Le Journal de Sarashina : dame de la Cour, dans le Japon du XIe siècle

Née en 1008, Sarashina compose son journal intime entre ses 13 et 58 ans. Elle nous y fait état de sa vie en tant que dame de la Cour impériale. C’est cette période embrassant le XIe siècle, alors que la littérature japonaise fleurit, que l’on appelle ère Heian. Que nous dit cet ouvrage de la vie de Sarashina, cette femme aimante qui ne farde pas ses émotions ?

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Sarashina, petite fille aux nobles racines

Sarashina est issue d’une famille noble. Et pour cause, SUGAWARA no Michizane en est le plus illustre ascendant. Sommité des lettres et de la calligraphie, il était le dernier rival sérieux des FUJIWARA (voir notre article l’épopée japonaise épisode 4). Il fut d’ailleurs déifié au rang de patron des lettres et de la calligraphie, le fameux Tenjin (dieu du ciel), que les étudiants viennent toujours prier à Kyôto, dans le sanctuaire Kitano. Avec une telle filiation, il n’est pas étonnant de constater l’amour de la fille pour la poésie et ce que l’on appelle les dits, ces recueils romanesques qui racontent notamment les amours et relations de la Cour d’alors.

Le sanctuaire Kitano, à Kyôto

Le sanctuaire Kitano, à Kyôto

Le voyage de Sarashina

Sarashina commence son journal lorsqu’elle n’a que treize ans. Elle est alors élevée dans la province de Kazusa, aux alentours de l’actuelle Chiba. En effet, son père Takasue en est le gouverneur. C’est justement puisque celui-ci se voit destitué de son poste, qu’elle retourne à la capitale Heian-Kyô (aujourd’hui Kyôto). Le périple de six cents kilomètres prend ainsi quatre vingt dix jours, au cours desquels de nombreuses péripéties sont soigneusement partagées dans le Journal de Sarashina.

Le voyage de Sarashina

Le trajet de Sarashina pour rentrer à Heian-Kyô (l’actuelle Kyôto), la capitale et ville impériale

C’est le long des routes et au gré des nuits que la belle-mère et la sœur de Sarashina content à cette dernière quelques bribes des dits. En particulier, Le Dit du Genji semble ravir la jeune fille, qui veut désormais le lire dans son intégralité une fois de retour à la ville. Nous avons justement un article plus détaillé sur cette œuvre littéraire majeure.

Le Dit du Genji illustré

Le Dit du Genji, version illustrée

Entre rêves idylliques… et réalités crues

Arrivée à la ville impériale, sa mère maternelle lui offre les cinquante ouvrages du Dit du Genji. Elle se met alors à ne plus penser qu’à Genji le Radieux, souhaitant qu’un jour, un homme de cette condition vienne lui accorder ses égards. Sarashina est ainsi une fille des songes et de la passion. D’ailleurs, alors qu’elle lit les dits tard dans la nuit et qu’un chat l’interrompt, sa sœur lui signifie l’importance de ce dernier : en rêve, il lui aurait avoué être la fille du Grand Conseiller Chambellan. Pourtant morte, elle serait réincarnée en cet animal. Sarashina, troublée, écrit :

« Quand je suis seule et que ce chat est assis en face de moi, tout en le caressant, je lui parle :  » Vous êtes donc la fille du Grand Conseiller Chambellan ! Que j’aimerais le faire savoir au Grand Conseiller !  », lui dis-je, et lui me regarde bien en face et miaule doucement ; – alors, est-ce un effet de mon imagination ? – j’éprouve le sentiment poignant que ce n’est pas un chat ordinaire, mais qu’il comprend tout ce que je dis. »

La sensibilité presque « naïve » de Sarashina (elle a alors déjà quatorze ans) recèle quelque magie et une tendresse véritable.
En 1024, sa sœur décède en donnant naissance à son enfant. Les anecdotes et récits de son journal y laissent ainsi place à sa tristesse.

