Memories of Matsuko : La Mélodie du Malheur
Sonnez trompettes et résonnez tambours car cette rentrée 2018 a marqué la sortie – tardive et inespérée – de Memories of Matsuko, comédie musicale mélodramatique et colorée de Tetsuya NAKASHIMA, réalisateur star du cinéma japonais populaire, réputé pour son sens de l’esthétique et du montage. Indubitablement l’un des formalistes les plus doués de son pays, pourtant quasi-totalement inconnu chez nous.
Et c’est à Spectrum Films, précieux éditeur spécialisé dans les perles du cinéma asiatique, que l’on doit cet heureux événement.
Il suffit d’examiner brièvement l’infime portion de la production cinématographique japonaise contemporaine qui parvient jusqu’à nos latitudes pour se rendre vite compte que celle-ci n’est que parcellaire et bien généralement très polarisée sur certains genres et styles. Cette fatalité nous semble d’autant plus triste quand elle laisse dans l’ombre certains réalisateurs d’importance dont la qualité et l’originalité a su faire fi de ces obstacles pour leur permettre d’acquérir, malgré tout, une véritable reconnaissance chez les cinéphages mondiaux ; le genre de trésors qu’on se livre avec jubilation, à voix basse, entre initiés. Tetsuya NAKASHIMA, réalisateur de Memories of Matsuko, est de ceux là.
En 2004 sortait sur les écrans japonais Shimotsuma Monogatari (distribué en occident sous le nom de Kamikaze Girls), improbable histoire d’amitié entre une lolita campagnarde et une yankee qu’on croirait sortie d’un clip de Kishidan. Au-delà de son postulat de départ, ce qui marquait l’originalité du projet dès la bande-annonce et attisait notre curiosité était l’inventivité de la mise en image, outrancière et colorée, menée grand train et multipliant les trouvailles visuelles, nous donnant le sentiment de véritablement retrouver le rythme et les sensations d’un anime, mais en live.
Un vrai coup de foudre pour excavateur de films barrés et créatifs que seul le Japon semble capable de produire !
Le film bénéficia finalement chez nous d’une distribution dvd en 2009, sans passer par la case cinéma.
Film suivant du réalisateur, sorti sur les écrans nippons en 2006, Memories of Matsuko (Kiraware Matsuko no Issho, en VO) pousse encore plus loin le curseur du surréalisme, des couleurs vives et des paillettes à travers une comédie musicale pop et étourdissante. Le sujet pourtant n’a rien d’une comédie, bien au contraire…
Memories of Matsuko – La Mélodie du Malheur
En 2001, Sho, jeune homme en dés-errance fraîchement largué par sa petite amie, reçoit la visite impromptue d’un père avec qui il n’a plus de contact. Ce dernier vient lui demander un service : vider l’appartement de sa tante Matsuko dont Sho ignorait jusqu’à l’existence, retrouvée morte tabassée près d’une rivière. À travers le capharnaüm laissée par cette tante recluse et obèse, et en rencontrant les gens qui l’ont connue, Sho va découvrir la vie pour le moins surprenante de sa tante : jeune professeur au début des années 70, très belle et appréciée de tous, Matsuko va vivre une véritable descente aux enfers après avoir endossé le vol commis par un élève. Constamment à la merci d’hommes abusifs, passant d’une relation toxique à une autre comme on tombe de Charybde en Scylla ; tour à tour prostituée dans un soap-land, incarcérée pour meurtre, femme de yakuza avant de finir recluse dans un minuscule studio, Matsuko semble avoir connue la plus terrible et lamentable des existences. Pourtant, en faisant la connaissance de cette personne passionnée et loyale, Sho va être pris d’une profonde admiration voire affection pour cette tante qu’il n’a pas connue et qui a su toucher le cœur des personnes qu’elle a croisées. C’est que, comme va le découvrir Sho, « la valeur d’une personne ne se mesure pas à ce qu’elle a reçu, mais à ce qu’elle a donné ».
Adapté d’un roman de Muneki YAMADA, Memories of Matsuko se présente sur le papier comme un mélodrame tire-larmes des plus classiques. Par la suite, un drama peu mémorable en sera d’ailleurs tiré. Mais c’est sans compter sur le regard singulier de Tetsuya NAKASHIMA. Le réalisateur est d’ailleurs coutumier des adaptations. C’est généralement avec la découverte d’un roman que lui vient l’inspiration de se lancer dans un projet et c’est lui-même qui en entreprend l’adaptation scénaristique.
Cette fois, il parvient à désamorcer le caractère profondément pathétique de son récit en lui donnant la forme d’une comédie musicale survoltée et outrancière. Un mariage improbable de glauque et d’enfantin faussement naïf qui, contre toute attente, fonctionne totalement et n’est pas sans rappeler le Baz LUHRMANN de Moulin Rouge. D’ailleurs comme LHURMANN, NAKASHIMA est un cinéphile. On retrouve dans Memories of Matsuko des références à la comédie musicale et au mélodrame hollywoodien classique comme Autant en Emporte le Vent ou Le Magicien d’Oz, ou même au mélodrame japonais via la parodie de drama que Sho regarde à la TV. Sans oublier que Matsuko est finalement un personnage féminin comme les a souvent affectionnés le cinéma japonais.
