[Interview] Toshihiro KAWAMOTO, un vétéran du chara design, au service de l’œuvre
Clap de fin pour notre série d’article consacrant la mythique série de Shin’ichiro WATANABE : Cowboy Bebop. Pour finir en apothéose c’est avec le character designer Toshihiro KAWAMOTO que nous vous proposons de passer un moment.
The Real Folk Designer
Comment s’est passée la création des personnages de Cowboy Bebop ? Il semble que durant la phase de recherche, Ed a été un garçon et Faye a connu plusieurs looks.
Toshihiro KAWAMOTO : Ha, vous êtes bien renseigné (rires). Lorsque le projet a été monté, j’ai reçu comme demande que Ed soit un garçon. Je l’ai donc créé comme tel, mais dans l’avancement du projet nous nous sommes aperçu qu’il y aurait un autre garçon dans l’histoire, et ça n’était pas très équilibré. Nous l’avons donc changé en fille.
Est-ce que certains de vos personnages prennent naissance avant un projet ? Comme un personnage dont vous auriez commencé l’esquisse et que vous garderiez dans vos notes pour une utilisation concrète, sur un futur projet.
Il existe peut-être des créateurs qui suivent cette démarche, mais pour ma part je commence déjà par parler avec les réalisateurs, producteurs et scénaristes. C’est à partir de ça que tout commence pour moi.
Après une carrière telle que la votre, est-il toujours facile de créer des personnages sans se répéter ?
Il est vrai qu’à chaque projet, j’essaye de créer un personnage original et unique, mais pour Cowboy Bebop cela a été fait par un réalisateur qui est de la même génération que moi. Nous sommes donc influencés par les mêmes choses, les mêmes œuvres. En discutant avec lui nous avons fini par respecter les influences de chacun de nous deux. C’est donc avec nos influences communes que les personnages de Cowboy Bebop ont été créés, pour devenir des créations originales.
Qu’est-ce qui vous a le plus marqué chez chaque personnage ?
Pour Faye Valentine par exemple, je dirais qu’elle n’est pas née par l’influence d’une actrice, mais plutôt par l’accumulation de mes travaux durant ma carrière. Elle est sortie comme ça, et le réalisateur l’a acceptée.
Spike est un croisement entre un cowboy, un maffieux, un expert en arts martiaux, un pilote… Comment avez-vous réussi à rendre cohérent tous ces aspects dans ce personnage ?
Nous n’avons pas spécialement pensé à une harmonie. Je n’ai vraiment pas pensé à la cohérence, on m’a juste demandé de créer quelqu’un qui est fan de Bruce Lee et pratique le Jet Kun Do, et j’ai suivi cette directive. Vous connaissez peut-être Yusaku MATSUDA, qui est un acteur japonais, malheureusement décédé aujourd’hui. J’ai simplement pensé à une similarité entre lui et Spike.
Quelle était la philosophie du studio Bones lorsque vous l’avez cofondé avec Masahiko MINAMI ? Comment a-t-elle évolué aujourd’hui ?
Lorsque Minami-san m’a proposé de fonder le studio, j’étais en train de créer Cowboy Bebop, et à vrai dire j’étais trop dans la création de la série pour vraiment prendre ça au sérieux. Cependant, j’ai ressenti que mon travail n’avait pas été altéré avant et après la fondation de ce studio. Je me suis donc dis : « si ça ne change pas trop ma manière de travailler, pourquoi ne pas aider Minami-san » (rires).
Pourquoi, selon vous, parle-t-on encore dans le monde entier de Cowboy Bebop, 20 ans plus tard ?
