Stéphanie Crohin vit au Japon et est tombée amoureuse des bains publics japonais, les sento, auxquels elle consacre une très grande partie de son temps et déjà deux livres publiés au Japon. Partez à leur découverte avec cette ambassadrice passionnée !
Stéphanie Crohin, photo d’Aude Boyer
Journal du Japon : Bonjour Stéphanie… Peux-tu te présenter aux lecteurs ?
Stéphanie Crohin : J’entame ma 8e année au Japon. J’y ai habité en 2008 pour un an d’échange universitaire à Tokyo, puis je suis revenue en 2012 pour le travail. Après avoir travaillé 4 ans dans différentes entreprises japonaises tout en travaillant avec les sento depuis plusieurs années, je suis free-lance depuis 2016.
Mon activité est principalement autour des sento mais je suis aussi guide touristique et je m’occupe également de l’arrivée des expatriés. Mes semaines sont principalement partagées entre ces trois activités.
Concernant mon activé autour des sento, je suis auteure, photographe, conférencière, guide et tout simplement spécialiste des bains japonais, « sento ». Depuis 5 ans je suis membre du comité des sento à la mairie de Tokyo, et en 2015 j’ai reçu le titre officiel d’ambassadrice des sento du Japon.
J’ai actuellement visité environ 800 sento à travers le pays et j’essaye de faire mon possible pour les soutenir et les faire connaître dans le Japon et dans le monde afin que cette culture que je trouve magnifique ne se perde pas.
Les sento sont moins connus que les onsen chez les Français. Peux-tu expliquer la différence entre sento et onsen ?
« Onsen » désigne en fait la qualité de l’eau, une eau thermale, une eau riche en nutriments. Souvent on a l’image un ryokan avec un bain lorsque l’on entend parler de onsen, cependant, il existe beaucoup de onsen-sento. Les sento utilisant pour la plupart de l’eau puisée en profondeur, on peut trouver de nombreux « onsen », ou une eau proche (pour être qualifié de onsen il y a des réglementations par rapport aux minéraux présent dans l’eau et au pourcentage de ceux-ci). On trouve environ 45 onsen-sento à Tokyo (même beaucoup de Japonais l’ignorent) et selon les régions du Japon, il se peut que tous les sento soient des onsen, par exemple à Oita, Kagoshima, vers Izu aussi.
Les sento sont des établissements gérés par des familles de générations en générations qui sont en quelque sorte des « artisans de l’eau », certains sont encore chauffés au bois, mais de nos jours très souvent au gaz. Les bâtiments et intérieurs de ces maisons de bains sont très différents les uns des autres et comportent tous une histoire. Les sento sont généralement publics et font souvent partis de l’association des sento (il arrive que certain n’y entrent pas ou en sortent cependant) . Lorsque l’on entre dans cette association les prix sont décidés par grandes villes ou par régions.
Les sento sont autorisés en majorité aux personnes tatouées (je ne suis peut-être tombée sur 4 ou 5 d’entres eux qui les interdisaient sur les 800), à ne pas confondre avec les super sento qui sont de très grands établissements privés (des sortes de Disney du sento) dont il ne sera pas question ici.
Matsu no yu
Comment es-tu « tombée » dans les sento ?
En 2008 pendant mon échange universitaire une amie m’a conviée à l’accompagner dans un sento après les cours. J’avais une idée vague de la chose sans savoir exactement comment étaient ces lieux et comment ils allaient changer ma vie.
Lors de cette première expérience comme la plupart des personnes, n’étant pas habituée à exposer ma nudité j’ai été au début un peu gênée, mais cela a duré tout au plus 5 minutes. Les autres femmes ne vous regardent ou ne vous jugent pas, tout le monde est a l’aise et je me suis vite rendu compte que j’étais la seule à m’en faire.
Aujourd’hui c’est moi qui rassure les personnes que je guide dans les bains pour la première fois, en fait souvent je ne parle même pas de la nudité dans les bains car c’est devenu un quotidien et c’est tellement naturel pour moi, mais pour les personnes un peu inquiètes, je leur dis toujours qu’au bout de 5 minutes elles n’y feront même plus attention et qu’au contraire c’est un lieu où l’on oublie ses complexes.
Lors de ma première expérience dans les sento j’ai découvert non seulement les bienfaits sur le corps et le côté très relaxant mais aussi la communauté. En effet les bains sont des lieux où les gens se retrouvent, ou l’on partage un peu de sa vie avec d’autres. La nudité aussi contribue énormément à cet état d’esprit car plus personne n’a de signes distinctifs de sa classe sociale, de sa richesse ou non, tout le monde au même niveau -il y a bien sûr un respect des plus âgés que soi- mais les sento sont un des rares endroits où on laisse tout dans son casier et pas de « tatemae ».
