L’art du sushi avec le maître Jiro Ono
La gastronomie japonaise est un art. Et au sein de cet art on trouve Jiro ONO, l’un des plus grands artistes de la discipline. Jiro, du haut de ses 93 ans, est le maître sushi le plus fameux du monde, avec ses 3 étoiles Michelin. Sa vie et sa passion sont retranscrites dans un documentaire baptisé Jiro dreams of sushi, récemment diffusé sur Netflix. Découvrons qui est cette légende qui a élevé le sushi au rang d’œuvre d’art.
Jiro Dreams of Sushi, une ode à la délicatesse
En 2011, le réalisateur américain David GELB réalise un documentaire sur un petit restaurant de sushi de 10 places situé à Tokyo, et plus précisément dans le métro de Ginza. L’endroit se nomme Sukiyabashi Jiro et le chef qui le dirige n’est autre que Jiro ONO, l’unique maître sushi à avoir obtenu 3 étoiles au guide Michelin. Ce documentaire, Jiro Dreams of Sushi, retrace le parcours de cet homme d’exception.
« Comment définir la notion de Délice ? Pas facile d’expliquer le goût… Dans mes rêves, j’ai des visions de sushi »
C’est par ses mots du maître sushi Jiro ONO que débute le documentaire qui lui est consacré. Puis le visage de l’homme apparaît. Chauve, le visage fermé duquel émane pourtant une certaine malice, de petites lunettes rondes, Jiro semble plus jeune que ne l’indique son âge. On le revoit enfant, brièvement, et il semble n’avoir pas changé. Quelques photos plus tard, la musique enjouée qui accompagne cette introduction s’arrête.
Face à la caméra, Jiro ONO nous prodigue ses conseils : aimer son travail, ne jamais s’en plaindre, et dédier sa vie à se perfectionner dans son domaine. A 93 ans, le sushiman sait de quoi il parle, lui qui a passé sa vie à créer les meilleurs sushi. Lors de ses prises de paroles, chaque mot de Jiro semble dûment pesé. Il parle comme il prépare ses sushis, avec minutie et sérieux.
Le réalisateur va tour à tour offrir la parole à Yamamoto, un critique culinaire pour qui Sukiyabashi Jiro est le meilleur restaurant qu’il connaisse, puis au fils ainé de Jiro, Yoshikazu, qui seconde son père depuis de nombreuses années. A ses côtés, il a appris chaque geste, il a écouté ses conseils, lui qui aura la lourde de tâche de reprendre le flambeau quand le Dieu des sushi rappellera son messie à lui.
Parmi les autres intervenants, on croisera l’autre fils de Jiro, plus jeune, Takashi, qui a son propre restaurant de sushi. Mais aussi son fournisseur de riz et ami Hiromichi, un vendeur de poissons atypique du marché de Tsukiji, ou les jeunes apprentis de Jiro qui racontent avec émotion leur expérience aux côtés du grand maître.
Ensemble, ils dressent un portrait de Jiro ONO qui nous permet de comprendre l’homme qui se cache derrière son tablier, ainsi que sa manière de travailler. Des scènes filmées au ralenti accompagnées de musique classique viennent sublimer chaque geste du maître et ne manqueront pas de vous mettre l’eau à la bouche. On a l’impression d’assister à un balai de danse, ou chaque détail compte, ou rien n’est laissé au hasard. Jiro est d’ailleurs comparé à un chef d’orchestre, que chacun tente de rendre fier en donnant le meilleur de lui-même. Pas de fausses notes, tout doit être parfait.
Plus qu’un documentaire sur un homme d’exception, c’est une véritable réflexion sur l’héritage que peut laisser un artiste de cette trempe dans la gastronomie nippone. Ses fils sauront-ils faire perdurer la légende ? Ou est-ce que la disparation de Jiro signera la fin d’une époque ?
Jiro Dreams of Sushi est un documentaire superbe, qui fait honneur au sushi et à l’un de ses plus grands représentants. A voir d’urgence !
https://www.youtube.com/watch?v=aGW9kQA2OZ4
Jiro Ono, le sushiman légendaire
Jiro ONO est né le 25 octobre 1925, à Tenryu (désormais Hamamatsu), dans la province de Shizuoka au Japon. Fils d’un homme qui le laisse seul avec sa mère à l’âge de 7 ans, Jiro commence à travailler dans un restaurant local dès ce jeune âge. Comme il le dit dans le documentaire, j’ai dû travailler pour survivre. Il partira ensuite pour Tôkyô, en tant qu’apprenti, avant de devenir chef sushi en 1951.
De cette jeunesse difficile, il garde une rigueur à toute épreuve, et une attitude stricte envers ses deux enfants, aujourd’hui tout deux maîtres sushi également.
14 ans plus tard, en 1965, il inaugure le restaurant Sukiyabashi Jiro qui est aujourd’hui considéré comme le meilleur restaurant de sushi du monde.
Au fil des ans, il a perfectionné son œuvre, en recherchant des saveurs nouvelles et des alliances d’ingrédients qui porteraient le sushi à un autre niveau. Et si les 3 étoiles décernées par le guide Michelin témoignent d’un savoir-faire sans égal, les nombreux visiteurs prestigieux qui ont fréquenté le restaurant de Jiro semblent tous s’accorder sur les mêmes points : on se délecte de chaque sushi présenté par le maître, qui se révèle en plus être un homme charmant.
