Omiai, le mariage de commun accord au Japon
Saviez-vous qu’en 2018, au Japon, les rencontres arrangées en vue d’un possible mariage étaient toujours d’actualité ? Cette tradition remonte à l’époque d’Edo, mais elle a bien sûr évoluée au fil du temps. Journal du Japon vous propose aujourd’hui de découvrir comment se déroule cette pratique appelée Omiai et ce qu’elle représente pour les jeunes Japonais.
Une tradition séculaire en voie de disparition
C’est à la période de Kamakura ((1185–1333) que les premières formes d’unions arrangées apparaissent. Elles avaient alors une visée stratégique et permettaient à l’aristocratie de créer des alliances, en mariant leurs filles ou en épousant une femme d’une famille rivale. Il faut toutefois attendre la période d’Edo ((1603–1868) pour que le rituel du mariage arrangé devienne plus populaire. La pratique s’ancre dans les mœurs, jusqu’à représenter jusqu’à 69% des mariages en 1930. Mais peu à peu, la société nippone se modernise et ces changements influent sur les coutumes, qui deviennent plus actuelles.
L’Omiai (お見合い) est peu à peu remplacé par les mariages d’amour tel qu’on les connaît en Occident. Les couples préfèrent désormais suivre un parcours classique, selon notre appréciation du terme, mais cela ne veut pas dire que le mariage arrangé a disparu ! Il représente encore environ 6% des mariages au Japon.
Mais aujourd’hui, choisir de rencontrer quelqu’un via un intermédiaire est une démarche
volontaire. Il existe désormais de nombreuses façons de trouver un partenaire, notamment les sites ou les applications de rencontres, et ceux qui passent par une agence ont soit échoué à trouver la bonne personne via ces canaux internet, soit ils ont passé l’âge considéré comme acceptable pour se marier.
Avant de s’intéresser plus en détail aux raisons qui font que le Omiai reste d’actualité de nos jours, découvrons comment se passe cette rencontre entre deux inconnus.
Le déroulement de l’Omiai, étape par étape
Au départ, ce sont souvent les parents qui intervenaient dans la vie de leur progéniture, en décidant que leur fils ou leur fille était prêt à être marié. Ils commençaient alors les recherches en envoyant le dossier de candidature (une photo et quelques informations), parfois à l’insu de leur enfant, à de potentiels prétendants ou à un intermédiaire.
Aujourd’hui, les mères de célibataires ont toujours une certaine importance, et ils existent des réunions ou ces femmes s’échangent les dossiers avec photo ou vidéo brèves de leurs enfants. Mais on a plutôt tendance à avoir recours à celui qu’on appelle le nakōdo (仲人, l’intermédiaire). S’il exerçait à titre individuel auparavant, ce sont désormais des agences matrimoniales spécialisées dans les Omiai qui s’occupent du processus de rencontre et qui envoient ces intermédiaires.
Lors de la première visite dans ce type d’agences, la personne célibataire, souvent accompagnée de son père et de sa mère, devra remplir une fiche de renseignements dans laquelle elle indiquera son âge, sa profession, ses revenus… Ce sont, pour les Japonaises et les familles, les facteurs déterminants dans le choix d’un époux. Mais les femmes se plieront aux mêmes règles. On trouve également des informations sur le physique, sur les passions ou sur l’état de santé du candidat. Sans oublier son signe astrologique et son groupe sanguin, qui revêt une importance capitale dans le choix d’une personne ; en effet, que ce soit au Japon ou en Corée du Sud, on pense que le type de sang détermine le caractère d’un individu !
Ensuite, les dossiers des potentiels candidats éligibles seront inspectés et la famille effectue une première sélection, d’un ou plusieurs partenaires. Le nakōdo devra alors approfondir les recherches sur chacun afin de définir quel candidat sera le plus adapté au célibataire présent, en fonction des attentes de la famille.
Quand un célibataire est choisi, il est temps d’organiser la première rencontre. Une requête lui est adressée et s‘il accepte, ce sera au nakōdo de choisir le lieu, la date et les horaires de ce premier rendez-vous. En règle générale, il prend place dans un hôtel, afin de préserver une certaine neutralité, et les parents accompagnent leurs enfants.
Cette première rencontre est très formelle et consiste surtout à une présentation des deux partenaires, qui seront introduits par le nakōdo. On peut se poser quelques questions, mais aucun sujet polémique ou sensible ne saurait être abordé. On laisse généralement quelques minutes aux deux principaux concernés pour se parler en tête à tête. Les familles se quittent et les candidats décideront alors s’ils souhaitent ou non se revoir. Si c’est le cas, les choses peuvent aller très vite. On attend des célibataires une prise de décision concernant cette union au 3e rendez-vous (mais rien n’est figé !).
En quelques mois, les préparatifs du Miai kekkon (見合い結婚, le mariage arrangé) se font et le couple célèbre ce mariage en compagnie de leurs familles respectives et des possibles invités.
L’Omiai, un procédé rassurant ?
Ce procédé de rencontre peut paraître désuet si on le juge avec notre œil occidental. Il convient de rappeler que les mariages arrangés sont encore très pratiqués dans de nombreux pays et que dans beaucoup de cas, l’avis de la femme n’est pas demandé. Au Japon, les décisionnaires finaux sont bien les potentiels mariés et il n’est aucunement question d’unions forcées. Mais alors qu’est ce qui pousse de jeunes hommes et de jeunes femmes parfois même pas trentenaires à demander de l’aide à des tiers pour dénicher un compagnon ?
