C’est quoi, Wednesday Campanella ?
Avec la sortie récente de leur nouveau maxi Galapagos, ainsi que leur venue à deux reprises en France cet été, d’abord durant La Magnifique Society, à Reims, puis pendant les Eurockéennes de Belfort, nous avons jugé bon de nous poser cette question : c’est quoi, Wednesday Campanella ?
Parce que si la frontwoman du groupe, KOM_I, nous avait accordé une interview l’année dernière, au final, nous n’avons jamais réellement expliqué pourquoi ce groupe changeait peu à peu la façon dont se fait la pop au Japon, et pourquoi pas dans le monde. Heureusement pour nous, nous avons pu la réinterviewer cette année, à Reims donc.
Plongez avec nous dans cet univers.
Le traumatisme du 11 mars
Tout commence en 2011. Hidefumi KENMOCHI, producteur notamment chez Hydeout Productions (le label du regretté Nujabes), voit, à l’instar de nombreuses Japonaises et Japonais, impuissant, la catastrophe du Tohoku. Il va donc vouloir mettre en place un nouveau projet musical, une sorte de Perfume plus proche de la nature. A cette époque, il rencontre Yasutomo FUKUNAGA, plus connu sous le pseudonyme de Dir.F. Ce dernier est alors directeur artistique et manager du label Tsubasa Records (connu pour avoir sorti les premiers disques de BiS et d’Ai Kawashima). Il rejoint donc KENMOCHI dans l’aventure.
Partant en quête d’artistes féminines différentes pour incarner la musique qu’ils ont en tête, les deux compères rencontrent Misaki KOSHI, aka KOM_I (prononer [komou-aï]), lors d’une soirée, en 2012. Intrigués par cette jeune femme qui exprime ses opinions sans trop se soucier du qu’en dira-t-on, ils lui proposent de faire un essai en studio. L’aventure Wednesday Campanella (ou plutôt Suiyoubi no Campanella, à cette époque) peut commencer.
Décalage artistique
Initialement prévu pour être un trio ou un quatuor féminin (une autre artiste apparaît aux côtés de KOM_I dans les tous premiers clips du groupe), KENMOCHI et Dir.F décident rapidement de n’avoir qu’une artiste. Le grain de folie et le charisme de KOM_I fonctionne très bien tout seul. C’est également à ce moment que le choix de n’avoir que KOM_I sur scène lors des représentations live. Incapable de retenir une chorégraphie – selon ses dires – elle improvise des performances et des danses en direct, et joue volontiers avec le public. Cette marque de fabrique, déjà imprimée dans l’ADN de Wednesday Campanella dès ses débuts, ne les quitte pas.
« KOM_I a toujours eu ce charisme, dès les débuts underground du groupe », nous dit le journaliste américain basé au Japon, Patrick St. Michel. Cet observateur de la scène musicale japonaise suit Wednesday Campanella quasiment depuis leurs débuts. « C’est quelque chose que tout le monde n’a pas. Elle réussit à conquérir les gens en un clin d’œil. » La scène se transforme en performance artistique, entre installation d’art contemporain et danse improvisée, avec participation active du public. On est tour à tour impressionné, hilare, émerveillé et admiratif de ce qu’il se passe devant nos yeux. « On a la chance d’être entourés de professionnels talentueux : notre truquiste, et nos ingés son et lumière sont dans le métier depuis longtemps » estime KOM_I. « C’est grâce à eux que notre scénographie peut aller aussi loin et qu’on peut faire des choses aussi différentes. De mon côté, avec ma jeunesse, je les sors de la routine, et leur insuffle un grain de folie avec mes projets un peu bancales et bizarres. » Vous l’aurez compris : si vous appréciez les albums de Wednesday Campanella, vous serez bluffés par leur interprétation en live. Car Wednesday Campanella est aussi une expérience à vivre sur scène, d’où l’attraction que le groupe a à l’international.
KOM_I
Car si Wednesday Campanella parvient à gagner une reconnaissance internationale, c’est parce que le groupe l’a voulu. En effet, l’essentiel des artistes musicaux japonais ne se soucient guère d’une éventuelle réussite internationale – contrairement à leurs voisins coréens, par exemple – parce que le marché de la musique japonais reste un écosystème où l’on peut vivre uniquement du marché national. Wednesday Campanella fait l’effort de se produire dans des festivals à l’étranger, à avoir une communication a minima en anglais (les clips les plus récents sont sous-titrés) et à largement utiliser les services de streaming musical. Le changement même de nom, de Suiyoubi no Campanella vers sa traduction en anglais Wednesday Campanella va dans ce sens.
