Gaming Memories #15 : Tôhô Rei’iden
Bienvenue dans ce quinzième numéro de Gaming Memories. Cette fois-ci, nous retournons en novembre 1996 sur le PC-98 de NEC – la petite miko Reimu HAKUREI nous attend. La destination ? Le premier épisode de la série Tôhô Project. Prêts à explorer les Enfers ou le sol des démons ? Alors… c’est parti !
Le talent n’a pas d’âge
On sait assez peu de choses sur la création de ce premier épisode de Tôhô (aussi appelé Touhou, étant des « o » longs). Son créateur, connu sous le pseudonyme ZUN, est à ce moment un jeune homme de dix-neuf ans. Il est à l’Université et est pourtant scénariste, développeur, designer, compositeur et graphiste – bref, c’est réellement son jeu.
Tôhô Rei’iden (東方靈異伝) ou Tôhô : The Highly Responsive to Prayers fut présenté pour la première fois au public en novembre 1996 lors du vingtième Hatoyama Matsuri, un festival local qui avait lieu à l’université de Tokyo. Là, il a pu être testé par les intéressés. Cela a été son premier « lancement », et il a été ensuite commercialisé lors de la cinquante-deuxième édition du Comiket (ou Comic Market), un festival bi-annuel dédié aux créations indépendantes. Le jeu était déjà prêt depuis 1995.
Shrine Maiden to the rescue
Quelqu’un ou quelque chose vient de saccager le sanctuaire Hakurei. Reimu, la jeune fille au service du temple (Miko), ne compte pas laisser cela impuni. Elle rejoint la porte des Enfers et celle des démons en quête de punition du coupable.
A l’aide de l’Orbe Yin-Yang Hakurei, une sorte de grosse balle, elle va ouvrir le passage, niveau après niveau, en évitant de se faire abattre elle-même. Reimu ne peut se défendre directement, mais elle pourra compter sur l’orbe ainsi que quelques autres capacités pour s’en sortir et mener à bien sa mission au cœur des Enfers.
Entre Arkanoid et un rideau de balles
Le jeu se compose d’écrans fixes. A chaque tableau, il y aura un certain nombre de « Cartes » à détruire pour les finir. Certains comportent des plates-formes horizontales (pour compliquer un peu la donne) et autres warps qui font ressortir la balle à un autre endroit. Il y a également des « ennemis » qui tireront des pluies de « boulettes » sur Reimu. Ceux-ci sont indestructibles, seules les cartes peuvent être touchées.
Reimu peut se déplacer de gauche à droite et donc mettre des coups dans l’Orbe pour le faire rebondir. Elle est aussi capable de « glisser » rapidement, ce qui constitue une esquive plus vive et donne également une impulsion différente dans votre « allié ». Oui, « allié » car bien qu’il serve à mener à bien votre mission, il constitue aussi un danger : le moindre coup reçu par l’Orbe fait perdre une vie à Reimu. Il reste possible de lancer des projectiles, mais ceux-ci ne servent qu’à repousser la balle ou éliminer quelques tirs adverses. C’est donc une sorte de mélange entre Arkanoid (Taito, 1986) et un shoot’em-up. On peut aussi utiliser une « bombe » par niveau, mais au contraire des autres épisodes (et shoot’em-ups ou danmaku en général) où elle détruira généralement tout à l’écran ou endommagera un boss, elle a ici un risque d’échec assez haut.
Le jeu propose deux chemins différents : après avoir fini les cinq premiers niveaux, on a le choix entre aller en Enfer (Jigoku) ou dans le monde des démons (Makai). Les deux offrent des niveaux différents, avec quelques différences dans les obstacles, décors et boss. Chacun a également une bonne et une mauvaise fin.
Une petite production valeureuse
Ce premier Tôhô Project a un scénario simpliste, c’est sûr, mais cela ne l’empêche pas d’avoir un gameplay intéressant et original. Ce n’est pas un Shmup (Shoot’em-up) à proprement parler, mais le nombre de projectiles qui nous tombent dessus y fait nettement penser. Au final, ce concept simple devient assez vite addictif pour peu qu’on l’apprécie.
