, eux, pourront venir s’installer au Japon avec leur famille. Il sera possible pour cette typologie de candidats de prétendre à une résidence permanente après avoir vécu 10 ans sur le sol japonais. On parle ici d’emplois à forte valeur ajoutée dans le domaine médical ou universitaire par exemple.
Une levée de boucliers à nuancer… ou pas
Dans un pays qui a toujours revendiqué au travers de son histoire une homogénéité culturelle et une culture de non-immigration, la perspective d’une arrivée « massive » d’étrangers a donné lieu à une levée de boucliers qui prend différentes formes. Des voix s’élèvent notamment pour décrier dans ces nouvelles dispositions une incidence directe sur les salaires qui seront tirés vers le bas et la difficile intégration de travailleurs immigrés. En clair, les opposants craignent des problèmes de sécurité, des tensions ethniques et des craintes quant aux coûts que cela engendrerait pour la sécurité sociale nippone… Des fantasmes sécuritaires tranchant avec la réalité que vit la majorité des immigrés occupant à ce jour des postes peu qualifiés et qui inquiète un bon nombre d’organismes humanitaires qui craignent que des conditions décentes de travail ne soient pas assurées pour ces futurs arrivants.
En effet, ces dernières années le Premier ministre Shinzo ABE avait dopé l’arrivée temporaire de travailleurs étrangers sur le sol japonais en mettant en place un programme d’accueil de « stagiaires techniques » majoritairement issus d’Asie du Sud-Est. Liés à un employeur par un contrat unique de 5 ans, ces derniers étaient soumis à de rudes conditions de travail sans aucune possibilité de se plaindre. Une exploitation qui ne disait pas son nom mais qui est à l’origine de nombreux accidents de travail dissimulés et de maltraitance dans des secteurs réputés difficiles (usine, restaurants, exploitations agricoles…).
Pour un pays qui pendant des siècles est resté fermé au reste du monde, l’enjeu est de taille. L’avenir nous dira si le pays du Soleil Levant relèvera ce défi d’une intégration harmonieuse des personnes désireuses de s’installer dans l’archipel.