[Interview] Noriyuki ABE : rencontre avec un réalisateur spécialiste du blockbuster
Bleach, Black Butler, Yû Yû Hakusho… De grands noms connus par la majorité d’entre nous, fans de l’animation japonaise. Mais que savons-nous vraiment des personnes qui gèrent et produisent ces œuvres ? C’est à Paris Manga que Journal du Japon a eu la chance de rencontrer Noriyuki ABE, directeur, producteur et même storyboarder de ces géants du petit écran.
Réalisateur de blockbuster
Fraîchement diplômé de l’université de Waseda, Noriyuki ABE intègre en 1986 le célèbre studio Pierrot, grâce auquel démarre sa carrière dans le monde de l’animation. Si le succès ne se fera pas tout de suite, quelques années et quelques projets plus tard, sa renommée se dessine peu à peu grâce à son intervention en 1992 dans la réalisation de Yû Yû Hakusho, l’adaptation du manga de Yoshihiro TOGASHI (Hunter X Hunter) dont vous avez sûrement entendu parler, quand bien même vous seriez trop jeune pour en avoir vu un seul épisode. Grâce à cela, son talent pour la réalisation de scènes de combat se fait reconnaître et fera de lui un expert en la matière.
Après deux films Yû Yû Hakusho, il continue sur sa lancée avec la réalisation de plusieurs séries shônen comme Flame of Recca, la petite série Makibao du Shônen Jump et bien sûr l’indémodable GTO (Great Teacher Onizuka) en 1999, pour ne pas nous rajeunir.
Après ça, le producteur s’accorde une petite pause d’un an dans ses projets et dans sa collaboration avec le studio Pierrot. Mais il revient en force en 2002 avec la réalisation de Tokyo Mew Mew, dont le style shôjô lui est quasiment étranger. Bien que, comme il nous le confiera, l’expérience aura été enrichissante pour lui, il retourne en grande pompe sur la voie du shônen et se voit confier une fois de plus la réalisation d’un blockbuster ultra populaire avec Bleach, dont la série et les films l’occuperont pendant pas moins de 8 ans (de 2004 à 2012). Il enchaînera ensuite jusqu’à aujourd’hui en officiant successivement sur Black Butler, Seven Deadly Sins, Arslan Senki, ou encore tout récemment Boruto Next Generation.
Dans les coulisses d’une ascension fulgurante
Journal du Japon : En 1992, vous commenciez la réalisation de Yû Yû Hakusho. Pourriez-vous nous parler des différences entre les moyens techniques utilisés alors et ceux d’aujourd’hui pour la création de séries et de film d’animation ?
Noriyuki ABE : À l’époque, les anime étaient réalisés image par image sur film cellulose, cela demandait un temps considérable. Aujourd’hui, tout est fait sur ordinateur. Cela laisse plus de temps pour travailler sur un projet. En revanche, le fait d’avoir plus de temps grâce à ces progrès technologiques peut se révéler être un vrai défaut : maintenant, les équipes se mettent à l’ouvrage et se donnent vraiment à fond quand arrive la date limite, et c’est assez compliqué à gérer quand on est soi-même impliqué dedans du début à la fin.
Quelle est la différence entre la réalisation de film et de série d’animation ?
Dans le cas d’une série d’animation, et surtout pour une longue série comme Bleach par exemple, on va pouvoir utiliser tout le matériel qui est indispensable pour une bonne adaptation de l’œuvre originale. Mais cela peut parfois demander du temps, alors il va falloir créer de petits épisodes originaux pour pouvoir combler le vide qui peut se créer suite à l’utilisation de tout le matériel disponible.
La différence avec un film, ou en tout cas dans le cadre de ce que j’ai pu faire, c’est l’idée venant souvent d’une volonté propre ou d’un scénario original de l’équipe ayant déjà travaillé sur la série, et c’est déjà quelque chose d’original par rapport à l’œuvre de base.
Une des grandes différences avec ce qui se faisait autrefois, c’est l’implication personnelle des auteurs qui vont eux-mêmes écrire le scénario pour les films. Par exemple, dans le cas de Seven Deadly Sins, l’auteur s’est directement plongé dans l’écriture d’un synopsis et d’une histoire originale pour le film, bien que cela ait été son premier.
