[Interview] Kimitoshi YAMANE, dessine moi un mecha
Dans la continuité de notre dossier dédié aux 20 ans de la série Cowboy Bebop, nous accueillons cette fois-ci Kimitoshi YAMANE dans nos colonnes. Mecha designer sur des séries majeures telles que Gundam, Bubblegum Crisis, Eureka Seven, Escaflowne et bien-sûr Cowboy Bebop, il reviendra avec nous sur les œuvres qui l’ont influencé et sa conception d’un mechanical design équilibré.
Fascinating cars Riding
On imagine souvent les mecha designer comme étant des fans de jeux de construction ou d’aéronautique durant leur enfance. Était-ce le cas pour vous ? Comment en êtes-vous arrivé à devenir mecha-designer ?
Dans ma jeunesse, j’ai lu beaucoup de roman de guerre et j’étais fan des œuvres de Matsumoto LEIJI, notamment les mangas qui parlaient de la seconde guerre mondiale, comme The Cockpit. Bien-sûr, on ne peut pas ne pas parler de Space Battleship Yamato, que j’ai énormément lu, j’ai beaucoup étudié le Yamato lui-même au travers de ses planches. J’ai aussi fait beaucoup de montage de maquettes de chars.
Vous avez alors peut-être un attrait particulier pour les engins militaires ?
J’ai beaucoup étudié les mechas qui apparaissent dans des œuvres comme Macross, Yamato ou Gundam, mais je suis aussi un fan de voiture. Plus jeune, j’ai connu ce qu’on appelle le Super Car Boom, où tous les constructeurs italiens de voiture de luxe, comme Ferrari ou Lamborghini, faisaient des voitures extraordinaires. Cela a aussi été un élément important dans ma construction artistique, avec évidemment la série Thunderbirds (NDLR : Les sentinelles de l’air) et toutes les voitures de la série Supercar. Toutes les séries de Gerry Anderson en fait (rires).
En faisant des maquettes d’avions et de modèles réduits de voiture et de chars, je pouvais les dessiner sous tous les angles, car il suffisait de tourner la maquette, de la placer différemment pour observer les différentes proportions, ce qui me permettait de les voir dans leurs globalités, et non pas uniquement sur une face. En lisant des mangas, on ne voit généralement qu’une seule face d’un engin, alors je m’amusais à les dessiner sous un autre angle, qui n’apparaissait pas dans le manga. Je le visualisais en 3D, et je faisais tourner mentalement cette représentation pour la reproduire, ce qui m’a fait apprendre les perspectives.
Vous avez conçu des engins fonctionnels et « réalistes » comme dans Cowboy Bebop, mais aussi des robots futuristes et humanoïdes. Où se situe votre préférence entre old-school et futurisme en termes de mecha design ?
Dans le cadre de Cowboy Bebop, nous étions arrivés à une période qui se situait juste après Evangelion, et on se demandait comment nous pourrions faire quelque chose de nouveau. Evangelion avait déjà ouvert la voie par rapport aux précédentes séries de mecha, qui étaient extrêmement chargées, avec trop de détails, plein de choses peut-être inutiles. Evangelion a simplifié les designs établis, tout en mettant une énorme puissance dans le dessin. C’est ce que je voulais réussir à faire sur Cowboy Bebop. Si on doit avoir un vaisseau qu’on utilise comme une voiture, est-ce qu’on va le customiser à outrance ? Non. Alors j’ai rajouté quelques détails pour enjoliver le dessin, mais j’avais en tête l’idée de quelque chose de fonctionnel, de sorte que ce soit un engin que tout le monde puisse conduire.
The Singing Sea II
Pouvez-vous nous parler de la conception du SwordFish II de Cowboy Bebop ?
Dans le projet de Cowboy Bebop, l’histoire se passe dans le système solaire, mais du point de vue où ce serait un espace plutôt « confiné », si je puis dire, comparativement à l’entièreté de la Galaxie. Les gens montent dans des vaisseaux pour relier la planète Mars à la planète Terre comme on prendrait l’autoroute pour rejoindre une ville éloignée, une échelle de grandeur relativement courte donc, où les trajets sont fréquents. J’ai donc réfléchi à une voiture dans l’espace, et même une moto spatiale, mais l’image ne collait pas. Alors j’ai pensé à des vaisseaux-bateaux en essayant toutes sortes de designs. Finalement, l’idée qui est ressortie est celle d’un vaisseau-bateau-poisson, et j’ai orienté mes recherches sous cet angle. C’est de cette idée de poisson qu’est arrivé le Swordfish (NDLR : Espadon en anglais).
