Benoît Peeters : la fascination du Japon
Benoît Peeters est un grand nom dans le monde de la BD. Spécialiste de Tintin et scénariste des Cités obscures (dessinées par François Schuiten), il a également beaucoup œuvré pour créer des ponts entre manga et BD, entre Japon et Europe. Journal du Japon l’a rencontré début septembre lors du Livre sur la Place de Nancy, où il était venu faire une conférence sur le roman graphique. Portrait d’un amoureux du Japon.
Premières impressions du Japon
Benoît Peeters et le Japon, c’est une histoire commencée dans sa jeunesse. Avec Roland Barthes à l’école pratique des hautes études (et son Empire des signes), avec un premier voyage en Asie en 1979, peu d’argent, et le Japon comme dernière étape. Il se souvient qu’on lui avait demandé à son entrée dans le pays « Do you have enough money to stay in Japan ? ». L’impression que le pays n’avait pas besoin des touristes. Un pays à l’opposé des autres pays d’Asie qu’il venait de visiter, et qui lui a laissé une image très forte. Il n’est pas resté qu’à Tokyo, il a visité une usine Toyota, s’est perdu dans la campagne à la recherche d’un maître en bonsaï, a découvert Fukuoka. Une première expérience qui sera suivi de nombreux voyages et de belles rencontres.
Le pays des mangas
Au départ, il ne se sentait pas du tout attiré par les mangas. Cet amoureux du travail d’Hergé ne trouvait pas grand intérêt dans les séries pour enfants qu’on voyait au Club Dorothée. Puis il a découvert Akira de Katsuhiro Ôtomo et L’homme qui marche de Jirô Taniguchi. Il a alors eu envie de renforcer les ponts entre BD et manga, qui commençaient déjà à exister avec la revue Morning, avec les ateliers qui se créaient entre France et Japon.
Travaillant chez Casterman, il décide alors de publier Taniguchi mais en faisant une vraie adaptation de Quartier lointain : ne pas garder le sens japonais contre-intuitif, travailler sur les bizarreries des dessins lorsqu’on change le sens, tout remettre à plat, tout retravailler pour que la lecture se fasse sans effort, naturellement. Avec l’aide de Taniguchi et de l’auteur de bande dessinée Frédéric Boilet, Quartier lointain sera publié en français et connaîtra un grand succès, en particulier auprès d’un public nouveau, plus féminin, plus âgé que celui du manga, un public amateur de cinéma, de littérature, de BD adulte, intimiste. Jirô Taniguchi sera d’ailleurs émerveillé de voir que son lectorat français est composé d’enfants, de femmes et de personnes âgées. Ce succès que beaucoup de Japonais trouvent mystérieux sera longtemps l’objet de jalousie de la part de ses collègues ! Des nouvelles éditions de ses livres, adaptées pour le public français, verront le jour dans les années et les décennies qui suivront. Et lorsque Benoît Peeters se rend à Tottori, la ville natale de Taniguchi, il sera surpris d’entendre : « Qu’est-ce que vous trouvez à notre enfant du pays ? ». Taniguchi, c’est une vie entière consacrée à la création, avec une envie de finir ses projets, alors même qu’il se battait contre la maladie à l’hôpital. Sa mort précoce est une grande tristesse pour ses amis et ses très nombreux lecteurs en France.
Mais on peut citer d’autres grands mangakas : Tezuka (Benoît Peeters n’a pas grandi avec mais a appris à le connaître et à l’apprécier), Ôtomo, Urasawa. Il note également la présence de plus en plus forte des femmes mangakas ses dernières décennies.
Des cultures qui se parlent
S’il est connu dans l’univers de la BD, Benoît Peeters est également un grand romancier et essayiste, expert de Derrida et de Paul Valéry. Et il est toujours surpris de voir la passion que les Japonais portent à la littérature française, et la qualité de leurs travaux sur le sujet : de brillantes thèses, mais également des colloques très pointus (qui ne seraient peut-être pas aussi populaires en France), des ouvrages nombreux.
Il est aussi très curieux de culture japonaise et profite de ses voyages pour découvrir les différents pans de la culture japonaise, ses différentes régions. L’architecture le passionne et il a eu plaisir à rencontrer le grand architecte Toyô Itô, dont il a publié L’architecture du jour d’après aux Impressions nouvelles, la maison d’édition qu’il dirige. Une réflexion sur la place de l’architecture, son rapport à la nature, son rôle dans la reconstruction après le tsunami de 2011 (à découvrir sur le site de l’éditeur).
Mais il avoue manquer de temps pour apprendre la langue japonaise qui le fascine.
La cuisine …
Il vient de publier Comme un chef, un récit auto-biographique dans lequel il raconte son cheminement dans l’univers de la cuisine, des souvenirs d’enfance à Bruxelles aux expériences inoubliables dans des restaurants comme El Bulli ou Apicius, en expliquant surtout qu’il cuisine avec passion depuis ses vingt ans suite à un éblouissement lors d’un repas au restaurant Troisgros. Il a même essayer d’en faire son métier comme cuisinier à domicile. Mais l’écriture est devenue son métier, la passion pour la cuisine est restée.
Dans cet ouvrage, il loue la « nouvelle cuisine », celle qui met en avant le produit, la saison, une cuisine très proche de la cuisine japonaise en fait. Il se souvient de son premier petit déjeuner japonais en 1979, pas de café, pas de sucré, il avoue avoir eu du mal avec le riz et le poisson. Il se souvient aussi avec amusement des reproductions en plastique des plats devant les restaurants, très pratique pour voir ce que propose chaque restaurant, et pour commander ! (C’était beaucoup moins facile en Chine où on montrait une ligne au hasard sur la carte, avec des bonnes ou des mauvaises surprises). Il aime le contact, l’échange facile entre le chef et les clients qui peuvent manger en solitaire au comptoir. Il trouve que la cuisine du quotidien est délicieuse au Japon, et qu’on peut y manger très bien partout, en pleine campagne, dans une gare, un peu comme en Italie ou au Vietnam (dont il adore la streetfood).
Les Japonais sont quant à eux très curieux et friands de cuisine française. Il rêve d’ailleurs que son livre soit traduit et publié au Japon.
C’est tout le bien qu’on lui souhaite !
Vous pouvez découvrir cet ouvrage sur le site de l’éditeur.
France, Japon, BD, manga, cuisine … Benoît Peeters est un infatigable curieux et amoureux du Japon, un pont entre deux pays, entre deux cultures qui se répondent continuellement.