Atelier Akatombo : une nouvelle maison d’édition pour la littérature japonaise
Quand on pense littérature japonaise en France, on pense au merveilleux travail réalisé entre autres par les éditions Philippe Picquier, mais le monde de l’édition est très riche et lorsqu’une nouvelle maison consacrée à la littérature japonaise se lance, Journal du Japon se réjouit et vous fait partager ce bonheur !
Atelier Akatombo : Rencontre avec Franck et Dominique Sylvain
Bonjour Atelier Akatombo… Pouvez-vous vous présenter pour les lecteurs de Journal du Japon ?
Dominique : Je suis romancière depuis 1995 et la parution de Baka !, mon premier polar, dont l’intrigue se déroule à Tokyo. Mes romans ont tous été publiés aux Éditions Viviane Hamy. C’est au Japon que j’ai commencé à écrire, lors de ma première expatriation avec Frank.
Frank : J’ai travaillé pendant longtemps dans la finance à Tokyo, à Hong Kong ainsi qu’en Corée. En tout, nous avons vécu une quinzaine d’années à Tokyo en plusieurs séjours. Je continue de m’y rendre régulièrement, plusieurs fois par an.
Comment est née cette idée de maison d’édition ? Lors de vos années japonaises ?
Frank : Oui, en effet. En vivant là-bas, il nous est vite apparu que des pans entiers de la littérature japonaise n’étaient traduits en aucune langue occidentale. Et donc, dès le début des années 2000, quand j’ai pu lire le japonais dans le texte (imparfaitement), nous est venue l’idée de traduire quelques ouvrages et nous avons pris les premiers contacts à cette époque. Mais les réalités professionnelles et familiales ont mis le projet en attente. Ce n’est qu’en 2017 que nous nous sommes lancés pour de bon.
Est-ce difficile de passer de l’autre côté, de romancière à éditrice ?
Dominique : Difficile, non, car je fonctionne en duo avec Frank. Il traduit le texte comme une matière brute et je le retravaille pour le fluidifier et transmettre au mieux les intentions de l’auteur. Nous échangeons au fur et à mesure. C’est une nouvelle activité qui me passionne. J’ai découvert que traduire un texte permettait de le percevoir d’une manière complètement différente de celle de la lecture « récréative ». Le temps et l’intensité changent la donne. En s’arrêtant pour pénétrer en profondeur un texte, on s’approche au plus près du processus créatif de l’auteur. On le perçoit « en train d’écrire ». C’est une émotion particulière, un révélateur de subtilités. Et cette double activité est l’un des aspects que j’admire chez Haruki MURAKAMI, dont j’ai découvert l’œuvre au début des années 90, à Tokyo, dans les superbes traductions de l’Américain Alfred Birnbaum. Ensuite, j’ai découvert MURAKAMI le traducteur, puisqu’il traduit entre autres Raymond Carver, Francis Scott Fitzgerald ou Grace Paley. C’est un bourreau de travail. J’admire son énergie. Et l’humilité d’une star absolue dans son pays, capable de s’oublier pour se glisser dans la peau d’un autre artiste dont il admire le travail pour transmettre sa passion au public japonais. C’est de la générosité.
Comment avez-vous travaillé sur votre ligne éditoriale ? Vous la définissez comme fiction japonaise, en particulier la littérature de genre … Ce n’était pas suffisamment représenté chez les éditeurs comme Picquier ou Actes Sud ?
Frank : Il serait malvenu pour nous de commenter la ligne éditoriale de maisons prestigieuses auxquelles nous n’avons pas la prétention de nous comparer. Nous voudrions surtout rendre hommage à Philippe Picquier, que nous avons rencontré récemment à Arles, et que nous avons remercié à cette occasion pour toutes les traductions du japonais que nous avons pu lire dans les années 80 et 90. Nous pensons en particulier à trois volumes de nouvelles traduites en 1986 par Kirin, un groupe de traducteurs.
Le premier ouvrage de votre maison, Le Loup d’Hiroshima (photo ci-dessus), est un polar passionnant sur les liens entre un flic borderline d’Hiroshima et les yakuza. Comment l’avez-vous choisi comme titre de lancement ? A-t-il été facile d’obtenir les droits pour une publication française alors que vous êtes une nouvelle maison ?
Frank : Nous avons reçu une aide précieuse, à Tokyo, du Bureau des copyrights français dirigé par Corinne Quentin que nous connaissons depuis longtemps. Nous avions fait une offre pour les droits du livre avant qu’il ne connaisse un succès éclatant au Japon et qu’il soit adapté au cinéma. Nous l’avions d’ailleurs faite avant les maisons d’éditions coréennes et chinoises qui font pourtant une veille exhaustive des écrivains japonais. Cela dit, étant donné que nous débutons, toutes les maisons d’édition japonaises ne nous font pas encore complètement « confiance » et scrutent, entre autres, nos couvertures d’un œil vigilant…
Vous allez proposer des romans de science-fiction, un genre que le lecteur français connaît peut-être plus sous forme de manga que de roman. Pouvez-vous nous parler de la SF japonaise ?