Plusieurs raisons sont évoquées, mais la première est d’ordre social : une femme non mariéeaprès 30 ans est considérée comme anormale. L’âge du mariage acceptable est de 29 ans pour les femmes, 31 ans pour les hommes. Dans un schéma encore très traditionnel, qui rend impensable de se mettre en ménage et de faire des enfants avant d’être marié, la pression sociale qui s’abat sur les célibataires est énorme. Une expression populaire nippone compare même les femmes célibataires à un plat de nouilles –le toshikoshisoba – qui se consomme au soir du 31 décembre, ce qui signifie qu’il n’est pas bon après le 31. Une référence à l’âge de péremption de ces célibataires féminins, qui en dit long sur la mentalité actuelle et qui explique pourquoi le Omiai devient une solution envisageable.
Du côté des célibataires masculins, la donne est quelque peu différente. Les difficultés toujours plus croissantes que rencontrent certains jeunes à communiquer avec l’autre sexe (et qui font partie des raisons d’une crise démographique alarmante) et le manque de temps global n’aident pas à faire des rencontres. Dans les plus grandes villes, le rythme quotidien extrêmement soutenu ne laisse que peu de place à l’amour. Dans ces conditions, ceux qui souhaitent fonder une famille se tourneront volontiers vers une aide extérieure, telle que les agences de rencontres matrimoniales.
Enfin, il semble que certaines entreprises soient plus disposées à embaucher des hommes mariés ! Sous cette discrimination évidente se cache une triste réalité : les hommes qui ont une famille à nourrir seront bien plus enclins à subir des pressions internes et à travailler durement pour subvenir aux besoins de leurs proches.
Gôkon et Omiai Party : la rencontre nouvelle génération
Le Omiai est une technique de rencontre toujours d’actualité, qui possède de nombreux avantages : moins de concurrences que lors des Speed Dating, possibilité de cacher son passé car pas d’amis en commun, et c’est aussi une manière de s’élever socialement pour une femme, car les hommes qui se candidatent sont souvent aisées.
Mais les codes de rencontre de la jeune génération diffèrent des règles traditionnelles et on trouve désormais des méthodes de rencontres arrangés un peu moins formelles. Notamment celles ou les jeunes n’ont pas à subir la présence des parents ni à avoir leur consentement. C’est le cas des Gôkon, des rendez-vous entre amis ou collègues, qui prennent généralement place au restaurant ou en Izakaya. Durant ces rendez-vous, des groupes d’hommes et de femmes célibataires (de nombre égal dans l’idéal) échangent et discutent en vue de rencontrer celui ou celle qui leur plaît. Dans les années 70, on appelait ces réunions les Konpa (pour Company) et ils s’agissaient de groupes d’étudiants qui cherchaient une manière plus décontractée de faire des rencontres amoureuses. Aujourd’hui, le Gôkon (un terme provenant de gôdô konpa, réunion de groupe) permet de créer de nouvelles amitiés, mais la recherche d’un partenaire pour une relation longue durée reste l’objectif principal des participants.
Il existe désormais des Gôkon plus variés que cette version classique, permettant aux célibataires Japonais de se rencontrer lors d’événements spéciaux. Certaines villes organisent de Gôkon géants, au cours desquels les participants vont de boutique en boutique, de restaurants en cafés, pour rencontrer des célibataires de leur lieu de résidence. Une méthode qui permet aux petites villes japonaises de créer des couples, qui assureront le futur de la localité. D’autres Gôkon ont un thème précis (la cuisine, la littérature…) et certains prennent la forme de workshop mêlant apprentissage et rencontres conviviales.
L’autre solution pour trouver un mari ou une femme consiste à participer à des Omiai Party, qu correspondent à nos Speed Dating. Dans une salle, des femmes et des hommes ont quelques minutes pour apprendre à se connaître, avant qu’une cloche sonne pour signifier que les célibataires masculins doivent changer de table. Chaque participant rempli initialement une fiche avec des informations basiques, mais à la différence des femmes, les célibataires masculins doivent inscrire leur niveau d’études et leur revenu annuel. Un critère de sélection important, qui explique pourquoi on trouve des Omiai Party ou seuls les hommes disposant d’un haut salaire peuvent s’inscrire. On entrevoit ici que si l’amour est un sentiment noble, ce n’est pas forcément ce qui prime pour se marier. Un bon mari doit être capable d’entretenir sa famille s’il souhaite que le schéma traditionnel de la femme au foyer soir respecté.
Des couples heureux et des unions durables ?
C’est peut-être la grande question que vous vous posez : est-ce que ces couples qui se rencontrent par le biais d’un nakōdo ou lors de rendez-vous arrangés forment des unions durables ?
Les chiffres peuvent surprendre pour nous qui voyons le mariage comme une preuve d’amour (dans la majorité des cas), mais les divorces suite à un Omiai sont légèrement moins nombreux que les divorces successifs à un mariage amoureux plus classique. Très pragmatiques, certains Japonais considèrent l’amour comme un sentiment volatile, fragile, sur lequel il serait imprudent de baser toute une relation.
Même si la pratique de l’Omiai reste minime aujourd’hui, elle représente une l’alternative salvatrice pour certains célibataires. Dans une société Japonaise ou la pression sociale reste forte vis-à-vis des traditions, ces rendez-vous arrangés menant potentiellement à des mariages évoluent avec leur époque. De plus, certains participants aux Gôkon y voient une façon de sortir de la solitude, de passer un moment agréable en compagnie de nouvelles personnes. Mais peut-être sont-ils animés par l’espoir de trouver le véritable amour ?
Sources :
Women in the Language and Society of Japan: The Linguistic Roots of Bias, de Naoko Takemaru
Confidences du Japon: La vie au Japon et ses curiosités, de Muriel Jolivet, Jean-Paul Nishi
http://www.stat.go.jp/english/