De la découverte de Cipango au Japonisme : partie 1/2
2018 est une année culturelle importante pour les amateurs de la culture japonaise. En plein événement Japonisme 2018 baptisé « les âmes en résonance », cette année, on célèbre les 160 années de relations diplomatiques entre la France et le Japon ainsi que le 150e anniversaire du début de l’ère Meiji (1868-1912), période historique d’ouverture du pays à l’Occident mettant fin au shogunat Tokugawa et sa politique isolationniste du sakoku. Journal du Japon a souhaité dédier un article à ce qu’est le japonisme. Depuis la mythique Cipango des récits de voyage de Marco Polo, le Japon a toujours fasciné les Occidentaux. Retour sur la découverte de l’archipel par les Nanban, les « Barbares du Sud », leurs échanges commerciaux, technologiques et religieux (« siècle chrétien ») qui, une chose est sûre, aura changé le cours de l’histoire japonaise mais aussi l’art en Europe et particulièrement en France en partageant un goût pour l’esthétique et l’harmonie.
Cipango, la mythique île des récits de Marco Polo
Inconnu des Grecs et des Romains, l’archipel nippon n’apparaît en Occident pour la première fois qu’en 1298 dans le récit de Marco Polo sous le nom de Cipango, d’après Jih pen kuo, la dénomination chinoise donnée au Pays du Soleil Levant écrits avec les sinogrammes 日本. Hors d’Asie, la première mention du Japon date de 886 de notre ère, sous le nom de Wâkwâk dérivé de son ancien nom Wa koku, par le géographe persan Ibn Khodadbeh. Le vaste Empire du Milieu appelait auparavant son voisin japonais, Pays des Wa avec l’idéogramme 倭 pouvant signifier nain alors qu’en fait, il signifiait plié ou courbé pour mettre en valeur la place du salut (o-jigi) et de la politesse dans la culture japonaise. Les Japonais lui préférèrent donc le kanji 和 qui avait la même lecture mais le sens de paix et harmonie.
Le nom Pays du Soleil Levant (Nihon en japonais), lui, aurait fait son apparition dans une missive du Prince Shōtoku Taishi (574-622) adressée à la Chine, « de l’empereur du soleil levant à l’empereur du soleil couchant ». Si en Occident, le christianisme conservateur a été un frein à la science et à l’exploration, en Orient, l’islam a été un moteur à la recherche de la Vérité, vecteur de progrès scientifiques et techniques en astronomie, optique et algèbre notamment, découvertes précieuses pour la navigation.
Dans son Livre des merveilles, le marchand vénitien Marco Polo, après 24 ans de voyages à travers le monde, décrit le Japon par ouï-dire, d’après des contacts avec les marchands arabes, qui eux-mêmes commerçaient avec la Chine. Son récit alimente le mythe d’un nouvel Eldorado… qui fera écho deux siècles plus tard à Christophe Colomb à la recherche des fameux trésors de Cipango en passant par l’ouest l’amenant finalement à découvrir le Nouveau Monde, les Amériques. Si la couronne espagnole s’appropria pour une bonne partie les terres du nouveau continent, c’est le Portugal avec Vasco de Gama qui établit en 1498 la première liaison maritime entre Lisbonne et le littoral de l’Inde en atteignant le port prospère de Calicut et ouvrant aux commerçants et missionnaires portugais la voie vers ces contrées asiatiques lointaines, jusqu’alors presque inconnues.
Sur le globe de Martin Behaim, il est écrit en allemand :
« Cette île de Zipangut se trouve à l’est du monde. Ses habitants adorent des idoles. Le roi n’y est assujetti à personne. Dans l’île on trouve de l’or en surabondance comme des pierres précieuses et des perles. Ceci a été écrit par Marco Polo, Vénitien, dans son troisième livre. »
Sur l’île, du nord au sud, on retrouve ces indications :
« forêt de noix muscade » / « forêt de poivre » / « l’île de Cipangu a son propre roi et langage, et on y adore les idoles » / « Cipangu où est produit beaucoup d’or » / « Cipangu est l’île de l’Orient la plus noble et riche en épices et pierres précieuses, et son pourtour est de 1200 milles »
Et si cela ne suffisait pas, une autre annotation en bas de l’île rappelle que « dans cette île sont produits de l’or et des épices en abondance ».