Frank : Le Japon est probablement le pays le plus robotisé au monde et toutes les grandes firmes industrielles sont impliquées d’une façon ou d’une autre dans ce domaine. Il y a donc une acceptation sociale beaucoup plus grande de la modernité et de l’interface homme-machine. Il y aurait beaucoup à écrire sur ce sujet, en particulier en relation avec la base religieuse polythéiste et animiste du Japon. Il y a donc une SF japonaise actuelle, unique au monde, et qui est positive vis-à-vis de la science, au sens où des écrivains pensent que le monde avec des machines sera meilleur. D’une certaine façon, cela me semble prendre, trois quarts de siècle plus tard, la suite des œuvres de la première période de Van Vogt ou d’Asimov, qui écrivaient dans une période de grand optimisme américain. J’espère que les livres que nous traduisons apporteront une toute petite pierre à cette réflexion nécessaire sur la forme de société à venir et l’intégration dans le quotidien de la vie robotique.
Dominique : Voilà qui ne m’étonne pas du tout ! Frank est scientifique de formation.
Vous proposerez également des romans érotiques. Pour cela aussi, le lecteur connaît peut-être plus les mangas pour adultes. C’est un pari osé, non ?
Frank : Nous avons quelques héros dans notre panthéon éditorial personnel et Jean-Jacques Pauvert en fait partie. Je pouvais difficilement envisager de monter une maison d’édition sans prendre le risque de ce domaine. J’ajouterai quand même qu’il y a une tradition très forte au Japon, on pense naturellement aux shunga. Mais aussi à cette importante tradition d’écriture féminine dans le domaine. Notre première publication dans le domaine est d’ailleurs un roman écrit par une femme qui est aussi scénariste de films érotiques.
Dominique : Et joueuse de koto, un instrument traditionnel. C’est donc une artiste tout-à-fait surprenante. Pour ma part, je n’ai jamais lu de roman érotique. Et a fortiori traduit de roman érotique. J’avoue que la perspective d’en traduire me plonge dans un état étrange. C’est clairement un défi. Cela influencera peut-être mes écrits personnels dans le futur. Qui sait ?
Et enfin, vous proposerez également quelques essais… Pour que les Français élargissent leurs connaissances sur le Japon avec des regards différents (photo, architecture, graphisme) ?
Frank : Plus que des essais, il s’agit d’écrits « autocritiques ». C’est-à-dire de la réflexion d’artistes commentant leurs propres œuvres. On sait qu’il est difficile, pour un artiste occidental, en particulier pour des raisons de langues, de dialoguer avec un artiste japonais. Donc, nous voudrions, à défaut de pouvoir offrir un dialogue, proposer des textes dans lesquels l’artiste parle de sa vie et de son œuvre. Le premier sera le photographe Araki, dans un ouvrage où il commente plus de trois cents de ses photos, évoque des souvenirs personnels et transmet sa conception de la photographie. Ce sera la première traduction en langue occidentale d’un texte long d’Araki. Et nous avons des projets (encore secrets) dans le cinéma, la peinture.
Dominique, allez-vous vous charger, avec Frank, de l’ensemble des traductions des ouvrages que vous publiez ? Quelle relation avez-vous avec les auteurs ? Pensez-vous pouvoir organiser des événements (lectures, dédicaces) en France ?
Frank : Nous serions très heureux que des traducteurs travaillent avec nous. Nous en avons contacté certains. Un des soucis est que les ouvrages que nous traduisons ne relèvent pas de la littérature pour universitaires, mais d’une littérature de plaisir, et c’est difficile pour des traducteurs dont la carrière se fait d’autre part dans des institutions d’enseignement prestigieuses de mettre leur réputation en danger. Ce serait probablement déroger à une règle implicite. Concernant la venue d’auteurs japonais, ce serait effectivement très intéressant pour le public, mais cela reste pour le moment un peu compliqué et financièrement difficile. Il nous faut encore un peu de temps.
Dominique : Pour le moment, nous parvenons à tout mener de front et cela exige une organisation quasi militaire. Mais l’avenir nous dira si c’est tenable ou s’il faudra rechercher effectivement des collaborations.
Le programme de sorties est déjà bien dense pour cet automne et cet hiver. Une fréquence nécessaire pour être visible ?
Frank : Nous avons passé une partie de notre vie au contact de réalités comptables et tenons beaucoup à l’équilibre financier de notre maison. Il s’agit de durer. Et pour cela il est important d’avoir une taille critique. On ne traverse pas l’Atlantique avec un dériveur de plage.