Mais la réussite du groupe, au Japon comme à l’étranger, tient également énormément à KOM_I. Sa personnalité et son naturel conquiert les foules. Ainsi, lorsqu’on lui demande ce qui a changé en 13 mois (depuis la première interview), elle répond spontanément « Oh, beaucoup de choses ! J’ai changé de petit ami deux fois. J’ai également teint mes cheveux beaucoup de fois : orange, bleu, vert, jaune… » occultant, plus ou moins consciemment ses débuts en tant qu’actrice (dans un drama puis dans un long métrage), ou sa carrière dans le mannequinat (elle fait partie des femmes de l’année 2017 de Vogue Japan). « Ah, oui, j’ai fait ça ! Mais maintenant, je me focalise davantage sur le chant. Je suis toujours une chanteuse ! » ajoute-t-elle.
Cette facilité d’être et ce charisme communicatifs lui ont permis de transcender la barrière de la langue, et malgré sa voix particulière, pas toujours très juste aux débuts du groupe. On aime Wednesday Campanella pour ses productions, évidemment, mais c’est KOM_I, le plaisir qu’elle prend à chanter, qui fait tout le sel de leur musique.
Depuis peu, à côté de ses multiples activités, KOM_I se montre davantage avec de jeunes artistes installés au Japon : son styliste Bunta SHIMIZU, la photographe biélorusse Yulia SHUR ou encore l’actrice Fumi NIKAIDO. Lorsqu’on lui demande si elle a besoin de s’entourer d’artistes pour pouvoir créer, elle répond « Non, ce sont tout simplement mes amis ! Je les aime personnellement avant de les admirer en tant qu’artistes. En fait, je commence tout juste à avoir des amis de mon âge, avec qui je peux travailler et échanger naturellement. C’est une situation assez nouvelle pour moi. »
Musique mouvante
Ce décalage artistique avec ce qu’il se fait conventionnellement dans la pop japonaise se retrouve évidemment dans la musique de Wednesday Campanella. Initialement, les productions de Kenmochi reprenaient des éléments de la musique de Nujabes (samples de guitare, beats décalés, tapis vocaux). Face à l’avis plutôt tranché de KOM_I, il a exploré d’autres univers musicaux, poussant les technologies et instruments à sa disposition vers d’autres horizons.
Il en ressort une musique en constante évolution. Les premières démos sonnent d’avantage ambiant, Wednesday Campanella évolue rapidement vers une forme d’électro hip-hop qui deviendra sa marque de fabrique, KOM_I oscillant entre rap et chant parlé. Puis la musique va encore changer à partir de 2015 et de l’album Zipang, en puisant des sonorités dans la house et la future bass, se permettant même des incartades dans le disco-funk très tendance dans la musique japonaise du moment. Enfin, avec Galapagos, leur dernier maxi en date, le groupe délaisse un peu le hip-hop pour une pop-folk électro plus calme. A chaque nouvelle exploration sonore, Wednesday Campanella conserve des éléments de ses explorations précédentes, construisant niveau après niveau son univers musical. Patrick St. Michel ajoute : « On les compare souvent au Yellow Magic Orchestra ; c’est intéressant. Il y a certainement quelque chose dans l’attitude et l’approche des techniques de production de commun aux deux groupes. »
Galapagos, une nouvelle étape
Galapagos marque donc une sorte de rupture dans la continuité pour Wednesday Campanella. Rupture, parce que – si l’on exclut les premiers vers du morceau Melos – le rap qui a longtemps été la marque de fabrique du groupe est absent du disque. Et continuité parce que la production est résolument électro, même quand elle va faire un tour vers la folk ou la new wave.
C’est également la première fois qu’un featuring apparaît sur un disque du groupe. Et, cocorico, c’est avec Pablo Padovani, frontman du groupe Moodoïd que ça se fait. « Tout ça c’est grâce à Yoko ! (Yoko Yamada, promotrice pour le tourneur japonais Creativeman, basée à Paris) » explique KOM_I. « Elle m’a mise en contact avec Pablo parce qu’elle avait le sentiment que nous pourrions nous entendre. C’est souvent compliqué, les collaborations. Mais avec Pablo, on s’est tout de suite compris : on pense de façon similaire. Faire de la musique avec lui a été très simple. » En résulte un morceau sur Galapagos, intitulé Matryoshka, et un autre sur le dernier album de Moodoïd, l’excellent Cité Champagne, où KOM_I apparaît sur Langage. Ce morceau résume d’ailleurs très bien la vocation internationale de Wednesday Campanella : pas besoin de comprendre le japonais pour ressentir la force de sa musique.
Le disque, comme tous les disques de Wednesday Campanella, raconte une histoire. La continuité entre les tracks a une logique. Si l’album précédent, Superman, laissait toute sa place à une pop ensoleillée invoquant une multitude de divinités solaires au fil des morceaux (jusqu’au titre de l’album lui-même en fait), Galapagos se focalise sur la nature, comme on peut le constater dans les paroles, disponibles en anglais sur une page dédiée. « Galapagos se concentre davantage sur le végétal, la forêt, la mousse », nous dit KOM_I. « On tourne également autour de la notion d’éternité. Matryoshka se termine avec des paroles inversées parce que le morceau pourrait tourner éternellement. C’est la même chose avec Minakata Kumagusu, qui a une structure cyclique, et se termine en fade out, pour souligner ce sentiment d’infini. » Le disque empreinte donc cette cyclicité, avec un premier morceau nous transportant dans une forêt primordiale lunaire, et un dernier morceau nous dévoilant les secrets de l’univers et de la vie.
