Les îles de la discorde : le Japon en conflit ouvert avec trois de ses voisins

Des conflits territoriaux animent les débats au Japon, alors que le pays revendique sa souveraineté sur plusieurs îles voisines qu’il se dispute avec la Russie, la Chine et la Corée. Autant mieux ajouter qu’aucun des trois pays n’est prêt à céder face aux requêtes nippones. Mais que se passe-t-il vraiment  dans les eaux entourant le Japon ?

Journal du Japon vous expliquent les raisons et les enjeux de chacun de ces conflits qui influent sur les relations diplomatiques du Japon avec ses voisins.

Conflit insulaire Japon

Un îlot des îles Kouriles

Le Japon contre la Russie, la Chine et la Corée du Sud : analyse des multiples conflits insulaires

Petite île perdue entre l’Océan Pacifique et la mer du Japon, le Japon profite d’ une situation privilégiée pour certaines activités comme la pêche ou le trafic maritime, en plus d’être un pôle militaire stratégique. Mais le pays est également le voisin proche de trois acteurs majeurs de l’économie mondiale : La Russie, la Chine et la Corée du Sud. Et c’est précisément avec ces voisins que le Japon entretient des conflits ouverts autour de la revendication de la propriété de plusieurs îles situées dans les eaux alentours, causant des disputes entre les différents acteurs. Des conflits qui durent parfois depuis de très longues années et qui provoquent encore aujourd’hui de vives tensions.

Les îles Kouriles sont l’objet de frictions entre le Japon et la Russie, les îles Senkaku attisent les rapports houleux avec la Chine et le conflit Nippo-Coréen est alimenté, entre autres, par des revendications sur les îles Takeshima ou Rochers Liancourt, deux îlots situés en mer du Japon.

Simple guerre d’égo, relents patriotiques ou enjeux économiques réels ? Essayons de comprendre ce qui alimente ces situations tendues entre le Japon et ses voisins.

Les îles de la discorde  Japon voisins

Carte des îles de la discorde

Japon et Russie en conflit ouvert sur les îles Kouriles

Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, le Japon et la Russie se querellent à propos des îles Kouriles. Situées au Nord du Japon, ces îles sous contrôle russe sont revendiquées par les Japonais qui estiment qu’elles leur reviennent de droit. De leur côté, les Russes n’en démordent pas : il s’agit de territoires qu’ils ont gagnés, au prix de lourdes pertes.

Pour une vision plus complète de ce conflit, revenons sur les dates marquantes, afin de comprendre pourquoi la situation reste très incertaine.

Village dans les îles kouriles

Village dans les îles kouriles

Les îles Kouriles se trouvent entre le nord de la péninsule Japonaise formée par Hokkaido, et la partie la plus orientale de la Russie connue sous le nom de Kamchatka. Elles s’étendent sur près de 1300 kilomètres et séparent la Mer d’Okhotsk de l’Océan Pacifique. Ce territoire se compose de cinquante-six îles, pour une superficie totale de 10,503 km2. La population recensée en 2010 s’élève à 19 434 âmes. Mais la dispute entre les Russes et les Japonais ne concernent qu’une petite partie de ces îles : Itouroup-tō (択捉島), Kunashiri-tō (国後島), Shikotan-tō (色丹島) et Habomai-shotō (歯舞諸島), soit seulement quatre de ces îles Kouriles.

Et depuis près de deux siècles, elles sont au coeur d’une dispute opposant la Russie et le Japon.

Dès 1855, le traité de Shimoda vient définir que la frontière entre les deux pays se trouverait entre les îles japonaises d’Itouroup et Ouroup qui appartient à la Russie. Ensuite, en 1875, le traité de St Pétersbourg ratifie un partage clair de la zone : le Japon obtient les îles Kouriles et renonce au territoire de Sakhaline qui avait provoqué quelques troubles entre Russes et Nippons à cause d’une délimitation peu précise dans le traité précédent. L’harmonie ne dure qu’un temps, car avec la guerre entre les deux pays en 1904-1905, un nouveau partage est établi et la Russie, perdante, se voit retirer ses droits  sur la partie Sud de l’île de Sakhaline.