Le loup d’Hiroshima est sorti en août, avez-vous des retours des lecteurs, des libraires ? Le démarrage est-il prometteur ?
Frank : Nous voudrions remercier ici, au-delà des lecteurs qui sont les juges ultimes, au-delà des libraires qui sont les passeurs indispensables, au-delà de notre attachée de presse Olivia Castillon, le travail fantastique fait par notre diffuseur distributeur Harmonia Mundi à Arles. Grâce à eux, nous avons dû réimprimer l’ouvrage.
Dominique : c’est très rassurant et ça nous fait redoubler d’énergie ! Maintenant, j’attends avec impatience les réactions au sujet de notre prochaine publication, Le Point zéro, un roman de Seichô Matsumoto (un de mes héros avec Raymond Chandler, Elmore Leonard, Georges Simenon et Ed McBain). Le Point zéro est un formidable roman très en avance sur son temps, mettant en scène une héroïne qui se bagarre seule pour découvrir les raisons de la disparition de son mari dans un Japon en pleine modernisation. Ça a été un grand plaisir de le traduire.
Pouvez-vous nous faire part des prochaines sorties ?
Frank : Comme Dominique l’a annoncé, cet automne, nous publierons le roman de Seichô Matsumoto, puis Rouge est la nuit de Tetsuya Honda, La leçon intégrale de photographie de Araki, un livre de Hard SF, Nuage orbital de Taiyô Fujii et, j’espère, notre premier roman érotique, La Forêt des vipères de Ayano Ukami.
Le loup d’Hiroshima deYûko Yuzuki : un flic anti-conformiste, son apprenti et les yakuzas …
Été 1988, Kurehara (trente minutes en train d’Hiroshima), le commandant Ôgami travaille à la division d’enquête du crime organisé. C’est un loup solitaire aux méthodes peu conventionnelles mais aux résultats excellents. Jamais au bureau avant midi, il traîne tard le soir dans les bars et fréquente peut-être d’un peu trop près certains yakuzas du secteur. Le lieutenant Hioka sort de l’université et devient son apprenti. Il comprendra vite que son chef est une personne spéciale, qui flirte avec la légalité et n’hésite pas à employer la force et la menace si besoin. La confiance s’installe entre les deux hommes. Ils enquêtent sur la disparition du comptable d’une agence de prêt tenue par l’un des gangs qui sévissent dans le secteur. Très vite, la situation se complexifie, s’envenime. Entre règlements de compte et pièges, la situation pourrait très vite dégénérer et mener à une nouvelle guerre des gangs, comme la région en a déjà connu par le passé.
C’est une course contre la montre qui s’engage pour éviter un bain de sang. Ôgami initie son lieutenant qui, après avoir montré quelques signes d’incompréhension ou de résistance, ne tarde pas à être un bras droit indispensable.
De rencontre discrète en découverte de cadavre, de bagarre en menace, le lecteur avance dans le livre à pas feutrés derrière le commandant et son lieutenant, suffocant dans la moiteur de l’été à Hiroshima. Les descriptions sont très précises, les visages se dessinent, les ruelles sombres inquiètent, les verres d’alcool embrument, mais chaque détail a son importance dans une intrigue prenante jusqu’à la fin.
C’est une véritable plongée dans le milieu des yakuzas qui est proposée au lecteur. Les pachinkos, la méthamphétamine, les prêts frauduleux, tout un système sur lequel prolifèrent les gangs. Dans cet univers, il n’y a pas les bons flics d’un côté et les méchants yakuzas de l’autre, tout est bien plus complexe. Ôgami a des liens avec certains yakuzas, qui remontent à l’enfance. Son passé difficile, l’amitié qui le lie à Akiko qui tient le restaurant Aux petits plats de Shino, des zones d’ombre qui apparaissent petit à petit : C’est un homme complexe que son lieutenant apprend à connaître et à apprécier. Un duo passionnant comme savent les mettre en scène les plus grands auteurs de polar !
Personnages limites, atmosphère pesante, suspense oppressant, on comprend très bien que ce polar ait été adapté au cinéma au Japon. Tous les ingrédients sont là pour en faire un thriller réussi … avec la silhouette d’Ôgami dans une ruelle sombre, panama sur la tête et cigarette Peace à la bouche.
N’hésitez pas, partez à la découverte des publications de cette nouvelle maison d’édition ! Originalité et diversité … et des traductions d’une très grande qualité : tout pour passer un très bon moment de lecture !
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Le point zéro est un excellent livre, le loup d’Hiroshima, suivi de l’oeil de chien enragé on attend avec impatience le tome 3 remarquablement écrit…..continuez