Comme je vous disais tout à l’heure, avec Evangelion, la plupart des mecha apparaissant dans les animes de l’époque étaient soit issus d’une super technologie, soit issus des vestiges d’une race extraterrestre inconnue, et je voulais revenir à une forme un peu plus nostalgique. J’apprécie les vaisseaux de la Seconde Guerre mondiale, j’ai donc commencé à développer des engins volants contemporains et de conception humaine. J’ai ensuite été bloqué, car l’historie se passe dans l’espace, et si on devait se battre avec des tenues spatiales classiques, à base de combinaison et de casque, on aurait perdu du « mouvement ». Cela aurait surtout souvent dissimulé le visage des personnages. J’ai donc développé une sorte de monopod dans lequel serait le personnage, et qui ferait office de combinaison spatiale, tout en laissant bouger l’utilisateur correctement. C’est un point sur lequel j’ai pris le temps de réfléchir, tout en gardant en tête cette envie de réalisme pour que les gens se disent : « c’est pas mal, je pourrais avoir le même ».
Pourquoi, selon vous, parle-t-on encore dans le monde entier de Cowboy Bebop, 20 ans plus tard ?
Ça serait plutôt à moi de vous poser la question (rires). Je suis sincèrement heureux que cette œuvre soit aimée unanimement par le monde entier, c’est quelque chose d’extraordinaire pour moi. Lorsque l’on produit une série d’animation, on vise une cible en essayant de déterminer le public qui sera touché en fonction du sujet que l’on est en train de développer. Dans le cas de Cowboy Bebop, le réalisateur, Shin’ichiro WATANABE, a dû viser large si je puis dire, notamment à cause de l’heure de diffusion tardive le soir, et c’est peut-être une des raisons du succès. L’autre point serait que, sur chaque épisode, il y a de l’entertainment. Un épisode d’horreur, un comique, un complètement à la masse, etc… Chaque semaine, lorsqu’un nouvel épisode était diffusé, il y avait un changement, un renouveau, qui a surement fédéré un public où chacun a trouvé des références qui lui plaisait et qui lui parlait. Je pense que c’est pour ça que, 20 ans plus tard, Cowboy Bebop continue de passionner les foules.
Comment fait-on un bon mecha design ?
C’est d’abord de la communication. Sur Cowboy Bebop par exemple, nous avons eu beaucoup de réunions lors de l’élaboration du projet, et même pendant la production. Ces réunions permettaient à l’équipe de savoir ce que le réalisateur voulait, il nous y expliquait l’univers de la série et ses différentes caractéristiques. À ce stade-là je commence déjà à me focaliser sur l’univers, ce qui pourrait être intéressant et quelles sont les limites de ce que l’on peut faire avec. C’est donc beaucoup d’échange avec la vision du réalisateur. Par la suite, j’ai regardé les premiers dessins de Toshihiro KAWAMOTO (character designer sur la série) pour voir les personnages et leurs spécificités. Et, voyant leurs caractères, j’ai alors pensé aux vaisseaux qui pourraient leur convenir. Tout ça s’est fait au fur et à mesure, avec une grande part d’imagination. J’écoute donc les directives des intervenants créatifs, je me concentre, et je me façonne une image personnelle du projet pour commencer à développer le mechanical design.
Ensuite, c’est de l’observation. Que ce soit en animation ou en film live, le fait de beaucoup observer les objets, les bâtiments qui nous entourent, permet de se forger un répertoire d’image. Je lis beaucoup aussi, et lorsqu’il n’y a pas d’images, on se créer tous les visuels dans notre petit théâtre mental. Je suis fan d’un livre d’Ernest Hemingway qui s’appelle Le vieil homme et la mer, dans lequel une scène m’a particulièrement marqué. C’est lorsque le vieil homme, avec son petit fils, attrape un espadon, et lorsqu’ils essayent de ramener le poisson, il se fait manger par un requin. Cet espadon m’a beaucoup marqué à l’époque, et c’était un plan de recherche lorsque j’ai conçu le Swordfish. J’ai pensé océan spatial, poisson, et le premier qui m’est venu à l’esprit fut l’espadon. Vous voyez, les influences peuvent venir d’endroits que l’on n’imaginerait pas (rires).
Et pour finir, c’est le travail. Plus on travaille, plus on développe ses compétences.
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Et l’expérience n’est pas quelque chose qui vous manque ! Merci beaucoup pour cet entretien monsieur Yamane !
Merci beaucoup (en français) !
Notre dossier touche bientôt à sa fin, et c’est Toshihiro KAWAMOTO qui clôturera le bal avec notre dernière interview du staff de Cowboy Bebop.
Vous pouvez retrouver nos précédents articles consacrés à Cowboy Bebop :
Conférence avec le staff créatif.
Interview de Masahiko MINAMI (producteur) et de Keiko NOBUMOTO (scénariste).
Nos remerciements vont à Mr Yamane pour sa sympathie, à Pierre Giner pour sa parfaite interprétation durant cette interview, ainsi qu’au staff de Japan Expo pour avoir permis cette interview.
SEE YOU SPACE COWBOY…