Dès la première fois je suis tombée amoureuse des sento, je n’étais encore pas très à l’aise en japonais mais les habituées ainsi que le propriétaire du sento (qui est aujourd’hui un peu comme ma famille au Japon) s’est montré très sympathique avec moi, j’ai donc renouvelé l’expérience chaque semaine, avec une amie nous y allions pour nous relaxer, faire nos petits soins de beauté, papoter, être en contact direct avec cette culture à la fois « profonde » et à la fois quotidienne du Japon.
Puis en 2009 je suis repartie du Japon et après 1 an et demi en France et 2 à Djibouti je suis revenue en 2012 sollicitée par une entreprise japonaise qui me proposait de venir travailler pour elle.
Je reviens donc en 2012 dans un contexte complètement différent de mon séjour précédent, cette fois employée d’une entreprise japonaise, seule étrangère. Dès la première semaine j’ai remis en question ma décision du retour, passons les détails mais commencer dans une entreprise japonaise n’a pas été de tout repos et s’est accompagnée de beaucoup de stress. Mais à ce moment là je me suis rappelée des sento et du bien-être qu’ils procuraient et je suis donc allée à celui qui se trouvait près de chez moi. Je me suis tout de suite sentie mieux et à mon aise, et très vite c’est devenu le rendez-vous que j’attendais quotidiennement, telle une récompense après la journée de travail.
En cherchant un peu j’ai découvert avec joie que Tokyo comptait beaucoup de sento, en 2012 autour de 800. J’ai donc commencé à les explorer et découvrir que chaque sento était différent, que chaque sento avait ses propres charmes.
Je suis retournée dans le sento que je fréquentais en 2018 et je fus agréablement surprise que le propriétaire se rappelle de moi. J’ai donc voulu en savoir beaucoup plus et j’ai étudié avec lui ce que c’était qu’un sento, comment était l’envers du décor en quelques sortes. J’ai tristement appris que la culture se mourrait et que petit à petit les sento disparaissaient, il y a 50 ans Tokyo en comptait environ 2700, de nos jours ~ 530.
J’ai donc décidé non seulement de continuer à les explorer mais aussi de partager mon expérience sur les réseaux.
En soutenant non seulement les sento de Tokyo mais également les sento en région qui disparaissent encore plus vite.
Hotta yu
Tu y vas presque tous les jours ? Quels bienfaits cela t’apporte au quotidien ?
Je m’y rends en moyenne 5 fois par semaine.
J’aide aussi un sento près de chez moi 2 ou 3 fois par semaine, en soirée je suis à l’accueil puis j’y prends mon bain avant de rentrer. Le reste du temps je vais un peu partout et parfois y entre tout simplement en passant devant sans l’avoir prévu.
Quand j’explore un coin que je ne connais pas il arrive que j’en fasse 3 à la suite comme je ne peux pas choisir lorsque plusieurs sont dans le même quartier.
Et lorsque je suis en déplacement pour visiter les sento en région il m’est déjà arrivé d’en visiter 6 en une journée (je ne reste évidement que ~20 minutes dans les bains dans ces cas là), mais la plupart du temps j’y vais tranquillement entre 40 min et 1h selon si j’y vais seule ou accompagnée.
Je m’y rends parfois avec mon mari, ou mes amies, c’est un moment agréable où tout en profitant des bains nous papotons.
Concernant les bienfaits des sento il y en a de nombreux, notamment sur la santé, depuis que je fréquente les sento je ne m’enrhume presque plus (vous n’avez pas besoin de vous y rendre 5 fois par semaine comme moi pour cela, deux suffiront largement), je pense qu’on peux parler de santé mentale également grâce à la relaxation que les sento procure, lorsque j’ai vraiment passé une mauvaise journée, que je me sens contrariée ou énervé un petit tour aux bains me font généralement oublier les sentiments négatifs.
On détoxifie son corps aussi et la peau est plus belle. La chaleur de l’eau mais également les minéraux de celle-ci y contribuent largement. On dit aussi que les sento ont des effets sur le vieillissement, je vous donne donc rendez-vous dans 50 ans pour voir à quel point je suis restée jeune ^^
Le nombre de sento baisse d’année en année, penses-tu que ce phénomène soit irréversible ? Est-ce que tu sens une nouvelle dynamique ?