Je ne sais pas (rires). Bien-sûr, pour chacun de mes travaux, je souhaite avoir le même résultat qu’avec Cowboy Bebop. Malheureusement en ce moment les productions d’animes deviennent de plus en plus communes, et les œuvres sortent rapidement, sans avoir connu une longue période de gestation. On ne peut plus faire de séries « concrètes », il faut respecter les délais, respecter les partenaires, respecter beaucoup de choses. Aujourd’hui, je vise la qualité d’une œuvre qui perdurera 5 ans ou 10 ans. Évidemment tout le monde a cette envie, sans savoir si cet objectif sera atteint. Alors je ne sais pas si c’est dû au hasard, à la chance, où grâce à l’équipe qui était sur le projet, mais nous avons pu faire quelque chose comme on voulait. C’est peut-être pour ça que Cowboy Bebop a pu avoir cette qualité, et rester dans les mémoires.
(NDLR : attention, cette dernière question peut spoiler les lecteurs n’ayant pas vu la série, à bon entendeur)
Que pensez-vous de la fin tragique de Cowboy Bebop ? A-t-elle suscité des débats au sein de l’équipe ?
Il n’y a pas eu de débats ou de conflit concernant la fin pour ma part, car dès le début je m’étais préparé. Le premier épisode est assez sombre, et on pouvait sentir cette tragédie arriver, donc j’étais prêt à cette finalité. Le plus important ce n’est pas la fin, qui est finalement peut-être quelque chose de déjà vu, c’est le processus pour y arriver. C’est tout ce processus que suivent les personnages qui a fait de la série ce qu’elle est, la fin n’est qu’une manière de baisser le rideau.
Old School Anime
Avec Gundam (Haruhiko MIKIMOTO), ou avec les illustrations pour Space Battleship Yamato (Leiji MATSUMOTO) vous avez dû reprendre le style typique d’autres artistes. Comment adaptez-vous votre style en fonction des projets ?
En fait ce n’est pas quelque chose de très difficile, car Gundam et Yamato sont des titres que j’ai regardé quand j’étais petit, et j’ai grandi avec, je les connaissais donc bien. Accepter ces styles s’est fait facilement, j’entrais très facilement dans ces designs. En plus, c’était une fierté que de dessiner des œuvres de Mikimoto et Matsumoto en tant que professionnel. Mon type de travail est de toujours répondre aux demandes du réalisateur, et respecter les auteurs des œuvres originales. Ce n’est pas un problème quand je suis dans la position de répondre. Lorsque l’on me demande de faire une création originale c’est peut-être moins mon truc. Pour moi, l’ordre le plus difficile serait de dessiner ce que je veux, ce que j’aime.
Et parmi les séries d’adaptation, comme Gundam ou Yamato par exemple, quelles sont celles qui représentent le mieux votre propre style ?
Ce n’est peut-être pas la réponse à votre question, mais lorsque je fais un character desgin, tout ce qui importe pour moi c’est d’honorer ma commande. Par exemple pour Yamato 2199, le character design est celui de Nobuteru YUKI. L’entreprise qui lui a demandé d’adapter le design de Leiji MATSUMOTO l’a choisi car c’est lui qui a le plus respecté la demande de départ. Je compte sur moi et sur le fait de répondre au mieux aux besoins des autres.
Est-ce que les projets d’adaptations auxquels vous participez nourrissent votre style ?
Lorsque j’ai travaillé sur Golden Boy, je ne connaissais pas le contenu de l’histoire. Lorsque j’ai accepté cette offre, et que j’ai commencé à travailler dessus, j’ai réalisé que cela parlait beaucoup de femmes, et de manière très érotique. Les techniques que j’ai acquises à ce moment-là ont en effet eu un impact dans la création de Faye Valentine. Pour le chien Ein, qui est un korgi, c’est en le dessinant que j’ai vraiment acquis la capacité de dessiner des animaux et cela m’a aidé à la création des loups dans Wolf’s Rain. À chaque fois ces expériences s’accumulent, et me servent sur d’autres projets.
Tell Me Tell Me
Voici l’artbook The Illusives 2, un de vos recueils d’illustrations. Pouvez-vous parler du processus de création d’une illustration ?
(NDLR : toutes les illustrations mentionnées sont visibles dans la galerie en fin d’article)
Faye en maillot de bain : Par exemple ici on m’a demandé de réaliser une illustration présentant une femme en me montrant une vraie photo de femme pour modèle. C’est ce genre d’illustration où l’on me donne simplement un bref dessin de personnage et où je dois penser la composition générale.