Au 13e siècle, Gengis Khan a réussi à fonder un puissant et vaste empire en ralliant les différentes tribus mongoles. Ses descendants ont fait prospérer l’empire mongol en conquérant la Chine, l’Iran, l’Irak, la Syrie, l’Anatolie et une partie de l’Europe orientale. Les hordes mongoles pillent et massacrent l’Europe centrale. L’empire est divisé en 4 khanats (régions) : la Chine de la dynastie Yuan créée par Kubilai Khan, petit-fils de Gengis Khan et Grand Khan (empereur mongol) en succédant à son frère en 1260 ; le Djaghataï au centre ; les Ilkhans au sud-ouest (Iran, Irak et Syrie) au Moyen-orient et la Horde d’or au nord ouest (Russie et Europe orientale). Le peuple des steppes se sédentarise : les Mongols sont absorbés par les civilisations chinoise et perse ; les traditions mongoles sont préservées par la Horde d’or et au centre de l’empire.
Pour éviter la destruction et les pillages, les peuples conquis paient un tribu. Comme aux premier et deuxième siècles où les régions contrôlées par les Romains (Pax Romana), les conquêtes mongoles ont permis une stabilisation et une relative paix en Eurasie facilitant les échanges commerciaux à travers toute la zone, de la Perse à la Chine. C’est grâce à cette Pax Mongolica que l’explorateur Marco Polo a pu voyager sans grand risque sur la route de la soie pendant près de 20 ans. Trois ans après avoir quitté Venise, Marco Polo est accueilli par Kubilai Khan à sa cour fastueuse. A son service, en tant qu’envoyé de l’empereur mongol, avec escorte militaire, le marchand et ambassadeur vénitien entreprit plusieurs missions entre 1271 et 1295 à travers les contrées asiatiques sous contrôle mongol. Si le Livre des Merveilles est le récit de tous ces voyages, il aurait très bien pu s’intituler le Livre de Kubilai Khan car le cœur du livre n’est pas l’histoire de Marco Polo mais bien celle de l’empereur mongol et de ces terres. Ce sont ses talents de narrateur et d’observateur qui ont dû séduire le Grand Khan.
Loin d’être l’archipel doré des légendes, le Japon était tout de même doté de matières précieuses (or, argent) permettant au Pays du Soleil Levant de développer un art alliant beauté et raffinement. Les artisans japonais maîtrisaient depuis des temps très anciens le travail de la laque, résine issue du latex pour ornementer boîtes, coffres, écritoires et divers objets destinés à la noblesse. Ces œuvres arrivaient jusqu’en Chine en guise d’offrande au Fils du Ciel (Empereur chinois). Marco Polo a eu la chance de pouvoir admirer ces coffres de laque et d’or à la Cour de Kubilai Khan : il s’en procura un pour le remettre au Pape, personnage le plus puissant d’Occident à cette époque. C’est ainsi qu’en Italie (famille des Médicis) puis en France avec François 1er, Richelieu, Louis XIV et Louis XV et dans le reste de l’Europe, on se mit à la recherche de ces laques d’or (maki-e), véritables trésors nippons, les liens du sang entre les différentes couronnes européennes favorisant ainsi la circulation des œuvres d’art dans tout le continent. La plus grande collection appartenait à Marie-Antoinette, à qui elle devait ses premières pièces de sa mère, la reine d’Autriche.
Le parcours exact de l’explorateur reste incertain, son Devisement du monde n’étant pas un journal de voyage mais la description de choses susceptibles de piquer la curiosité du lecteur par leur exotisme ou originalité du point de vue européen. A cela, s’ajoute le fait que Marco Polo raconte les anecdotes plus de vingt ans après les événements, erreurs et confusions y trouvent une explication. Comme de grands personnages de l’histoire, des parts d’ombre ou de doute subsistent et amènent des historiens à se poser cette question : Marco Polo, explorateur ou imposteur ?