C’est en 1039 que Sarashina rentre au service de la très jeune princesse Yûshi, fille adoptive de FUJIWARA no Yorimichi.

FUJIWARA no Yorimichi

Réprésentation de FUJIWARA no Yorimichi, père adoptif de la princesse Yûshi

Il s’agit là des années les plus heureuses de sa vie puisque, chaque soir, elle échange quelques poèmes et envolées lyriques avec d’autres compagnes et dames de la Cour :

« Moi qui ne vivait que par les dits, qui passais à les lire le plus clair de mon temps, sans guère fréquenter ni parents ni amis, et qui toujours à l’ombre de parents à l’ancienne mode, n’avais d’autre distraction que la lune et les fleurs, je me sens à cette heure tout éperdue et je crois vivre un rêve ».

C’est au cours de cette période que Sarashina rencontre MINAMOTO no Suketsune, homme lettré charmant qui ne la laisse pas indifférente. Néanmoins, par peur des commères et des médisances de la Cour, elle se refuse à entretenir une relation avec lui.

Cependant qu’elle s’épanouit au service de la princesse, son bonheur s’estompe lorsque ses parents la force à se marier à TOCHIBANA no Toshimichi. Sarashina l’ignore sciemment dans son journal, puisqu’elle le méprise : celui-ci ne s’y connaît guère en poésie ou en lettres et n’a rien de romantique. Elle ne manquera toutefois pas de manifester sa solitude lorsque ce dernier meurt en 1058. A partir de là, elle voyage ici et là, toute seule. Mais le manque de compagnie pèse toujours, comme nous le traduit ce poème :

« Vers la dixième lune, je contemple en versant des larmes une lune particulièrement lumineuse :

Même pour mon cœur

obnubilé par les larmes

qui coulent sans cesse

elle apparaît lumineuse

la lune de cette nuit »

Un ouvrage à savourer

La traduction de René Sieffert est un régal pour le lecteur. Certes, un vocabulaire désuet apparaît parfois par la force du langage nécessairement châtié. Mais ceci couplé à la personnalité forte de Sarashina et à sa rhétorique maligne et véritable, l’immersion est totale. Le dépaysement est également au rendez-vous grâce aux voyages, légendes et anecdotes qui sont partagés. Mais aussi, et surtout, nous nous lions d’amitié avec cette jeune fille, puis femme, qui nous semble si proche mais pourtant tellement éloignée par le temps. C’est justement cette particularité, le fait que ce journal n’est pas fictif, qui rend sa lecture et l’attachement avec son auteure d’autant plus profond et émouvant. Assurément, le Journal de Sarashina est une oeuvre dont il faut savourer les émotions.

Sarashina recherchait une vie de meilleure facture, une vie romanesque. Mais loin d’être dupe, elle finit par désespérer et se sentit abandonnée comme cela se ressent au crépuscule de l’ouvrage. D’aucuns ont justement supposé qu’il s’agissait également de la veille de sa mort. Cependant, comme le traducteur René Sieffert le souligne, «  on a plutôt l’impression d’avoir affaire à une solide matrone, taillée pour vivre longtemps encore… »

[ Extrait du “Journal de Sarashina 更級日記 sarashina-nikki” de la fille de Sugawara no Takasué 菅原孝標女(1008- ?)] encre sur papier / 19 x 130 rouleau horizontal Maki-mono / 2003(détail) / collection privée

[ Extrait du “Journal de Sarashina 更級日記 sarashina-nikki” de la fille de Sugawara no Takasué 菅原孝標女(1008- ?)] encre sur papier / 19 x 130 rouleau horizontal Maki-mono / 2003(détail) / collection privée

Nils MARIE

Etudiant à l'Institut français de presse à Paris, je suis passionné de la culture et de la société japonaises.

2 réponses

  1. Josh des Aulnay dit :

    Bonjour,
    J’aime la Culture Japonais et je suis heureuse d’avoir retrouvé par votre intermédiaire le titre d’un livre que je cherchais.
    Merci de nous faire partager la Culture de votre pays.
    Bonne journée

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