On a donc deux parcours différents, tous deux prenant environ une vingtaine de minutes à faire dans les difficultés les plus basses (il y en a quatre en tout : Easy, Normal, Hard et « Lunatic », le plus haut niveau de challenge). Si l’on apprend les niveaux et patterns des boss, le comportement de la balle mérite que l’on reste attentif, même si l’on tente de l’aiguiller. Il est logique mais on n’est jamais à l’abri de se la prendre dans la figure alors que l’on essayait de la repousser, dans le feu de l’action. Et sachant qu’il faut finir le jeu en un seul crédit pour obtenir la bonne fin, il faudra peut-être plusieurs tentatives avant d’obtenir cette dernière. Si jamais le jeu n’est pas assez compliqué pour vous, sachez que si vous traînez trop, des projectiles vous tomberont régulièrement dessus pour pimenter tout cela.
Certes, on se prend parfois sa propre arme dans le nez, mais le jeu reste réactif, rapide et fluide. Il n’y a aucun ralentissement malgré le nombre de tirs qui apparaissent parfois à l’écran, et la vitesse que peut atteindre la balle est satisfaisante. Pour un jeu qui demande des réflexes, c’est une bonne chose, mais on peut regretter que même avec cela, notre « swing » dans l’orbe passe dans le vide, nous faisant perdre une vie un peu injustement. Et il faut tout de même s’y faire, la maniabilité est contre-intuitive : on déplace le personnage à la main droite et tire ou frappe avec l’autre.
Toute cette aventure est rythmée, bien forcément, d’une bande-son. Passé un thème principal un peu criard à l’oreille, on tombe sur quelque chose de tout de suite plus correct. ZUN montre déjà qu’il a la fibre musicale en plus du reste. Même si l’on n’est pas encore au niveau de ce qui se fait à partir de la génération suivante (Touhou VI et suites), elle reste agréable – toujours en considérant le support sur lequel on est, bien sûr – et les mélodies sont en très bon accord avec le décor et l’ambiance voulue.
Tôhô Rei’iden a peu de décors différents, mais leur teinte bleu sombre et les quelques éléments de décors qui l’accompagnent offrent une vision d’un voyage en Enfer différent et étrange, loin de cette idée de chaleur et de flammes que l’on peut habituellement avoir. Pour peu, si cela avait été le but, on aurait pu avoir une production à tendance horrifique, voire malsaine, mais il n’en est rien. Cela, en plus de la bande-son, donne un cachet unique pour l’époque, et couplés au gameplay original, un voyage qui a sa propre personnalité. Il y a certes quelques petits défauts, la durée de vie est courte, mais c’est bel et bien une bonne aventure dans ce qu’elle propose. Pourtant…
Toujours plus de boulettes !
Un deuxième Tôhô Project est sorti en 1997. Celui-ci se lançait dans ce qui sera le genre définitif de la série : le Shoot’em-up. Reimu se déplace à dos d’une tortue volante, a les cheveux violets et il est assez facilement sarcastique. Et c’est plus ou moins le cas dans les trois épisodes qui suivront, tous sur PC-98. Un troisième jeu est commercialisé en décembre de la même année, et modifie cette fois encore la donne : on est à présent face à un shoot’em-up versus fighting. Tout simplement, l’écran est partagé en deux et le joueur, ainsi que l’ordinateur (ou un autre joueur) font le même niveau et doivent survivre le plus longtemps possible. Ce troisième jeu proposait sept personnages jouables (dont Marisa KIRISAME, qui deviendra un side-kick presque indissociable de Reimu). Puis, 1998 vit l’arrivée de deux nouveaux épisodes, à nouveau dans la plus pure tradition du Shmup, avec un nouveau personnage jouable de plus à chaque fois… le début du Danmaku (littéralement « rideau de balles », autrement appelé Manic Shooter) pour la série.