En 2017, 40 sento ont fermé leur portes à Tokyo et encore plus en région. Le phénomène n’est pas irréversible mais avec plus de clients et en faisant découvrir de plus en plus ces lieux on peut, je pense, espérer en préserver.
Les sento ferment car bien évidemment nous sommes à une époque où plus de 98% des logements ont une salle de bain, la nécessité n’est donc plus la même. Les sento ne sont plus rentables, c’est une des raisons mais également le manque de successeur. Lorsqu’il ne reste plus qu’une génération de descendants ou que les enfants ne veulent pas continuer le sento, il s’éteint. Mais depuis peu certains jeunes Japonais s’intéressent à apprendre et reprendre la vie d’un sento.
Aussi les terrains sont tellement chers à Tokyo que beaucoup de promoteurs immobiliers les achète et en font des résidences, parkings ou encore conbini. C’est triste quand on sait que parfois des trésors nationaux (certaines constructions traditionnelles sont l’œuvre d’artisans qui ne sont plus en activité et ce savoir faire est souvent perdu) et les œuvres d’arts qui se trouvent à l’intérieur ainsi que l’histoire d’une famille qui a vécu pour le sento se termine.
Taisei yu
Certains murs peints sont de véritables œuvres d’art. Peux-tu nous en dire plus sur cette tradition et sur les artistes contemporains qui les peignent ?
En effet les sento offrent de nombreuses œuvres d’art, j’ai d’ailleurs orienté mon premier livre sur l’art dans les sento tant il est varié et coloré.
Tsuru no yu Koiwa
Tout d’abord architecturalement, on trouve encore des sento « miyadzukuri » ce sont des sento construit sur le même modèle que les temples avec des toitures arrondis très jolies et des décorations qui viennent orner celles-ci.
A l’intérieur les plafonds sont très hauts et dans le « daitsuiba » la pièce on l’on quitte ses vêtements, parfois les plafonds sont parfois de bois noble et sont parfois délicatement décorés. Certains sento ont également des jardins intérieurs japonais, que je considère également comme une forme d’art.
Akebono yu
Puis, dans la salle de bain les carreaux, les mosaïques et les peintures. Chaque sento est habillé tel que l’a souhaité le propriétaire ou ses prédécesseurs. On trouve parfois d’immenses fresques inédites de plus de 10 mètres qui ont été réalisées parfois il y a plus de 50 ans. Les propriétaires les considèrent parfois comme leur trésor.
On trouve aussi des carrelages très travaillés qui ne sont plus produits depuis des dizaines d’années.
Quels conseils donnerais-tu aux voyageurs qui ont peur de franchir les portes (noren) d’un sentô ?
Que d’abord c’est un excellent moyen de se remettre de son voyage en avion ou de ses visites,
Ensuite que c’est une totale immersion qui permet d’expérimenter la culture locale japonaise.
Et pour finir que toutes les personnes que j’ai emmené jusqu’à maintenant ont été convaincu à 100% et y sont retournés, c’est donc que l’expérience vaut le coup d’être vécu. Il arrive cependant que le premier sento dans lequel on se rend pour la première fois ne convienne pas à la personne pour diverses raisons : température de l’eau, ambiance générale, bains que l’on y trouve, si c’est le cas il suffit d’en essayer un autre, chaque personne trouvera un sento qui lui convient.
(Je propose d’ailleurs mes services de guide si cela peu rassurer pour la première fois).
As-tu quelques adresses à conseiller ?
Il y en a beaucoup, mais en voici quelques unes.
Sur Tokyo :
– Midori-yu : au cœur de Jiyugaoka, un quartier très sympa pour les ballades, se trouve Midori-yu, un sento assez moderne avec un très joli mural par l’artiste Nakajima san. Vous y trouverez plusieurs bains différents de plusieurs températures de quoi satisfaire tout le monde. Le sento possède également une petite galerie d’art
Adresse: 2 Chome-7-14 Midorigaoka, Meguro-ku, Tōkyō-to 152-0034
– Mikoku-yu : Rénové il y a quelques années et transformé en « designers sento », Mikoku-yu séduit par son intérieur et sa déco qui rappelle un ryokan moderne chic.
Le mural façon estampe par l’artiste Maruyama san est tout simplement majestueux et les mosaïques sont elles aussi magnifiques.
Vous trouvez plusieurs bains intérieurs et extérieurs à Mikoku-yu et vous détendre dans l’eau noire, le onsen de Tokyo, qui possède plusieurs vertus pour la peau.