Pendant quarante ans, on note peu de mouvements dans cette zone, mais la Seconde Guerre mondiale va modifier la donne. Alors que le Japon capitule, les différents traités qui seront signés par la suite vont raviver les tensions. Les accords de Yalta (1945), la déclaration de Postdam (1945) et le traité de San Francisco (1951) stipulent que le Japon laisse à l’Union Soviétique d’alors le contrôle sur les îles Kouriles. Toutefois, les représentants japonais affirmeront par la suite que les quatre îles qui font encore débat aujourd’hui ne faisaient pas partie des îles Kouriles, et qu’elles n’entrent donc pas dans ces accords. Une affirmation contestée par les Russes qui refusent donc de signer le dernier traité.

Dès lors, et sachant qu’aucun accord de paix officiel entre le Japon et la Russie n’a été officiellement signé après-guerre, le problème des îles Kouriles reste d’actualité. Le véritable souci se trouve plus dans la définition même de ces îles que sur un véritable besoin de les posséder.

Mais où en est la situation actuellement ? Et qu’en pensent les locaux ?

Une valeur symbolique et une guerre d’ego ?

Aujourd’hui, c’est bien la Russie qui a le contrôle de ces îles. Dans les derniers jours de la Seconde Guerre mondiale, l’Union soviétique envahit ces îles, pour ne plus les quitter. Elles sont donc considérées comme Russes et les habitants se considèrent d’ailleurs, pour la plupart, comme Russes.

Pourtant, hormis la pêche, notamment des oursins, un intérêt stratégique militaire somme toute limité et quelques réserves minières, il y a peu de choses qui peuvent justifier un conflit de si longue durée entre ces deux pays. L’économie est en berne et les habitants, particulièrement ceux situés sur les îles les plus proches du Japon, quittent la zone.

poutine Abe rencontre sommet

Vladimir Poutine et Shinzo Abe en pleine discussion

Pourtant, pour les Russes, ces îles sont une récompense liée à leurs efforts durant la Seconde Guerre mondiale, avec près de 20 millions de soldats qui périrent durant le conflit. Pas question donc de céder les îles Kouriles aux Japonais, même si Vladimir POUTINE reconnaît en 2016 que la situation est anachronique. Du côté nippon, c’est bien le fait que la Russie ne respecte pas les traités signés après-guerre qui dérange. Shinzo ABE, qui souhaite garder de bonnes relations avec POUTINE et ne pas perdre la face, se dit prêt à discuter de la situation et à offrir un soutien économique à ces îles. En attendant, la Russie et le Japon sont officiellement toujours en guerre.

Verra-t-on une résolution de ce confit se profiler dans les prochaines années ?

Les îles Senkaku, une propriété Chinoise ou Japonaise ? 

Cinq îles inhabitées et trois petits récifs, voilà ce que sont les îles Senkaku (尖閣諸島). Ces territoires sont situés en mer de Chine, au nord de Taïwan, à l’est de la Chine et au Sud du Japon. Et ces trois pays revendiquent la souveraineté  sur ces îles depuis plus d’un siècle.

iles senkaku

Les îles senkaku

Au départ, les îles Senkaku, baptisées îles Diaoyutai en chinois, auraient été la propriété de l’empire chinois sous la dynastie Ming. Mais suite à la guerre sino-japonaise de 1894-1895, elles ont été cédées au Japon en même temps que d’autres îles, dont Taïwan.

Il faudra attendre la fin de la Seconde Guerre mondiale et la défaite nippone, pour que la Chine récupère Taïwan, mais les îles Senkaku restent alors sous contrôle japonais. Il semble que le fait qu’elles n’aient été enregistrées que sous leur appellation japonaise soit à l’origine de cette non-revendication par la Chine dans le traité à l’époque.

Dès lors, le conflit s’enracine. Le Japon est conforté dans ses positions souveraines par les Etats-Unis, lors d’un accord signé en 1971. Les Américains privilégient les intérêts japonais afin d’avoir un allié contre une Chine communiste potentiellement dangereuse de leur point de vue. Bien sûr, la Chine réplique  et décrète les îles Senkaku comme territoire chinois dans les mois qui suivent.