Il a ensuite fallu attendre quatre ans (2002) pour que Reimu revienne sur un nouveau support : le PC Windows. Grace à cela, les jeux pouvaient enfin être plus poussés, avec des systèmes d’exploitation plus puissants et à jour. ZUN se sépara en quelques sortes d’Amusement Makers (la maison d’édition des premiers jeux) pour former la Team Shanghai Alice. Le concept de Danmaku devint fixe sur la série, hormis avec quelques épisodes spéciaux (notés .5 la plupart du temps). Cette génération vit des jeux toujours plus poussés, avec une Reimu toujours accompagnée de Marisa et divers personnages à chaque épisode.
Sept nouveaux jeux sont sortis depuis la troisième génération en 2007. Celle-ci pousse le niveau de boulettes à l’écran toujours plus haut, avec toujours plus de personnages et une interface revue et plus conceptuelle. Plus difficile à voir, aussi ? Les patterns des ennemis sont de plus en plus poussés, imaginatifs et fous, mais cela a tendance à rendre ces festivals de couleurs de plus en plus difficiles à lire, entre tirs ennemis et bonus à foison. Toujours est-il que, depuis le septième épisode, la série supporte enfin la manette, la rendant un peu plus accessible. Se dire qu’il y a une seule personne derrière tout cela est hallucinant. Et la licence continue (le dernier épisode en date est le 16.5), et a toujours autant de succès. Voir toutes les productions dérivées autour en est la preuve…
Par-delà l’officiel
Hormis toutes les figurines dérivées et officielles, la communauté de fans s’est montrée plus d’une fois très active et talentueuse. Pour commencer, avec des jeux dérivés (donc des dôjin de dôjin… des productions indépendantes de productions indépendantes). Ces jeux en profitent bien souvent pour changer un peu le genre dans lequel Reimu et les autres vivent. Labyrinth of Touhou (et sa suite), par exemple, était un Rogue-like RPG dans lequel un nombre incalculable de personnages de la série se retrouvait dans une tour à faire des combats au tour par tour. Il y a même eu un jeu inspiré de Pokémon… Nippon Ichi Software s’est rapproché de la licence pour certains titres plus récents (Touhou Genso Wanderer, du même genre que LoT, Double Focus qui était un « Metroidvania »…). On aurait pu apprécier un remake du jeu original, mais il n’y en a jamais eu de vrai. Une version existe et semble réussie mais est restée à l’état de « poisson d’avril » (voire de troll ?). C’est bien dommage.
Les dérivés sont nombreux (il existe même un fangame en défilement horizontal… on sent qu’il a été fait à la normale puis incliné à quatre-vingt-dix degrés, mais la recette assez surprenante fonctionne bien). Le nombre de genre différents est assez impressionnant : plate-forme, « Metroidvania » donc, hack’n’slash et même quizz géant ou party game façon Wario Ware (pas encore sorti) !
Pour finir dans les œuvres dérivées produites par des fans (nous resterons dans le bon goût tout de même… et nous ne pouvons pas vraiment parler de « fan » pour cela…), il faut signaler un anime réalisé de façon indépendante, et pourtant très réussi. Il n’en existe qu’une dizaine d’épisodes (en tous cas fan-traduits en français). L’esprit des personnages, des décors et l’action y étaient bien présents.
Tôhô Project, série d’un seul homme, est partie de très peu et a gravi les marches de la popularité au fil des années. Si se procurer les jeux peut être un peu fastidieux (ils ne sont sortis qu’au Japon et donc disponibles qu’en import, si tant est qu’un PC de nos jours puisse lancer des softs aussi anciens), il faudra trouver des moyens détournés (le 16 est disponible sur Steam, ce qui est engageant pour la suite). Quoi qu’il en soit, si vous êtes un adepte des pluies de boulettes ou juste curieux du genre, cette licence vaut le coup d’œil !
Captures d’écran prises par JDJ. Crédits des autres visuels : Tous droits réservés ©ZUN, Team Shanghai Alice.