Miraï, ma petite sœur : la traversée du sang
Depuis douze ans qu’il a quitté la Tohei, Mamoru HOSODA ne cesse de répéter, à travers ses œuvres, les mêmes motifs, construisant minutieusement une filmographie placée sous le signe d’une humanité débordante, aussi bien d’énergie que de ses propres limites. À ce titre, Miraï, ma petite sœur semble être, de sa part, un évident cadeau de Noël, tant le film, à défaut d’être le sommet de sa carrière, semble en être la parfaite synthèse.
HOSODA à domicile : le réalisme magique
L’histoire se résume en peu de mots et rappellera sans doute quelques souvenirs douloureux à bon nombre d’aînés. Kun a 4 ans et vit dans un contexte idéal : des parents aimants, une maison somptueuse, une grand-mère énergique, et un chien pour jouer avec lui. Mais dans son petit monde surgit soudain Miraï, une petite sœur qu’il est loin d’avoir voulue, et qui rapidement, lui vole la vedette.
Le film s’ouvre ainsi comme une véritable chronique familiale tout ce qu’il y a de plus classique. Le générique de début même, prend des airs d’album-souvenir, avec ses images fixes comme autant de photos, documentant la vie de la petite famille avant l’arrivée de Miraï, et ce de la plus plate des manières. Mais croire qu’HOSODA puisse se contenter de cela serait bien mal le connaître, et bien vite, une scène rappelle qui est aux commandes. Kun, face à une vitre, souffle pour faire de la buée, puis l’efface d’un geste de la main. La première fois, rien de spécial, sinon la route. Mais lorsqu’il répète l’opération, une voiture, celle des parents, apparaît derrière la buée, et, l’air de rien, c’est tout un symbole, que mobilise HOSODA en quelques secondes. Pour peu que l’on prenne le temps de regarder vraiment et de gratter la surface, ce qu’il y a à voir est bien plus intéressant que la morne réalité, et les histoires, grandes ou non, prennent pied, presque toujours, dans cet infime espace que le regard, entrainé ou innocent, met à nu.
En effet, si Miraï commence comme un film d’OZU animé, il s’emballe très vite pour se transformer en conte initiatique merveilleux. Délaissé par les adultes, Kun n’a d’autre choix que de s’occuper autrement et devient dès-lors le centre d’un petit monde fantastique autour duquel gravitent différents personnages. Parmi eux, Yuuko, le chien devenu un prince sans couronne ou Miraï no Miraï, littéralement la « Miraï du futur », qui donne son nom original au film. De cette galerie de personnages, rêveries de Kun ou véritables apparitions venues d’autres époques, HOSODA laisse, intelligemment, cela à la discrétion du spectateur, le film en tire ainsi toute sa force. Car leurs apparitions sont toutes mises en scène dans de véritables moment de féérie – ils ne se glissent pas dans la réalité, mais la modifient, la tordent et l’adaptent à leur personnalité, contribuant à enchanter le réel, dans tout ce que le terme a de plus fort, puisqu’il s’agit de le voir comme le voit un enfant de 4 ans. Un réservoir à aventures, à histoires, dont l’évocation devant les parents est saluée au mieux par un petit sourire, au pire par l’indifférence. Or, si les adultes ont perdu la capacité d’enchanter le réel, ou plutôt de voir la magie qui lui est inhérente, c’est bien cette capacité même que restaure HOSODA à son spectateur, en lui faisant percevoir le monde, littéralement, par des yeux d’enfants, ceux de Kun.
À ce sujet, HOSODA y va tout en nuance et en légèreté au niveau du graphisme et de l’ambiance générale. Afin de représenter parfaitement ce réservoir à aventures et les rêveries de Kun, seule la luminosité ambiante et quelques tonalités dans les couleurs évoluent. Ce qui fait que la réalité se confrontent étrangement avec le rêve, faisant partie peut-être de cette indifférence que ressentent parfois les parents aux paroles de Kun. Ou le questionnement de savoir si on est réellement dans un rêve ou non… Cette impression est même accentuée par moments par la musique qui accompagne parfaitement ces passages de l’un à l’autre. Une ambiance musicale qui permet également de faire ressortir les émotions de Kun et des personnes qu’il rencontre dans ces moments hors du temps. Notamment certaines scènes où on se sentirait presque oppressée par cette dernière, mais on n’en dit pas plus pour vous laisser le soin de vous faire votre avis.
Conjuguer la famille à tous les temps
Pour autant, Miraï est loin d’être un simple délire régressif, bien au contraire, et l’usage qui y est fait du merveilleux tiendrait presque du manifeste, sinon politique, du moins social, et définitivement, humaniste, comme pouvait déjà l’être Le Garçon et la bête, le précédent film de HOSODA. En effet, à la Miraï « du futur » répond la famille du passée, Kun étant confronté dans ses rêveries à différents évènements ayant marqué sa lignée. Or ces rencontres de l’enfant avec les histoires qui se sont écrites avant la sienne sur l’arbre généalogique de sa famille n’ont rien d’anodin. Rien d’anodin, non plus, à ce que Kun soit passionné par les trains, ces objets qui relient entre elles les villes, et donc les hommes, et qui, une fois lancés sur les rails, ne peuvent aller que droit devant. Dans les deux cas en effet, l’image est la même, ou plutôt, l’amour de Kun pour les trains se fait l’analogie de ce qu’est la famille pour HOSODA : un objet qui se construit dans le temps et qui, ne pouvant jamais se débarrasser de son origine, n’en va pas moins, toujours, de l’avant.
Au vu du rôle que jouent ces visions du passé dans Miraï, il semblerait même que HOSODA aille plus loin et qu’il affirme, dans un touchant enchainement de séquences dont il convient de préserver la surprise, que ce temps familial, est aussi une affaire de rêves. Des rêves qui se perpétuent de générations en générations, et plus encore, se répondent les uns aux autres. La cellule familiale se fait alors elle-même réservoir d’histoires comme l’était déjà le réel aux yeux de Kun. Néanmoins, ces histoires ne sont plus, une fois qu’elles passent par le sang, le privilège des enfants : déjà écrites, à venir, elles sont autant d’aventures sur lesquelles il convient de s’appuyer ou qu’il faudra, un jour, mettre en œuvre. Car grandir au sein d’une famille, qu’importe que l’on s’y aime inconditionnellement ou que des disputes viennent obscurcir le tableau, c’est grandir avec l’assurance qu’aux rêves et jeux de l’enfance, succèderont des histoires suffisamment puissantes pour protéger, face à la grisaille sceptique de l’âge adulte, ce que le monde a de plus magique et enchanteur.
Si Miraï, ma petite sœur n’atteint pas toujours les sommets d’émotion des Enfants loups, Ame et Yuki, si son approche fantastique semble plus sage que celle de Summer Wars, et ce malgré quelques séquences d’anthologie, ce dernier film de HOSODA prolonge les réflexions que le réalisateur mobilise depuis maintenant douze ans. Et si cette constance à elle seule justifie que l’on aille voir Miraï, sa poésie et sa générosité, aussi bien thématique que graphique ou technique, devraient achever de convaincre les plus réticents.