La découverte du Japon par les Portugais – le « siècle chrétien »
Depuis la sortie de La Découverte du Japon, les éditions Chandeigne ont regroupé plusieurs ouvrages sur le Japon dans sa collection Magellane qui tombent à pic en plein événement Japonisme 2018. Cette maison d’édition s’est spécialisée dans les récits de voyage du monde entier. A notre époque, nous autres Occidentaux, connaissons bien les Japonais mais deux siècles en arrière, il est amusant et instructif de voir comment les prêtres et marchands européens étaient étonnés et fascinés par ce peuple aux mœurs différentes et mystérieuses. Chaque livre de la collection apporte une partie du puzzle pour mieux comprendre les relations que nous avons tissées avec les Japonais. Le petit manuscrit écrit par le père Luís Fróis en 1585 après avoir vécu plus de 30 ans au Japon est intéressant à lire car il interroge sur la culture et les mœurs, ce qui est universelle, ce qui diffère entre le Japon et l’Europe mais aussi entre l’archipel et les autres pays asiatiques. Si les différences les plus évidentes sont d’ordre physique, l’observation ne s’arrête pas à ces détails morphologiques en comparant : les hommes et les femmes et leurs mœurs ; de l’éducation des enfants ; de la religion et des religieux ; des habitudes culinaires ; des armes et de la guerre ; de la vie quotidienne (maladies, écriture, habitations, du théâtre, des arts de la scène) ; des bateaux et de diverses autres petites observations. L’auteur est considéré comme l’un des premiers japonologue et ces lettres et écrits sont une source importante sur l’époque et les débuts du christianisme au Japon avec notamment son Histoire du Japon (en deux volumes 1583 – 1597).
Comme son nom l’indique, dans La Découverte du Japon, le cœur du livre revient sur la terre lointaine et mystérieuses de Marco Polo, Cipango en rassemblant les premières cartes qui deviennent moins fantaisistes et qui se précisent à partir du moment où les premiers portugais, les « barbares du Sud » débarquent au Japon. Cet ouvrage riche en cartes et illustrations regroupe les premiers témoignages de cette découverte en commençant, bien entendu, par le récit de Marco Polo en 1298 ; la quête de Cipango et le voyage de Christophe Colomb ; le récit de la découverte du Japon selon plusieurs regards (espagnols, portugais et japonais) sans oublier les lettres de Saint François Xavier, le missionnaire jésuite (de la Compagnie de Jésus) surnommé « l’apôtre des Indes et du Japon ».
Au 16e siècle, l’Espagne et le Portugal forme «l’union ibérique», une seule et même puissance surpassant la flotte anglaise. Cette alliance utilisa ces liens privilégiés avec le pape pour obtenir de celui-ci des missions diplomatiques vers l’Extrême-Orient. Pour rappel, depuis le schisme anglican, l’Église d’Angleterre n’est plus sous l’autorité du pape et de l’Église catholique romaine. Créée en 1534 par l’Espagnol Ignace de Loyola, la Compagnie de Jésus a reçu pour mission par le pape Jean III d’envoyer des jésuites vers les Indes orientales, puis en Chine pour « évangéliser les infidèles ». Arrivé à Goa en 1542, François Xavier a sillonné les océans pendant plusieurs années et a mené sa mission d’évangélisation principalement en Inde, à Malacca, ville conquise en 1511 par le Portugais Afonso de Albuquerque, les Moluques, îles productrices d’épices et la Chine.
François Xavier débarque au Japon alors en pleine guerre civile en 1549. Initialement, il avait pour projet d’obtenir de l’Empereur la permission de le convertir et de constituer une mission d’évangélisation du pays. Arrivé à la capitale, Kyoto, il comprend que le vrai pouvoir est entre les mains des seigneurs de provinces, l’Empereur et le Shōgun Ashikaga n’ayant plus d’autorité. Arrivé le 15 août 1549 au Sud Ouest, à Kagoshima (Kyūshū), François Xavier est bien accueilli par le daimyō de Satsuma. Certains hauts dignitaires nippons n’hésitent pas à se convertir à la nouvelle foi. Les échanges commerciaux avec les Portugais et les cadeaux luxueux des étrangers expliquent ces conversions intéressées quand bien même les Portugais connaissaient très mal la langue et les coutumes du pays. Dans les provinces où le seigneur est converti, de nombreuses conversions parmi les gens du peuple étaient observées. Si l’empereur Ogimachi se montre hostile à la foi chrétienne en publiant des édits en 1565 et 1568 pour interdire la nouvelle religion, Oda Nobunaga se montre, lui, tolérant et aide le missionnaire jésuite Luís Fróis en ne prenant aucune disposition politique contre les catholiques.