Vous avez principalement pris en charge de la réalisation de shônen, mais en 2002 on vous a confié la réalisation et le storyboard de Tokyo Mew Mew, votre premier shôjô. Comment êtes-vous arrivé sur ce projet et qu’est-ce qui vous intéressait dans celui-ci ?
Tokyo Mew Mew paraissait dans le magazine Nakayoshi, qui était avant tout destiné aux jeunes filles, et j’avais déjà travaillé avec eux pour d’autres projets. C’était une continuité de notre collaboration, ils ont tout de suite pensé à moi pour faire cette adaptation, d’où mon implication dans Tokyo Mew Mew.
La difficulté pour moi était de travailler avec des doubleuses alors que je n’avais travaillé qu’avec des hommes auparavant. Il m’a fallu être particulièrement attentif pour ne pas les froisser ou les bousculer.
Aussi, l’œuvre visait avant tout une audience féminine, alors j’ai essayé de percevoir quelles pourraient être les attentes de ce public que je connaissais très peu.
Paradoxalement, même si je fais du shônen, beaucoup de fans de Yû Yû Hakusho, qui est un anime très masculin, sont des femmes finalement.
Et comment prenez vous en compte ces différents publics, masculins et féminins ? Par exemple dans le cas d’une série comme Black Buttler ?
Le gros souci avec Black Butler, c’est que 100 % des fans au Japon sont des femmes alors que le manga est classé comme étant shônen. Il fallait que je sois particulièrement attentif à ce niveau-là. Par exemple, il y a des phrases qui sont dites dans le scénario sans avoir forcément d’importance, mais que le public féminin pourra prendre d’une toute autre façon.
Souvent, vous avez repris des séries à la suite d’autres réalisateurs, parfois pour quelques épisodes ou alors pour des saisons entières. Comment se déroule ce « passage de flambeau » entre réalisateurs ?
Au moment de reprendre Black Butler, je venais de terminer mon travail chez Pierrot et m’étais mis à mon compte, mais il m’était indispensable de continuer à travailler. J’ai donc pris ce projet mais sans forcément avoir à en discuter avec les autres réalisateurs. C’est l’auteur qui a proposé de faire des saisons 1 et 2 des créations originales qui ont peu de rapport avec l’œuvre de base. Le nombre de fans était déjà bien présent, il ne restait plus qu’à les satisfaire. Et c’est un peu le but de cette troisième saison qui va être plus fidèle au scénario du manga lui-même.
Yû Yû Hakusho, Bleach, GTO et tout récemment Arslan Senki. Ces séries impliquent des scènes de combat et même dans le cas du dernier, de batailles. Est-ce que cela représente des difficultés particulières ? Qu’est-ce que vous aimez dans les scènes de combat ?
En vérité, ce n’est pas vraiment moi qui choisis de faire des scènes d’action. J’ai été reconnu comme tel depuis Yû Yû Hakusho et les propositions de projets sont souvent liées à des connexions et des connaissances du milieu. Même si je souhaitais faire des scènes plus sentimentales, ça ne serait sûrement pas possible pour des raisons de production ou autre.
Pour terminer, pourriez-vous nous dire ce qui fait un bon anime shônen selon vous ?
Il y a une évolution avec le temps : à l’époque de Yû Yû Hakusho on recherchait plus des personnages de type Nekketsu, autrement dit un peu idiots au début mais très puissants et matures par la suite. Maintenant, le public cherche plutôt des personnages intelligents mais qui ont des faiblesses comme dans Boruto ou Bleach. Mais il y a une évolution, et si on proposait aujourd’hui un personnage de type Nekketsu, je suis sûr qu’il ne passerait pas aussi bien aux yeux du public.
Un très grand merci à Monsieur ABE pour cette interview enrichissante, à Paris Manga ainsi qu’à Emmanuel BOCHEW son interprète et manager. Nous sommes impatient de retrouver le savoir faire de Monsieur Abe dans les projets à venir !