Manga : Nagabe, rencontre avec un animal étrange et exigeant…
En un peu plus d’un an et quatre volumes, L’enfant et le Maudit et son mangaka Nagabe ont su rapidement attirer l’attention des lecteurs, puis les conquérir, grâce à une identité graphique très forte et une histoire entre ombre et lumière, entre malédiction en enchantement. Après une sélection au FIBD et avoir remporté le tournoi Shônen de nos confrères Manga News, la série était une fois de plus à l’honneur en mars dernier: les éditions Komikku soufflait cette bougie en invitant Nagabe au Salon Livre Paris et c’est avec beaucoup de plaisir que nous sommes allés à la rencontre du jeune – mais déjà très talentueux – auteur…
A l’occasion de son anniversaire en ce premier août, retour sur cette rencontre !
Nagabe : avant L’enfant et le Maudit…
Nagabe est un mangaka de 24 ans, qui a démarré sa carrière en 2013 et qui vit à Tokyo. Il débute en se faisant remarqué via Twitter par l’éditeur Akane Shinsha, qui lui permet de publier son premier travail professionnel, un one-shot du nom de Buchô wa Onee (ci-dessous à droite) qui raconte la vie d’un boss respecté et compétent dans une grande compagnie… Qui tente de dissimuler que la nuit il officie dans un bar à hôtesse. Puis l’auteur enchaîne en 2015 avec sa seconde série, Wizdoms (ci dessous, au centre) un titre mêlant fantasy et magie avec encore des animaux anthropomorphe et toujours dans le magazine Opera du même éditeur. Une histoire qui s’est achevée l’an dernier dans le 63e numéro.
Puis sa carrière décolle en 2015 lorsqu’il devient donc l’auteur de L’Enfant et le Maudit (Totsukuni no Shoujo en VO), publié dans le magazine Comic Blade puis Comic Garden de l’éditeur Mag Garden.
Résumé officiel : Il existe deux mondes : L’Intérieur, où vivent les humains, et L’Extérieur qui est le repaire de créatures maudites. Quiconque serait touché par l’un de ces monstres serait maudit à tout jamais et chassé du pays des hommes. C’est pourtant dans ce monde sombre que vit la petite humaine prénommée Sheeva. Elle a été recueillie par une créature non humaine qu’elle appelle le Professeur. Il veille sur elle et lui interdit tout contact avec les autres créatures de L’Extérieur. Il lui cache la terrible vérité de son abandon et n’ose lui dire que personne ne viendra la chercher… Ils sont aussi différents que le jour et la nuit… Et malgré tout ce qui les sépare, malgré les ténèbres qui les entourent, ils vont écrire petit à petit une fable tous les deux…
Depuis au Japon on lui doit aussi Nivawa to Saitô, (ci-dessus à gauche) lancé en 2016 et qui compte trois volumes (chez l’éditeur Futabasha, jetez un œil ici).
Maintenant que vous conaissez les bases de son parcours, en route pour l’interview !
Journal du Japon : Bonjour monsieur Nagabe, et merci de répondre à nos questions.
Votre carrière de mangaka a débuté avec Pixiv…Mais est-ce que l’envie de devenir mangaka est plus ancienne ? Lisiez-vous des mangas étant plus jeune ?
Nagabe : Avant de poster des illustrations sur pixiv je n’avais jamais envisagé devenir un mangaka professionnel. Quand j’étais étudiant, je me voyais plutôt devenir illustrateur ou chara-designer dans une entreprise de jeu vidéo. Avant ça, quand j’étais collégien ou lycéen, j’achetais assez peu de manga, et souvent je me contentais d’emprunter les exemplaires du JUMP (NDLR : Weekly Shônen JUMP, magazine de référence des éditions Shueisha) pour les lire. A la fin du lycée je devais avoir une dizaine de manga, guère plus.
Parmi cette dizaine, y en a-t-il qui vous ont particulièrement marqué ?
Comme tout le monde j’ai lu One Piece, Death Note, Bobobo-Bo Bo-Bobo, des titres que tout le monde lisait à l’époque, en fait. C’est dire à quel point mon intérêt pour le manga était celui d’une personne lambda.
Dans une interview de 2017, vous citez Tove JANSON (Moomin) ou Komako SAKAI (Le lapin en peluche) comme source d’inspiration, mais vous ajoutez que vous en changez souvent,au gré de vos travaux… pour quelles raisons ?
Quand je dis ça c’est parce que je suis un peu comme une abeille qui butine dans plusieurs fleurs. Je peux apprécier les proportions de l’anatomie chez un auteur A, la façon dont l’auteur B construit son scénario et être impressionné par la beauté des illustrations de l’auteur C ou son utilisation des couleurs. Je butine un peu partout et je fais mon propre miel…
L’animal et le maudit
Dans l’Enfant et le maudit, le personnage central du professeur est inspiré d’un markhor (une sorte de chèvre de montagne d’Asie Centrale) et dans votre première série Buchô wa Onee, tous les personnages sont des animaux anthropomorphes. D’où vous vient votre intérêt pour le dessin d’animaux ?
Je pense qu’il y a une bonne part d’inconscient là-dedans donc ce serait difficile de totalement l’expliquer. Mais déjà j’aime la silhouette des animaux, leur grande diversité fait que chaque espèce ne ressemble à aucune autre.
Et puis je n’aime pas dessiner les humains. Tout le monde le fait déjà, donc quel intérêt à dessiner encore et toujours des humains qui se ressemblent, c’est quelque chose qui me lasse assez vite en fait. Je pense que c’est une histoire de goût, en fait.
