Yasunari KAWABATA : regards sur l’entre-deux mondes

KAWABATA est un auteur très fameux du XXe siècle. Il est notamment le premier Japonais à recevoir le Prix Nobel de littérature. Mais au delà de cette distinction reçue en 1968 pour Pays de neige, c’est tout un travail qui est remarquable. Aujourd’hui, intéressons-nous à ce dernier à travers le prisme de la vie de son auteur.

Yasunari KAWABATA, la mort endémique

Né en 1899, le jeune Yasunari est confronté a une enfance terrible : ses parents ainsi que sa sœur meurent de la tuberculose. Il est alors recueilli par ses grand-parents. Tous deux disparaissent dans la décennie suivante. Il n’est donc pas étonnant de constater que son travail lui-même ait été sous le joug du funeste. En dépit de cette jeunesse parsemée de disparitions tragiques, Kawabata réussit à intégrer l’Université impériale de Tokyo (encore aujourd’hui la plus prestigieuse du Japon). C’est dans le quartier populaire d’Asakusa, réservé aux plaisirs, théâtres, cinémas et bars, qu’il observe la ville et ses bons vivants, laissant profondément ancré en lui un imaginaire qui aura un impact important sur son œuvre.

Yasunari KAWABATA, alors déjà renommé

Le style KAWABATA

Kawabata, c’est un style très singulier marqué par beaucoup de régularités. D’abord, les yeux et la trajectoire des regards sont toujours mis en évidence. La particularité ? Rarement ceux-ci ne se croisent directement. Ce concept du face à face impossible, du coup d’œil dérobé, est sublimé lorsque dans Pays de neige, lorsque Shimamura scrute le reflet des individus à ses côtés dans la fenêtre du train :

« Sur le fond, très loin, défilait le paysage du soir […] Il n’y avait aucun lien, bien sûr, entre les images mouvantes de l’arrière-plan et celles, plus nettes, des deux personnages ; et pourtant tout se maintenait dans une unité fantastique, tant l’immatérielle transparence des figures semblait correspondre et se confondre au flou ténébreux du paysage qu’enveloppait la nuit« .

C’est en ces scènes mémorables que KAWABATA transforme le réel en un univers doux, reposant et énigmatique qui charme à coup sûr le lecteur. Surtout, la pureté et le dépouillement ressortent délicatement grâce à une écriture aussi laconique et simple que profonde et aspirante. Une lecture facile sur la forme donc, mais une réflexion plus importante sur le fond : limites entre rêve et réalité parfois s’entremêlent.

Yasunari Kawabata, chez lui à Kamakura

Le rêve et l’entre-deux-mondes chez KAWABATA

KAWABATA, c’est aussi la figure de proue de cette fantaisie japonaise qu’est le betsu no sekai (別の 世界), « l’autre monde« . En tant qu’écrivain comme en tant qu’homme, il attache une importance toute particulière à la vie parallèle, la communication avec les morts, ce qu’il désigne comme étant « l’extase du néant« . La compréhension étant, selon lui, jamais absolue entre deux êtres humains, il préfère se réfugier dans l’inconscience. Pour lui, « forcer l’accès difficile du monde des démons« , c’est-à-dire de la transgression, des fantasmes et du rêve, semble plus inspirant que la réalité ennuyeuse et morose de la conscience. Cette vision des choses (évidemment due à l’omniprésence de la mort au cours de sa vie) explique certains passages abscons dans ses ouvrages, entre le monde réel des hommes et celui, plus fantasque, des rêves. D’où également la présence de thèmes tels que l’inceste ou le trépas dans son œuvre. Ce principe met en lumière sa permissivité et sa tolérance vis-à-vis de ses contemporains. L’un d’entre eux se nomme Yukio MISHIMA.

Kawabata et Mishima, ensemble à Kamakura

KAWABATA – MISHIMA : un duo permissif

MISHIMA dit un jour de Kawabata que celui-ci « sait employer la force sans forcer« . Cette louange à son style montre absolument l’affection que les deux écrivains ont l’un pour l’autre. Le premier adule le travail dont fait preuve son aîné, et le second voit en son contemporain son successeur et héritier spirituel. MISHIMA étant en plus homosexuel, il représente lui-même la transgression et lutte (aussi politiquement) contre le conformisme d’alors. Dans La danseuse d’Izu, KAWABATA écrit d’ailleurs:

« Je ne pouvais plus supporter la mélancolie qui m’avait étreint lorsque j’avais observé combien mon caractère se trouvait aigri par ma situation d’orphelin. Le fait de paraître sympathique […] à mes compagnons de route m’était inexprimablement précieux.« 

Dans ce passage aux airs autobiographiques se devine le genre d’amitié que KAWABATA pu trouver en MISHIMA.

Mishima, quelques minutes avant son seppuku au quartier général des forces d’auto-défense

Yasunari KAWABATA s’est imposé comme l’un des maîtres de la littérature japonaise du XXe siècle. Sa jeunesse marquée par les décès de ses proches, et notamment de ses parents, ont laissé une empreinte indélébile dans son œuvre. Fantasque et onirique, sérieuse et parfois plus légère, celle-ci influence toujours bon nombre d’auteurs et d’artistes. Choqué, désemparé par le spectaculaire seppuku publique de son grand ami Yukio MISHIMA en 1971, Yasunari KAWABATA se suicide au gaz en 1972, laissant la mort le frapper pour la dernière fois. Depuis 1974, un prix japonais de littérature est décerné en son honneur.

Nils MARIE

Etudiant à l'Institut français de presse à Paris, je suis passionné de la culture et de la société japonaises.

1 réponse

  1. 12 janvier 2020

    […] atmosphériques, « Fuji, pays de neige », nom qui fait allusion au roman Pays de neige de Yasunari KAWABATA dont plusieurs extraits seront d’ailleurs lus au musée dans un cycle de lecture. […]

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