Joël ROBUCHON, l’un des plus grands cuisiniers français (qui nous a quitté en août dernier, à l’âge de 73 ans) ne tarissait pas d’éloge sur Jiro et sa cuisine, citant même Sukiyabashi Jiro comme son restaurant favori au Japon. Le maître japonais lui rend la pareille, en affirmant que s’il a lui-même un sens du goût et un odorat développés, c’est loin d’être au niveau de ceux du chef français.
Malgré les louanges des plus grands, et un restaurant qui ne désemplit pas (un mois d’attente pour avoir une table…), Jiro ONO a su rester un homme simple. Il se déplace en métro et suit une routine quotidienne qui ne diffère pas malgré le temps qui passe.
Passion, maîtrise et travail acharné
Pour en arriver à un tel niveau de qualité, Jiro suit certains principes figés sans jamais en dévier, sauf si sa santé l’inquiète. C’est la répétition de petits gestes, année après année, qui lui ont permis de devenir le meilleur. Comme il le mentionne, il faut tomber amoureux de son travail et consacrer sa vie à devenir meilleur dans son domaine.
Des valeurs fondatrices qu’il a su suivre pendant des décennies, avec une rigueur inébranlable. Dans sa cuisine, bien sûr, mais aussi dans l’éducation qu’il a inculquée à ses enfants. Il considère d’ailleurs comme stupides les parents qui proposent à leurs enfants de revenir à la maison, au cas où les choses ne se passeraient pas comme prévu. Pour lui, il n’y a pas de retour en arrière : il faut avancer, et tout donner pour être le meilleur. L’échec ne semble pas envisageable. Et à ce prix, avec cette mentalité traditionnelle, il a su s’élever au-dessus de ses contemporains.
Cette rigueur, il l’applique aussi dans le choix de ses produits. Il a un vendeur de thon attitré, Fujita, qui s’emploie à lui trouver le meilleur poisson du jour : il n’achète que le meilleur morceau, quitte à repartir bredouille en cas d’impossibilité. D’autres, sur le marché de Tsukiji, réservent certaines denrées au maître car ils savent que leur produit sera transformé de la meilleure des manières. Il en va de même pour le riz : il suffit de voir la conversation entre Jiro et son vendeur de riz Hiromichi pour comprendre le respect qu’a le maître pour ses matières premières. Et on ne peut que sourire en voyant Jiro s’agacer de ceux qui achètent du riz d’exception sans savoir le travailler !
D’ailleurs, Jiro ONO est inquiet pour le futur. Alors que la question de la pêche intensive, celle du thon rouge en particulier (mais le problème concerne d’autres espèces marines) est toujours d’actualité, on voit le maître sushi se questionner : il a vu certains poissons disparaître, et s’il estime que l’on peut trouver des substituts pour certaines variétés, d’autres sont irremplaçables. L’avis de Jiro importe, mais seul, il reste impuissant face à une industrie qui en veut toujours plus. La consommation de sushi a explosé partout dans le monde, au détriment de la qualité.
Alors que laissera-t-il au monde, si personne ne peut plus faire des sushis de cette qualité ?
A la recherche de la perfection : un héritage assuré ?
Si des critiques culinaires et autres amateurs de gastronomie s’inquiètent de voir disparaître le maître sushi, craignant que ne s’éteignent avec lui une tradition et un art, Jiro s’est appliqué à construire son héritage.
Ses fils, formés à la dur, avec bien plus de rigueur que les autres apprentis, reprendront le flambeau. Takashi a déjà son restaurant à Roppongi Hills, et il propose des prix un peu plus abordables que celui de son père avec cette humilité que l’on connait aux japonais : comment pourrait-il afficher les mêmes prix pour ses sushis, alors qu’il ne les prépare que depuis quelques dizaines d’années, tandis que Jiro y a passé sa vie ?
Le cas de Yoshikazu, le fils aîné, est différent. A la mort de son père, il devra prendre les rênes de ce restaurant dans lequel il travaille depuis si longtemps. Il succédera ainsi à son illustre père, et tentera de proposer une cuisine à la hauteur des attentes.
Pour le moment, Jiro ONO continue à gérer son restaurant. Il crée, il goûte et supervise, avec une attention aux détails qui laisse pantois. Il recherche la perfection, pour proposer une expérience unique. Le Omakase (お任せ) est le menu unique servi chaque jour, et conçu avec les ingrédients trouvés sur le marché. Chaque repas chez Jiro coûte environ 280 euros, pour 20 sushi servis en 15 à 20 minutes. Et dans ce laps de temps, tout est orchestré : la place des convives, le rythme, la taille des sushis et leur ordre, pour un balai de saveurs cohérents.
Un moment de plaisir bref mais intense, rendu possible grâce à une vie de perfectionnement.
Jiro ONO fait partie de ces personnages auxquels on s’attache rapidement, sans même prendre la mesure de son importance. Son visage, son sourire et ses mots semblent remplis de sagesse, et il suffit de voir la façon dont il manie les aliments pour s’émerveiller. Le reportage Jiro Dreams Of Sushi permet de découvrir un homme simple, passionné, qui laissera une trace importante dans l’histoire de la gastronomie. Il élève le sushi au rang d’art et après avoir visionné ce documentaire, vous ne regarderez plus vos sushis de la même façon !
Références :
https://www.sushi-jiro.jp/dining-at-jiro/ (site officiel du restaurant Sukiyabashi Jiro)
https://www.wsj.com/articles/SB123796081374435283 (liste des restaurants favoris de J.Robuchon)
Si vous souhaitez regarder ce documentaire, vous pouvez le retrouver en payant 2,99 € sur youtube.
1 réponse
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