C’est la rentrée littéraire ! Venez découvrir les nouveautés japonaises.
Comme chaque année, Journal du Japon vous propose sa sélection pour la rentrée littéraire et il y en a pour tous les goûts !
Les rêves angoissants de Sôseki en manga
Les éditions Picquier proposent au lecteur, depuis quelques années, de très belles adaptations d’œuvres classiques d’auteurs comme Kawabata ou Sôseki, au format manga. C’est à nouveau le cas en cette rentrée littéraire avec ces rêves, ou plutôt ces cauchemars, écrits en 1908 par ce grand écrivain qu’est Sôseki, et dessinés en noir et blanc par la talentueuse Yôko KONDO.
Chaque récit commence par « J’ai fait un rêve », et plonge le lecteur dans un univers entre réalité et rêve, entre enfance et monde fantastique, parmi humains et créatures étranges.
Une femme se meurt et demande à son amant de creuser sa tombe avec une huître perlière et de faire d’un morceau d’étoile tombé du ciel sa pierre tombale…Puis d’attendre cent ans.
Un samouraï cherche à atteindre l’éveil et se demande, après avoir écouté le moine, « le néant, c’est quoi le néant, bonze de mes deux ? ». Perdu dans ses pensées, il navigue alors entre choses réelles et irréelles, voyant des créatures divines quand soudain, la cloche sonne.
Un père veut abandonner son enfant dans la forêt. Mais pourquoi cet enfant a le crâne rasé, les yeux crevés et parle comme un adulte ?
Dans une autre histoire, un autre enfant suit un vieil homme qui promet de transformer un bout de tissu en serpent.
Lorsqu’une femme chevauche un cheval blanc pour retrouver son amant avant qu’il ne soit exécuté à l’aube, un esprit malin l’entraîne vers sa perte.
Autre histoire courte, autre femme qui va chaque nuit prier Hachiman, le dieu des archers et de la guerre, pour que son mari samouraï revienne.. A-t-elle perdu la raison ?
Et que dire de ce beau jeune homme au panama qui aime regarder les filles dans la rue et disparaît pendant sept jours, après s’être fait enlever par une femme superbe. Il reviendra tout tremblant. Qu’a-t-il bien pu se passer ?
Parfois, les rêves se font plus contemplatifs, avec l’ennui mortel d’un voyage en bateau vers on ne sait où, ou l’observation des passants à travers la vitre d’un coiffeur. Nostalgiques aussi, devant les sculptures si belles de rois célestes, réalisées par un sculpteur d’une autre époque. S’essayant à la sculpture, le narrateur pense, fataliste : « Le bois de notre époque ne risquait pas de contenir un roi céleste ».
On y retrouve à la fois la poésie de Sôseki, mais également la noirceur qui parfois le hantait. Le côté fantastique, par exemple dans la nuit du petit enfant aux yeux crevés, est plus déroutant et original chez l’auteur. Mais toujours on y retrouve ce qui le caractérise : un regard fin sur les humains, avec leurs qualités et leurs défauts, leurs envies, leurs espoirs, mais aussi leur tristesse et leur désillusion. La vie, l’amour, la mort …
La mangaka réussit à mettre en images ces rêves variés avec beaucoup d’inventivité. Lorsqu’elle sent quelque chose d’occidental dans l’écriture à l’exemple de la première nuit avec la femme qui se meurt, elle occidentalise également le dessin dans « un style neutre et sans nationalité ». Parfois le je du récit prend les traits de Sôseki, pour renforcer l’idée du rêve de l’auteur. KONDO joue magnifiquement avec les noirs profonds, les ombres, les lignes fuyantes. Le travail sur les yeux est également intéressant : brillants du reflet de l’être aimé, tristes, effrayés, scrutateurs ou fermés. Les sentiments des personnages y sont bien visibles.
Les décors enrobent les personnages : forêts effrayantes, maisons traditionnelles soignées, temples dans les bois, falaises abruptes, arbre pleureur, pin majestueux, petites échoppes. Tout est finement dessiné pour des mises en scène très réussies !
Un manga envoûtant, qui laisse le lecteur dans un état second … peut-être à ne pas lire avant de s’endormir !
Plus d’informations sur le site de l’éditeur.
Sôseki toujours : deux nouvelles entre amour et mort
Dans les deux nouvelles présentées ici, toute l’intelligence et l’art du récit de Sôseki sont à l’œuvre.