Galapagos est également un album socialement conscient. Cela va de la présence discrète du bâtiment de la Diète japonaise sur une île dans le clip de Three Mystic Apes (symbolisant l’isolement et le décalages de ses membres des réalités du reste du monde) à la chanson The Sand Castle, composée alors que des milliers de Japonais se rassemblaient devant ce même bâtiment de la Diète en juillet 2015 pour protester contre la réforme de la Constitution japonaise (en autorisant le Japon à intervenir dans des actions militaires offensives). Car Wednesday Campanella, ou en tout cas KOM_I, est également un groupe politisé.
Un groupe politisé
Ainsi, KOM_I s’est exprimée à plusieurs reprises sur la loi interdisant jusqu’en 2015 aux gens de danser dans la rue (et du ridicule de cette loi), sur la fermeture de clubs à Tokyo ou encore sur la situation sociale japonaise en général. « Et encore, en interview, je me refrène ! » ajoute-t-elle. « Je pourrais en dire beaucoup plus, mais je fais attention. » Ce qui ne l’empêche pas de pousser un soupir quand on évoque la polémique autour du morceau Hinomaru de Radwimps. « Avant de rejoindre Wednesday Campanella, au lycée, j’étais entourée d’activistes. Dès cette époque, je pensais qu’un artiste devait être un leader d’opinion. Je n’aime pas le statu quo où les artistes font semblant de vivre en dehors du monde. C’est pourquoi j’exprime parfois des opinions fortes. C’est important d’exprimer ses opinions politiques et de dénoncer les injustices quand on en a la possibilité. » Pour l’instant, elle ne se voit pas plus impliquée dans la politique que ces quelques commentaires, mais dans le futur, pourquoi pas…
Pour Patrick St. Michel, cette liberté de parole joue également en faveur du groupe pour percer davantage à l’étranger : « C’est une attitude que l’on retrouve chez les artistes en Occident, et même dans la K-pop. En plus d’attirer l’attention au Japon, elle permet de montrer un autre point de vue sur ce pays à l’étranger. KOM_I pourrait ouvrir une voie au Japon où davantage d’artistes seraient plus conscients socialement. » Peu de temps après la publication de l’entretien de KOM_I avec Buzzfeed Japan, SKY-HI avait d’ailleurs réagi sur Twitter, allant dans son sens.
Et la suite ?
Le groupe inspire – plus ou moins directement – déjà d’autres talents émergents sur la scène japonaise. Le groupe CHAI a gagné en notoriété en remettant en question la notion de kawaii et en chantant sur la confiance en soi et l’image corporelle, allant à l’encontre des attentes d’une pop japonaise et sa beauté formatée. D’un point de vue musical, Patrick St. Michel voit dans Haru NEMURI le pendant rock de Wednesday Campanella : « Elle a un même style de chant que KOM_I ; c’est un peu comme si Wednesday Campanella avait pris la direction de Ringo Sheena ou Jun Togawa. »
Pour l’instant, le groupe est en tournée, pour promouvoir son nouveau disque, évidemment, mais aussi pour se montrer. Ainsi, on pourra les croiser dans différents festivals japonais, évidemment, mais aussi pour une date en Europe au Off Festival en Pologne. Et comme l’a dit KOM_I en interview, elle compte se concentrer sur le chant, donc il est fort possible que de nouveaux singles sortent dans les mois à venir.
Mais quand reviendront-ils en France ? « J’espère revenir à Reims l’an prochain », nous confie KOM_I en fin d’interview. « Je commence à beaucoup aimer ce petit bout de nature ! » On peut donc d’ores et déjà envisager un retour à La Magnifique Society en 2019.
Un grand merci aux équipes de La Magnifique Society, à Patrick St. Michel, à KOM_I et à Yoko Yamada, qui a assuré de temps en temps l’interprétariat en jonglant entre anglais, français et japonais.
Merci pour cet article qui m’a appris pas mal de choses sur ce groupe, que j’avais découvert sur la chaîne Nolife !
Sinon, une chouette idée d’article serait la scène rock/metal féminine japonaise, très active en ce moment avec des groupes comme Aldious, Gacharic Spin et tant d’autres !
Bonjour Mitsugoro,
Paul OZOUF, rédacteur en chef. Merci de nous avoir lu et on note l’idée même si on manque de rédac rock en jmusic en ce moment. Par contre Gasharic Spin le groupe s’est pas séparé peu de temps après son passage à Japan Expo ?