Il n’y a pas eu de grandes avancées sur le sujet par la suite, car les différents acteurs restent figés sur leurs positions. Les Japonais usent de la légitimité qui leur a été donné pour faire jouir leur droit, tandis que les Chinois clament l’appartenance historique de ces îles à la Chine. En revanche, des manifestations nationalistes surviennent fréquemment dans les divers camps chinois, japonais ou taïwanais.

Il y a de la provocation de part et d’autre, comme lorsqu’en 2011, les manuels scolaires nippons présentent les îles Senkaku comme japonaises sans émettre le moindre doute, ou quand l’homme politique japonais Shintarō ISHIHARA, alors gouverneur de Tokyo, propose de nommer le bébé panda né dans le Zoo de Ueno – petit d’un couple de pandas prêté par la Chine – Zen Zen ou Kaku Kaku en référence au nom japonais de ces îles.

manif anti jap senkaku

Manifestation Anti-Japon en Chine

De leur côté, les Chinois agissent, plutôt que de provoquer par les mots, avec des incursions fréquentes des navires en provenance de l’empire du milieu dans les eaux bordant les îles Senkaku. Ce sont parfois des activistes nationalistes, brandissant le drapeau chinois, parfois des navires militaires, ce qui ne manque pas de raviver les tensions à chaque fois. Cela a amené le gouvernement japonais à sécuriser la zone, en installant des avant-postes militaires sur les îles voisines.

Le conflit se poursuit actuellement, avec un intérêt pour ces îles qui est à la fois économique et militaire. La pêche dans les eaux autour de ces îles est une manne financière inépuisable et le contrôle de ces eaux peut rapporter beaucoup d’argent. Mais la découverte de gisements d’hydrocarbures sur les îles n’est certainement pas étrangère au conflit. Si on ajoute à cela l’emplacement stratégique de ces territoires, dans le cadre d’une expansion maritime clairement affichée par la Chine, on comprend pourquoi les grandes puissances mondiales semblent aujourd’hui appuyer le Japon, par crainte de cette Chine qui semble gourmande en nouveaux territoires.

https://www.youtube.com/watch?v=qCrgsXDqBBA

Des îles et des femmes: quand la Corée du Sud et le Japon s’écharpent

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Un dessert polémique…

En avril dernier, les représentants des deux Corées se retrouvaient pour un sommet historique, prometteur, en vue d’une détente entre les deux pays. Pour l’occasion, un gâteau à la mangue fut réalisé qui provoqua l’ire des Japonais. En effet, au sommet de cet entremet se trouvait une carte des Corées unifiées comprenant le territoire Coréen officiel, mais également quelques îles situées en Mer du Japon.

Les îles Takeshima de leur appellation japonaise, sont baptisées ainsi symboliquement en référence au Bambou (Take, bambou : 竹 et Shima, île : 島) qui est une plante difficile à déraciner une fois qu’elle a conquis un territoire. Elles sont appelées îles Dokdo par les Coréens et Rochers Liancourt par la communauté internationale qui ne souhaite pas prendre parti pour l’un ou l’autre des pays, et sont la source d’un conflit supplémentaire entre le Japon et la Corée.

Les rochers Liancourt se trouvent à environ 80 km de l’île Ulleung-do qui est le territoire coréen le plus proche et à 157 km des îles Oki, les premières terres nippones de la zone. Elles sont sous contrôle administratif coréen depuis 1954,  suite au traité de San Francisco de 1951. Celui-ci mentionne que le Japon renonce à tous les droits, titres et revendications sur la Corée, ce qui comprend certains territoires maritimes, mais rien ne mentionne explicitement les Rochers Liancourt.

Ce flou va être interprété différemment par les deux pays. Pour les Japonais, c’est une confirmation de leur possession qui rattache les îles Takeshima à l’archipel d’Oki. Pour la Corée, cet accord conclut que le Japon doit accepter de laisser ce territoire sous contrôle coréen et quitter cette zone maritime.