En 1605, un missionnaire chrétien estime à environ 700 000 le nombre de catholiques (Kirishitan) vivant au Japon. A la mort d’Oda Nobunaga, Toyotomi Hideyoshi termine la réunification du pays entreprise par son défunt maître. La situation change et se méfiant de la menace que peut représenter l’Espagne et le Portugal en apportant un soutien militaire aux seigneurs chrétiens de l’ouest de l’archipel, en 1587, il interdit aux dirigeants de se convertir. Il voulait à tout prix éviter de futurs rebellions et affrontements gardant en tête les combats qu’avait mené Oda Nobunaga contre la secte Ikkō-Ikki. Pour surveiller le commerce avec les Portugais dans la zone, il place Nagasaki sous son contrôle direct. Après la mort du « Singe » en 1598, Tokugawa Ieyasu reprend les rennes du pouvoir et est nommé Shōgun par l’Empereur en 1603. Il est sur la même ligne concernant le christianisme : il est contre cette nouvelle religion venue de l’extérieur qui peut être un cheval de Troie pour les puissances coloniales européennes mais est conscient des bénéfices que représente le commerce avec les Européens. Par son décret antichrétien de 1614, le Shōgun met un terme aux relations luso-japonaises. Leur prosélytisme religieux scella leur avenir sur le sol japonais au profit de marchands pragmatiques et dépourvus d’une quelconque mission évangélisatrice, les Néerlandais. Nous vous conseillons en lecture la série de 3 articles écrits par le CCFJT sur le catholicisme au Japon : « Une liberté lentement concédée par le gouvernement » ; « Les premiers temps » ; « D’une répression plus systématique à une éradication totale« .
Après avoir fait tant rêver les Européens durant deux siècles, la mythique île de Cipango du « Livre des Merveilles » de Marco Polo est enfin accessible aux premiers marchands et missionnaires européens. Les Portugais ont apporté à l’archipel l’arquebuse qui a joué un grand rôle dans l’unification du Japon. L’art Nanban avec ces nouveaux sujets (grands bateaux noirs portugais, les marchands, leurs serviteurs et les prêtres) se développa pour devenir très à la mode à l’époque Momoyama (1573-1616). Ses véritables œuvres d’art dorées, aux couleurs vives et au noir profond commandées par la noblesse et les riches marchands témoignent d’une attraction réciproque entre nos deux cultures, européenne et japonaise. Les conversions obtenues par les jésuites portugais ont entraîné une diffusion de l’art religieux : la croix et les initiales IHS (Jésus Christ) apparaissent sur les coffrets de laque, de nacre et d’or ainsi que sur les bols destinés à la cérémonie du thé par exemple. En 1583, le jésuite italien Giovanni Niccolò fonde à Nagasaki le Séminaire des peintres, académie d’art de peinture occidentale destinée aux églises et convertis catholiques japonais. Niccolò axe son activité sur des sujets religieux tels que le Salvator mundi (« Le Sauveur du monde », Christ rédempteur de Léonard de Vinci) et la vierge Marie. Le prosélytisme religieux portugais obligea le Shōgun à mettre un terme aux relations entre le Portugal et le Japon. Cette décision profita aux Néerlandais arrivés un demi-siècle après leurs rivaux portugais uniquement pour des activités commerciales : c’est en 1609 qu’ils installent leur comptoir commercial à Hirado. Après le « siècle chrétien » et l’arrivée des Portugais dans ce premier article, dans la seconde et dernière partie viendra le temps des « études hollandaises » (Rengaku) puis avec la réouverture du pays, le développement du japonisme, en Europe et en France particulièrement, où les artistes s’inspireront de la civilisation et de l’art japonais.
« Si en Occident, le christianisme conservateur a été un frein à la science et à l’exploration, en Orient, l’islam a été un moteur à la recherche de la Vérité, vecteur de progrès scientifiques et techniques en astronomie, optique et algèbre notamment, découvertes précieuses pour la navigation. »
Ceci est une remarque haineuse et partisane qui mériterait d’être signalée aux autorités.
Par souci de transparence, je suis agnostique et ne cherche donc pas à défendre une opinion personnelle, mais bel et bien à dénoncer un révisionnisme historique de votre part, ayant pour seule base la haine en diffamant une croyance au profit d’une autre.
Bonjour,
La citation n’est nullement haineuse vis à vis de la religion chrétienne. Au Moyen-Age, la religion a été en Europe un frein à la recherche et à la science. Dans le reste du monde, dans le monde musulman, il n’existait pas ce frein à la recherche (médecine notamment assez avancée pour l’époque dans le monde arabe). Il ne s’agit nullement d’opinion et encore moins d’une attaque contre les croyants et leur foi. Le parallèle entre la foi chrétienne (Europe) et l’islam (monde arabe) n’est nullement du prosélytisme en faveur d’une religion : il ne s’agit ici juste d’une remarque comparative d’un point de vue historique. Je vous renvoie à cet article sur les Sciences arabes.
Cordialement,
David Maingot