Adresse: 〒130-0011 Tōkyō-to, Sumida-ku, Ishiwara, 3丁目30−8
– Dai ni Kotobuki-yu : c’est un sento à ´l’ancienne’, une maison de bain traditionnelle et de quartier très lumineuse et coloré. Les murs sont joliment ornés d’un mural peint par Tanaka Mizuki san, la troisième peintre capable de réaliser ces fresques gigantesques (ils ne sont que 3 au Japon, les deux autres peintres cités dans les sento précédents), vous pourrez y admirer le mont Fuji ainsi que Oyu no Fuji la mascotte des sento de l’arrondissement de Edogawa. Des mosaïques ornent également les murs des douches, et la hauteur de plafond est très haute, représentative des sento traditionnels. Les propriétaires sont adorables et dans les vestiaires vous trouvez tout un tas de produits dont vous pouvez vous servir gratuitement (démaquillant, lotions visage, élastiques à cheveux etc).
Adresse:
1 Chome-46-12 Edogawa, Edogawa-ku, Tōkyō-to 132-0013
Sur Kyoto :
– Kyogoku-yu : avec son mur d’entrée très arty et ses illuminations le soir on ne peut pas le louper dans cette petite ruelle de Kyoto. Petit sento local kyotoïte très agréable tenu par un couple très sympathique avec qui il ne faut pas hésiter à papoter. Les bains sont au milieu comme on le trouve souvent dans l’architecture des sento du Kansai et au fond de la pièce se trouve un sauna. Le sento est totalement rétro et les fans de carrelages vintage seront comblés !
Adresse: 666 Tōzaitawarayachō, Kamigyō-ku, Kyōto-shi, Kyōto-fu 602-8294
Sur Kobe (Akashi):
– Meigetsu-yu : probablement le sento le plus kawai que j’ai rencontré. Avec ses couleurs chaudes, cette maison de bain est déjà toute mignonne à l’extérieur, puis une fois à l’intérieur on se trouve dans un vestiaire orné de mosaïques dans les tons de rose avec des motifs sur les murs, la salle de bain entièrement en mosaïques dans les tons pastels de rose et bleu est une vérifiable œuvre d’art. Depuis le bain central on ne s’ennuie pas à profiter de la vue, des carrelages animaux, paysages et motifs ornementaux. Un sento très surprenant dont on aimerait qu’il reste en l’état pour toujours.
Adresse: 〒673-0896 Hyōgo-ken, Akashi-shi, Hifumichō, 14−17
Sur Niigata :
– Midori-yu : situé non loin de la gare de Niigata, les gens de passage pourront également en profiter pour se détendre.
C’est un sento très coloré ou de nombreuses fresques décorent agréablement les murs du vestiaire et de la salle de bain. Avec son bain tout rond au milieu dans lequel se rencontrent petits et grands vous pourrez également profiter de bains de massages ainsi qu’un bain aromatique et un sauna.
〒950-0916 Niigata-ken, Niigata-shi, Chūō-ku, Yoneyama, 2 Chome−8−1
Sur Oita (Kyushu):
– beaucoup plus au sud cette fois avec
Oji onsen dans la ville de Oita. Un sento de quartier très rétro dans lequel on a l’impression de faire un petit saut dans le temps grâce à son intérieur et ses meubles vintages. Oji onsen ne comporte qu’un seul bain central mais attention comme son nom l’indique c’est un onsen. L’eau est puisée à -750 mètres sous terre et arrive directement entre 42 et 43 degrés. Selon les jours la température peut varier légèrement. C’est une eau marron qui a la couleur du thé et qui contient de nombreux nutriments. Si elle a été puisée aussi profondément (un investissement de taille) c’est pour une température de baignade idéale et ne pas avoir à rajouter de l’eau froide pour la garder pure et profiter à 100% de ses bienfaits. Les carrelages, plus discret dans ce sento, sont néanmoins fort sympathiques et apportent la dimension artistique du sento.
Adresse: 8-27 Ōji Nakamachi, Ōita-shi, Ōita-ken 870-0006
Comment vois-tu ton travail d’ambassadrice des sento dans les années qui viennent ?
Comme je l’ai mentionné plus haut, chaque sento ayant son histoire est ces charmes, ils méritent tous d’être visités et présenté, c’est pourquoi un de mes objectif est de petit à petit tous les visiter et de partager ces jolis lieux afin que d’autres en profitent et pouvoir ainsi soutenir les sento et limiter le plus possible leur disparition.
Aussi, ayant publié deux livres sur les sento au Japon, j’aimerais que mon prochain ouvrage soit publié en France pour faire découvrir cette belle culture aux francophones également.
Journal du Japon remercie Stéphanie pour sa grande disponibilité et a hâte de découvrir un futur livre sur les sento en français !
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