Conte cruel d’une femme japonaise ou le calvaire de la passion
NAKASHIMA transcende un ton volontairement grotesque en prenant au sérieux son héroïne et ses sentiments. On s’attache ainsi rapidement à Matsuko et on se laisse emporter par son histoire. Matsuko est en fait une Madone. Son indéfectible loyauté et sa soif d’amour lui permettent de prendre sur elle toutes les souffrances du monde. À travers sa vie en forme de chemin de croix, elle donne d’elle-même sans compter et devient une « déesse » pour ceux qui l’ont connue. Pourtant, bien qu’elle nous apparaisse comme un personnage admirable, la véritable malédiction de Matsuko, née de la froideur d’un père qui focalisait toute son affection sur une sœur souffrante, est de ne chercher le bonheur qu’à travers sa relation aux hommes, qu’à travers ses passions. Dépendante des hommes, elle se refuse ainsi à toute autre forme de bonheur, y compris son amitié avec Megumi, finalement seule véritable période heureuse de sa vie.
De là à voir dans le film une critique d’un modèle de féminité classique japonais il n’y a qu’un pas que l’on peut facilement franchir, surtout qu’au modèle représenté par Matsuko, NAKASHIMA oppose son amie Megumi, self-made woman qui instrumentalise le désir des hommes, et l’ex-petite-amie de Sho (interprétée par Kou SHIBASAKI), jeune fille moderne qui s’émancipe pour trouver en elle un sens à sa vie et donner au film la « morale » citée plus haut. Mais au-delà de cette aspect, c’est aussi le personnage de Sho, qui, percevant des points communs entre sa tante et lui-même, sera peut-être changé.
On l’aura compris : les films de Tetsuya NAKASHIMA, au-delà de leur emballage de bonbon pop et sucré recèlent plus de profondeur qu’il n’y paraît. Kamikaze Girl d’ailleurs, constituait un jolie portrait de femme avec le personnage un peu lunaire et individualiste de la lolita Momoko. Cependant, par la suite, le réalisateur va faire exploser le compteur pour ce qui est de sonder les tréfonds de l’âme humaine.
Le jour où les films grand public se finirent mal
A la suite de Memories of Matsuko, Tetsuya NAKASHIMA réalisera en 2008 Paco and the Magical Picture Book, un film fantaisiste pour enfant, sorte de Disney sous LSD. Mais c’est en 2010 que sortira son véritable coup d’éclat, avec Confessions (Kokuhaku) : un film d’une noirceur alors rare au Japon et qui marque un virage dans la carrière du réalisateur. Le film fut l’un des plus gros succès critique et public de l’année, et le couronnement de la carrière de son réalisateur, se classant dans les hauteurs du box-office japonais. Une surprise pour un film aussi sombre. D’ailleurs au moment de sa sortie, la vénérable revue Kinema Jumpo, (une institution de la presse ciné japonaise, qui consacrait un long dossier au film, titrait à son sujet « le jour où l’on pourra voir des films de divertissement qui finissent mal au Japon ».
Parlant de la vengeance froide qu’une femme professeure abat inexorablement sur des élèves de sa classe qui sont à l’origine de la mort de sa petite fille, le film semble prendre le contre-pied total des précédents long-métrages du réalisateur. Pourtant, on y retrouve encore tout le soin de montage et de mise en scène de NAKASHIMA, mais cette fois-ci, au service d’une esthétique sublimement glacée, en complète adéquation avec le regard sombre que porte le film sur la jeunesse japonaise. Tetsuya NAKASHIMA s’engagerait-il alors dans la voie d’un David FINCHER ?
Un sillon que le réalisateur continuera en tout cas de creuser avec son dernier film en date, The World of Kanako (Kawaki), sorti en 2014 et projeté chez nous à l’Etrange Festival. Un long-métrage encore plus sombre et extrême que Confessions, même si NAKASHIMA y retrouve très légèrement de la frénésie visuelle de Memories of Matsuko.
A l’heure où KURU, son prochain film, prévu pour décembre 2018, s’est dévoilé récemment dans une bande annonce, on se plaît à rêver de voir Tetsuya NAKASHIMA et ses films passer nos frontières. En tout cas, c’est déjà un beau cadeau que nous fait Spectrum films avec cette édition de Memories of Matsuko au visuel original très réussi, comme c’est souvent l’habitude chez cet éditeur, et dans laquelle on retrouve aussi une bonne heure de bonus avec un making-of, une interview du compositeur et une analyse menée par deux critiques français. On espère que l’éditeur continuera sur sa lancée pour faire découvrir les films du réalisateurs, ainsi que d’autres gemmes du cinéma nippon injustement méconnues chez nous !
Memories of Matsuko est disponible en combo Bluray/DVD chez Spectrum Films.
2 réponses
[…] précédent film est sorti en DVD cette année. Memories of Matsuko, auquel nous avions consacré un article, est un film coloré, au rythme soutenu et jouant sur le décalage temporel avec […]
[…] de ce distributeur, il y est représenté par de sacrées perles. Ainsi, après l’excellent Memories of Matsuko et avant la sortie prochaine de World of Kanako, annoncée en juin, le moment semblait opportun […]