Il peint avec talent un Japon en pleine évolution, entre fantômes d’antan et arrivée de l’électricité, entre soldats morts pendant la guerre russo-japonaise de 1904-1905 et ancêtres en charge de la résidence princière. Une société que l’auteur aime éplucher, gratter, égratigner pour mettre à nu ses travers, entre nostalgie et moquerie.
Le narrateur du premier récit, tout juste diplômé en droit, se tue à la tâche au bureau. Il est très envieux de son ami de lycée Tsuda auquel il vient rendre visite dans sa pension. Tsuda a encore le temps de lire, de faire des analyses psychologiques, de raconter des histoires de fantômes. Le narrateur, lui, arrive tout juste à payer le loyer de sa petite maison et se plaint de la vieille femme qui lui fait la cuisine. Elle est superstitieuse et n’arrête pas de l’inquiéter avec toutes sortes de présages qu’elle tient d’un bonze. La fiancée du narrateur ayant eu une mauvaise grippe, la vieille femme lui explique qu’elle pourrait bien mourir, que les chiens qui aboient dans la nuit sont un signe. Et lorsque le narrateur rentre chez lui le soir et qu’il croise deux hommes portant le cercueil d’un bébé, petit à petit la tension monte. Son esprit se met alors à imaginer les événements les plus dramatiques. Se laissera-t-il envahir par la folie ?
Chez le coiffeur, on raconte des histoires de tanuki et autres fantômes. Mais c’est aussi parfois là que d’autres paroles plus sages sont prononcées :
« Pour raconter comme ça des idioties sur des revenants, des fantômes, je sais pas quoi encore … C’est des trucs du passé ! Maintenant qu’on a l’électricité, des vieilleries pareilles, ça suffit ! »
« Au fond de vous, les fantômes vous terrorisent, ils le savent et ils en profitent en voulant se montrer à tout prix ! »
Les gens de l’époque sont – déjà ! – trop nerveux : « Oh, eh bien, la nervosité, répondit Gen, on en rencontre un peu partout ! »
Une atmosphère fascinante entre vie moderne et croyances d’antan, qui peut perturber même les plus rationnels des hommes !
Dans la nouvelle Le goût en héritage, le narrateur voit arriver en gare les soldats héros de la guerre russo-japonaise. Ils ont la peau tannée, certains sont amaigris, vieillis, mais quelle joie de retrouver un fils, un mari ! Cependant, tous ne sont pas revenus. Le narrateur pense à son ami Kô, mort sur le champ de bataille de Port-Arthur en montant à l’assaut d’une citadelle. Sa mère est inconsolable.
Alors qu’il se rend au caveau de famille de Kô, il voit une belle jeune femme prier et déposer des chrysanthèmes blancs. Qui est-elle ? Kô n’avait pas de petite amie connue … Commence alors pour le narrateur une enquête à la recherche des ancêtres de Kô et de leurs relations amoureuses. Est-ce qu’on hérite du goût pour un même type de femme dans une même famille ?
Deux nouvelles originales, avec le ton grinçant de l’auteur, dressant le portrait de narrateurs agaçants avec le premier angoissé, râleur, débordé, le deuxième qui explique au lecteur qu’il n’est pas un écrivain et n’a donc pas les capacités d’écrire un roman pour tout décrire, mais se prend volontiers pour le nouveau Darwin.
Des témoignages précieux sur une société qui s’interroge sur son fonctionnement, son passé et son avenir.
Voici un extrait des notes de Kô au front :
La plupart du temps, il s’agissait de quelques mots : « Vent. On mange dans la tranchée. Deux boules de riz. De la boue partout ». Ou bien : « Signes de grippe depuis hier soir. Fièvre. Pas de médecin. De service, comme d’habitude. » Ou encore : « Sentinelle à l’extérieur de la tente touchée par la mitraille. Tombée contre la tente. Du sang », « Assaut prévu pour cinq heures. Compagnie décimée : échec de l’assaut. Un désastre !!! »
Plus d’informations sur le site de l’éditeur.
Notes découpées du Japon : impressions soleil levant
Pour mettre un peu de Japon et de poésie dans votre quotidien, rien de tel que ces notes découpées qui dressent un portrait émouvant du Japon sous les yeux d’un Français qui s’y est installé.
Le contenu du livre est très bien résumé par la première page :
Ce soir, à l’izakaya, ce conseil de Tateki : si un jour tu veux raconter le Japon, prends des ciseaux, coupe des petits et des grands morceaux et jette tout en l’air.