Et sur une illustration de ce type, quelles sont les étapes de création ?
Poster de l’équipage du Bebop : Pour celle-là il n’y avait pas trop d’ordre, il fallait juste un poster pour présenter la série. Comme c’était au tout début de la production de Cowboy Bebop, je voulais que chaque personnage ait une expression forte qui le définisse, pour que les gens se fassent tout de suite une idée de leurs caractères. Ça représente aussi bien l’univers de Bebop. J’adore me challenger sur chaque commande, même si elles semblent difficiles.
C’était une commande venant de l’entreprise Movic qui m’avait demandé de réaliser un poster. Après avoir fait le croquis de référence (NDLR : croquis en haut à gauche), je l’ai montré à la personne représentant l’entreprise Movic, qui l’a validé. J’ai alors commencé l’étape suivante à partir de ce bref dessin.
À l’époque, on se servait encore de celluloïd, donc lorsque le crayonné final fût prêt, il passa dans une flasheuse Xerox (électrophotographie) pour imprimer les traits sur un Celluloïd (NDLR : feuille semi-rigide transparente). Puis, cela passe entre les mains de spécialistes qui peignent les couleurs sur l’envers du celluloïd. Je donne alors des directives pour les couleurs. Pour le rouge et les ombres un peu violettes sur Faye par exemple, c’est moi qui donne ces indications de colorimétrie. Lorsqu’on met des couleurs, on utilise normalement des tonalités basiques, mais j’ai beaucoup insisté sur les nuances, et je donne des ordres assez compliqués pour les peintres chargés de ce travail.
Ed en cowboy : Pour ce genre d’illustration, j’utilise Photoshop et je peux donc m’occuper de la conception de bout en bout.
En feuilletant cet artbook, pouvez-vous nous raconter un souvenir ou une anecdote liée à une illustration ?
Faye dans son vaisseau : Par exemple cette pose n’est pas réalisable, parce qu’en réalité les jambes seraient dans l’espace, mais avec le cadrage on peut tricher. Si cela doit être réaliste, elle devrait plier les jambes pour rester dans la capsule en verre du vaisseau, mais on verrait alors moins son corps. J’ai donc triché sur ce dessin (rires).
Croquis avec Faye allongée : Ici, c’est une commande d’une maison d’édition où il fallait faire des images afin de présenter chaque épisode. J’ai pensé à différentes scènes de vie comme celle-ci, où le chien creuse dans le sable. Ce sont des illustrations où j’interprète complètement l’univers de Bebop selon ma propre logique.
Si vous prenez n’importe quelles images j’aurai toujours beaucoup d’histoires à raconter à chaque fois (rires).
Pochette de l’album Vitaminless : La compositrice de la série, Yoko KANNO, voulait un dessin de Ein qui soit agressif, mais dessiné au fusain. J’ai essayé de dessiner comme un enfant pour donner un aspect primitif au dessin, et je me souviens que c’était assez compliqué de se forcer à dessiner comme ça.
Il y a vraiment trop de choses à évoquer avec tous ces dessins (rires).
Merci beaucoup pour ces anecdotes !
Vous pouvez retrouver les différents articles de notre dossier Cowboy Bebop en suivant ces liens :
Conférence avec le staff créatif.
Interview de Masahiko MINAMI (producteur) et de Keiko NOBUMOTO (scénariste).
Interview de Kimitoshi YAMANE (mechanical designer).
Nous remercions infiniment Toshihiro Kawamoto pour son temps et ses réponses, ainsi que l’équipe de Japan Expo qui nous a aidé à mettre en place cette interview.
SEE YOU, SPACE COWBOY…
2 réponses
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[…] Bebop invitée au salon Japan Expo 2018. Suivront, deux interviews supplémentaires, une avec Toshihiro KAWAMOTO, character-designer, et l’autre en compagnie de Kimitoshi YAMANE, […]