îles takeshima japon corée

Les rochers Liancourt

Ces îles présentent un intérêt économique important, car la pêche y est abondante, et c’est également une voie commerciale capitale pour la zone. Mais si du côté Japonais, les revendications se focalisent surtout sur ces intérêts commerciaux, avec un brin de fierté nationale propre à ce type de conflit, les Coréens voit dans les îles Dokdo un véritable symbole de ce que le Japon a fait subir à la Corée depuis l’époque coloniale.

Il faut rappeler que ces rochers Liancourt ont été les premiers territoires coréens annexés par l’empire du Japon en 1905, avant la conquête totale du pays conclue en 1910. Durant toutes les années d’occupation Japonaise, les Coréens devront faire face à la cruauté des colons qui s’imposent dans le pays par la force : travaux forcés, expériences médicales sur des cobayes vivants et le fameux cas des femmes de réconfort. Car  durant la Seconde Guerre mondiale, de nombreuses femmes coréennes, et d’autres pays d’Asie également, ont été contraintes de servir d’esclaves sexuelles aux soldats nippons,. Les Coréens ont exigé des excuses et des dédommagements qui vinrent en 2015, quand Shinzo ABE reconnut que l’honneur et la dignité de nombreuses femmes avaient été gravement atteints avec l’implication de l’armée japonaise. Toutefois, pour les Coréens, ces excuses ne sont qu’une façade servant à apaiser un conflit, car l’entourage d’Abe compte de nombreux ministres révisionnistes qui n’hésitent pas à nier les faits dès que l’occasion se présente.

Toutes les humiliations subies par la Corée trouvent donc, à travers la lutte pour ces îles Dokdo, une résonance forte. Désormais soutenue par la Corée du Nord, qui ne manque pas de raviver les tensions entre le Sud et le Japon quand le rapprochement politique entre les deux pays se manifeste, la Corée ne compte pas abandonner ces territoires maritimes. Chaque année, ce sont d’ailleurs plusieurs centaines de coréens qui  font le pèlerinage sur ces îles, pourtant fort peu intéressantes en terme de tourisme. Mais il s’agit pour eux de ne pas oublier et de ne pas céder sur ce dossier symbolique.

En cas de renforcement des relations entre le Nord et le Sud de la Corée, le cas des îles Takeshima / des îles Dokdo pourrait bien resurgir dans l’actualité sous peu. Le Japon ne pourra compter que sur lui-même, car les Etats-Unis et la communauté internationale semblent prudents sur ce conflit, ne souhaitant pas s’attirer les foudres d’une Corée qui pourrait jouer un rôle important dans les années à venir.

C’est donc un véritable casse-tête géopolitique qui se joue dans les eaux entourant le Japon. Entre la rancœur historique qui anime certaines revendications, les intérêts commerciaux de chaque pays pour ces territoires et la volonté de ne pas perdre la face dans ces querelles séculaires, il est difficile d’entrevoir une résolution prochaine de ces conflits. Il faut donc s’attendre à voir resurgir dans l’actualité, de manière ponctuelle, des attaques verbales et des incursions sur les îles concernées de la part des acteurs de ces guerres territoriales.

Mickael Lesage

J’ai découvert le Japon par le biais d’un tome de Dragon Ball il y a fort longtemps et depuis, ce pays n’a jamais quitté mon cœur…ni mon estomac ! Aussi changeant qu’un Tanuki, je m’intéresse au passé, au présent et au futur du Japon et j’essaie, à travers mes articles, de distiller un peu de cette culture admirable.

2 réponses

  1. 30 mai 2019

    […] sud de île de Sakhaline riches en ressources (pétrole, charbon…) pour devenir plus tard « les îles de la discorde ». En pleine guerre civile russe (1918-1921), le Japon dans le camp des Alliés occupe Vladivostok […]

  2. 8 novembre 2020

    […] actuels, chacune des deux nations se disputent depuis plusieurs décennies les Rochers Liancourt, des îles situées en Mer du Japon. Autre point de tension vif entre les deux pays, le cas des « femmes de réconfort », […]

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