Accompagnés des superbes encres de Chine de Junko NAKAMURA connue pour ses illustrations d’ouvrages pour la jeunesse, les textes évoquent toutes les facettes d’un pays attachant : aquatique avec ses lacs, ses rivières, ses sources chaudes, mais également ses typhons et ses vagues destructrices, gastronome avec ses nouilles, ses biscuits, ses gelées comme des rivières, et surtout habité par des Japonais qui fascinent l’auteur lorsqu’ils dorment pendant le spectacle de Kabuki, aiment apprendre le français pour la complexité de sa conjugaison ou somnolent épaule contre épaule dans le train qui les ramène chez eux après une grosse journée de travail.
Les paysages peints prennent vie sous les yeux du lecteur grâce aux encres de Chine : un ciel noir mité de points lumineux pour évoquer le spectacle des lucioles, des feux d’artifice comme des fleurs géantes, les zébrures d’un typhon ou la vague noire du 11 mars 2011.
Il y a aussi parfois plein de petits personnages pour représenter les foules d’un matsuri, fête estivale en français, ou celles qui se pressent sous les cerisiers en fleur pour hanami. Des scènes plus intimistes montrent un paysage aperçu en entrouvrant les shôji, une amie qui attend devant une vieille boutique, un vieil homme qui porte sa femme qui ne peut plus marcher, un homme qui court en tous sens comme le lapin blanc d’Alice au pays des merveilles.
Parfois, seuls les objets sont peints : un verre de saké en l’honneur d’un défunt, un bol de nouilles préparé par un cuisinier mystérieux, une tasse de thé lors d’un tremblement de terre.
Juste pour le plaisir, voici un extrait sur une promenade de printemps :
C’est le premier beau jour du printemps et nous décidons de faire une balade à vélo dans le quartier. Nous quittons l’avenue et prenons le chemin piétonnier qui passe dans le dos des maisons et coupe à travers des ruelles et des sentiers étroits. Des marches en bois ou en pierre descendent des jardins sur la voie. Les maisons sont dissimulées par les arbres et les haies de bambous. Leur entrée officielle, plus large et plus sérieuse, se trouve de l’autre côté.
Par-dessus les murets et les barrières, dans les jardins, les vêtements et les draps sèchent sur des fils dans les coins de soleil.
Des promeneurs et des joggeurs se reposent sur les bancs faits d’un bloc de béton, près du tronc noir des cerisiers. De la mousse vert sombre pousse sur les dalles d’égout et cela leur donne un air ancien et noble, elles pourraient être plantées dans les graviers du Ryoan-ji. Nous dépassons des parcs pour enfants où sont abandonnés de longues balançoires jaunes à tête de chien et des toboggans en ciment coloré qui ont des formes de dinosaures. À notre passage, les fleurs d’un buisson s’envolent en papillons. Plus loin, après le passage à niveau, nous achetons des gâteaux parfumés à la pêche dans une épicerie; Ce sont des brioches pâteuses, beaucoup trop sucrées, des éponges asséchées à peine comestibles, et nous nous régalons.
Un petit livre pour humer et admirer le Japon.
Plus d’informations sur le site de l’éditeur.
Un automne à Kyôto : les notes de chevet de Corinne Atlan
Le nom de Corinne Atlan est connu des amateurs de littérature japonaise car c’est une grande traductrice de la langue de Sôseki. Mais c’est également une amoureuse du Japon qui y vit depuis plus de quarante ans. Sa déclaration d’amour, elle l’offre au lecteur sous forme de carnet intime, le temps d’un automne.
Ce sont donc les quatre mois de l’automne japonais qui défilent sous les yeux du lecteur : Nagatsuki, septembre, le mois des longues nuits, Kannazuki, octobre, le mois sans dieux, Shimotsuki, novembre, le mois du givre, et Shiwazu, décembre, le mois où les bonzes s’affairent.
Et pour chaque mois, les moments de saisons, ces « sous-saisons » chères aux poètes et aux jardiniers japonais !
Le calendrier lunaire japonais reconnaît vingt-quatre saisons comptant chacune trois subdivisions, ce qui porte à soixante-douze le nombre total de « moments de la saison ». Les société agricoles ont toujours accordé une importance cruciale aux changements climatiques, dont elles dépendent largement, mais au Japon, cet aspect s’est doublé d’une esthétique particulière, inspirée de la Chine avant de devenir une spécificité nippone.