En plus vous choisissez des animaux aussi originaux, c’est voulu ?
En fait pour le personnage du professeur, je ne voulais pas que les lecteurs puissent trop facilement identifier d’où venait l’inspiration. Si j’avais pris un chien ou un chat comme modèle ça aurait perdu de son charme et de son mystère. Je voulais quelque chose de moins facile à identifier et rester flou pour laisser l’imagination des gens travailler. Je voulais aussi que le design soit cool, qu’il ait un certain impact.
Dans l’Enfant et le maudit les animaux, ou plutôt ici les non-humains, sont chassés et exclus avec aucune pitié des humains. Est-ce que votre intérêt pour les animaux vient aussi d’un regard critique sur les humains, ou est-ce juste une nécessité scénaristique pour ce manga ?
Si votre question est de savoir si je n’aime pas trop les humains ou l’humanité je ne saurai y répondre, honnêtement. Dans l’univers de L’enfant et le Maudit on baigne dans une sorte de religion où l’être humain est un être à part, bénie des dieux. Tant qu’on est un être humain tout va bien mais dès que l’on sort de cette humanité on est maudit, et c’est cette crainte d’être repoussé, rejeté, qui fait que les hommes ce comporte de cette façon dans cette histoire. C’est donc plus le scénario qu’un message personnel.
Toujours des choses à améliorer…
L’Enfant et le maudit est aussi notable par ses jeux d’ombres et de lumières. Comment mettez vous en place la lumière dans vos planches, et comment jouez-vous avec ?
Je me pose toujours la question d’où vient cette lumière. Par exemple pour la couverture du tome 4, elle n’est générée que par la lanterne. D’autre part je me pose la question de l’ambiance : est-ce une scène joyeuse, comme lors de la conception du gâteau avec la tante de Sheeva, ou une scène à l’atmosphère plus inquiétante, où l’on doit ressentir une certaine angoisse ?
Je me pose toujours ces deux questions, et c’est comme ça que j’avance dans la mise en place de ma planche et de la lumière.
Concernant les décors maintenant… Il parait que sur votre première oeuvre professionnelle il y en avait peu car ce n’était pas trop votre tasse de thé. Pourtant certains de l’Enfant et le Maudit sont remarquables… Quel a été votre travail pour en arriver là ?
A l’époque je n’aimais pas dessiner les décors et je me disais que, pour mon premier manga, l’important c’est les personnages. Donc il suffit que je me concentre sur le character design. Mais, une fois que le manga est sorti au format papier, je l’ai ouvert et lu… Et je suis tombé de haut, j’ai trouvé le résultat vraiment vide. J’ai été très déçu, on ne dirait vraiment pas un manga.
Donc il fallait absolument que je change ça et que je m’y mette. Je devais apprendre à dessiner les décors. Pour L’enfant et le Maudit j’ai commencé à rechercher des données, des photos, des représentations pour savoir ce qu’il fallait faire…
Est-ce que vous avez des références particulières d’inspiration pour les décors de L’enfant et le maudit ?
Je me suis inspiré de beaucoup de choses, que j’ai trouvé pour la plupart sur Pinterest : des illustrations, des photos ou des combinaisons de couleurs auxquelles je n’ai pas pensé pour des décors jusque là. C’est vraiment une caverne d’Ali Baba là dedans. J’ai recherché à quoi ressemblait les maisons du moyen-âge, les petits villages du 18e siècle également, etc.
Mais il n’y pas que ces photos ou illustrations qui m’ont servi. Tasha Tudor, une illustratrice, auteure et paysagiste m’a aussi largement inspiré, autant par son oeuvre que par sa vie et sa façon de vivre. C’est donc tout un ensemble de choses et pas uniquement des représentations en deux dimensions.
Comme vous vous êtes lancé sérieusement dans les décors pour l’Enfant et le Maudit, est-ce qu’il y a encore des choses qui vous sont difficiles ?
Si je peux me permettre d’élargir la question, ce n’est pas qu’au niveau des paysages que je voudrais améliorer mon travail. Quand je relis les tomes précédents, je trouve que certaines cases manquent d’équilibre, que les traits sont parfois grossiers, que l’anatomie des personnages n’est pas toujours bien proportionnés. J’ai beaucoup de regrets et sans cesse des points que je veux améliorer à l’avenir.
Pour prendre un exemple : préciser le caractère des personnages, notamment celui de Sheeva. J’aimerai en faire un personnage joyeux, mais il y a plusieurs façons d’être joyeux : les petites filles joyeuses un peu fofolles qui rigolent bêtement ou d’autres qui remontent le moral des autres. Ce sont deux façons différentes d’apporter de la joie. Donc dire que Sheeva est une fille joyeuse ne me suffit pas, je ne peux pas me contenter de ça.
Bien entendu sur les paysages aussi il y a des choses à améliorer, je n’en suis pas vraiment satisfait. En fait il n’y a que des choses à améliorer !
Sachez en tout cas qu’en France votre travail est très apprécié. Bon courage et merci !
Retrouvez Nagabe et L’enfant et le maudit le 11 octobre prochain pour la sortie du 5e tome. D’ici là, admirez les illustrations de l’auteur en le suivant sur Twitter, sur Tumblr ou encore via son compte pixiv.
Questions Paul OZOUF et Perrine AMAI. Remerciements à Nagabe pour son temps, à notre interprète du jour et aux éditions Komikku pour la mise en place de l’interview.
Bonjour inversion des titres et des images
Bonjour,
Merci de nous lire et encore désolé pour cette confusion. L’erreur a été corrigée. Merci pour votre attention.
A bientôt sur JDJ !