Le premier moment de saison du livre est « Les bergeronnettes se mettent à chanter » et le dernier « Le ciel est froid, l’hiver arrive ».
Au fil des jours, des changements de temps et de couleurs, Corinne Atlan déambule dans sa ville d’adoption, sa ville de cœur. Son but : « traduire en mots ma perception intime de Kyôto ». Elle emmène le lecteur dans son quartier : sa vieille maison à flanc de montagne qu’elle habite avec quelques fantômes gentils, le petit temple juste derrière, ses voisins prévenants, sa pâtisserie préférée, la forêt où murmurent les kami. Les fleurs d’équinoxe rougeoyantes, la lune, les jardins des temples, tout est propice à méditation, réflexion. Les souvenirs remontent ; le Népal où elle a vécu, les amis qu’elle a laissés après un été en France, les morts.
Elle aime cette ville et livre au lecteur ses coins secrets, ses temples méconnus, ses ermitages dans la montagne, ses statues de Kannon ou de jizô polis par le temps. Elle donne envie de sortir des chemins touristiques pour se perdre à la tombée de la nuit aux lisières de la ville. Ses rêveries d’une promeneuse solitaire sont propices à la réflexion sur l’impermanence.
Mais c’est précisément le caractère transitoire de l’existence qui lui confère sa valeur. « Sans que jamais séchât la rosée aux plaines d’Adashi, sans que jamais s’évanouissent les fumées du mont Toribe, s’il fallait vivre ainsi toujours, où serait l’émouvante intimité des choses ? C’est son impermanence qui fait le prix de ce monde », écrit Kenkô Urabe, citant les antiques lieux de sépulture de Kyôto, devenus le symbole même de l’impermanence. « L’émouvante intimité des choses » est la traduction de mono no aware, la conscience mélancolique de la fugacité des phénomènes.
Tout au long du livre, un dialogue avec les grands auteurs japonais et occidentaux s’installe : Tanizaki, Bashô, Shiki, Murakami, Hirano, Barthes, Butor, Bouvier. Des haïkus se mêlent à la prose, comme dans les journaux de voyage des grands maîtres du genre. Et l’hommage aux Notes de chevet de Sei Shônagon est touchant lorsque le lecteur lit les « choses » listées par Corinne Atlan : choses agréables, choses surprenantes, choses lues, choses amusantes. Des petites réflexions couchées sur le papier dans les lueurs de l’aube.
Le livre n’est pas que louange, il met en évidence les ombres du présent et du passé de ce pays aimé : celles des corps désintégrés par la bombe atomique, celles des irradiés de Fukushima, mais aussi celles des travailleurs pauvres presque transparents, des SDF cachés, déplacés. La part d’ombre de ce pays lumineux et fascinant.
Découvrez, pour conclure, l’intense beauté du jardin du temple de la Fleur-de-Lotus …
On croirait une peinture japonaise … Quelques traits pâles d’encre de Chine émergent à l’horizontale d’un paysage brumeux : une barque vient d’accoster. Des traits plus noirs tracent la silhouette stylisée d’un ermite debout sur la berge, baigné de lumière laiteuse … Scène à la fois réelle et allégorique : l’esprit du méditant éclairé par l’enseignement du Bouddha (la lune) abandonne les limites étroites de son existence individuelle (la barque) pour entrer dans l’espace sans fin du nirvâna (le ciel).
Intense poésie de ce jardin d’eau et de pierre qui invite à la rêverie, tout en délivrant un message précis. Sous la peau du monde, un autre monde existe … Non pas un « au-delà » au sens chrétien, séparé de la réalité où nous sommes, mais un au-delà de nos perceptions ordinaires, un au-delà ancré dans le réel, en somme. Ce genre de paradoxe est après tout une spécificité japonaise : grande puissance d’abstraction mais attachement viscéral à la réalité. Tendance à l’onirisme mais précision et sens du détail extraordinairement développés … Paradoxe apparent, qui se dissout dans la nature même de la réalité. Nos vies sont faites de terre et de nuage. L’homme est debout entre le sol et le ciel : ce principe fondamental préside à nombre d’arts japonais.
Plus d’informations sur le site de l’éditeur.
Que vous soyez amateur de frissons, de fantômes ou de poésie, cette rentrée littéraire vous permettra de vous évader pendant de précieuses heures de lecture en compagnie des grands auteurs et d’amoureux du Japon !
Image de UNE, encre de Chine, extrait de Notes découpées du Japon ©Junko NAKAMURA ©Esperluète éditions