Le Dit du Genji : du fondateur de la littérature japonaise au film d’animation
Aujourd’hui, Journal du Japon vous présente un des plus grands textes de la littérature japonaise, Le Dit du Genji. Que ce soit avec le chef d’œuvre écrit par Murasaki SHIKIBU ou par le biais d’un film d’animation qui sort aujourd’hui chez Rimini Editions, ce grand classique se doit d’être connu et partagé par le plus grand nombre.
Les vacances d’été sont idéales pour partir à sa découverte.
Le Dit du Genji : un des romans les plus anciens du monde
Grand classique, roman fondateur, de nombreux mots circulent pour qualifier cette œuvre. Mais c’est quoi exactement Le Dit du Genji (Genji monogatari, qui pourrait être traduit par Roman du Genji ou Conte du Genji) ? On pourrait dire que c’est le premier roman psychologique au monde, écrit autour de l’an mille par Murasaki Shikibu, dame de compagnie de l’impératrice du Japon à une époque où la cour résidait à Heian (actuelle Kyoto). Elle raconte avec minutie et finesse la vie du prince Genji, fils de l’empereur et de sa favorite. Ses amours, sa quête de la femme idéale, mais également son ascension jusqu’au titre de Grand Ministre, toutes les facettes de cet homme charmant, appelé « prince radieux », arbitre des élégances, sont décrites dans les moindres détails.
Ce roman fleuve permet donc d’en apprendre beaucoup sur la vie quotidienne et sentimentale des nobles de la cour impériale. C’est également une plongée dans la psychologie des personnages, d’une grande modernité pour l’époque : des séducteurs qui accumulent les conquêtes, des femmes qui se jalousent, des manigances politiques, des luttes de pouvoir. C’est aussi un matériau considérable en ce qui concerne les arts (qui tiennent une part très importante dans la vie des personnages : calligraphie, poésie, musique, peinture). Ce livre sera d’ailleurs une source d’inspiration inépuisable pour la peinture et les arts décoratifs, des peintures du Genji (Genji-e) voyant le jour dès le onzième siècle.
D’ailleurs, le lecteur peut découvrir le texte traduit par René Sieffert en version simple aux éditions Verdier, ou dans un luxueux coffret, illustré par plus de 500 Genji-e, aux éditions Diane de Selliers.
Ce texte n’est pas d’un abord facile, mais il plonge le lecteur dans un univers fascinant, où nature et poésie sont très présentes et donnent une saveur particulière à la lecture. En effet, 800 waka (poèmes de 31 syllabes) parcourent ce roman. L’échange de poèmes était d’ailleurs le moyen de communication entre les amants à l’époque (eux qui étaient toujours séparés par une cloison lorsqu’ils se rencontraient). Dans un monde où tout est très codifié, ces poèmes apportent une touche de légèreté, de fraîcheur.
Charles Haguenauer, japoniste français et spécialiste du Dit du Genji, écrivait en 1959 :
C’est une œuvre qui offre un caractère profondément humain ; elle conserve, sous le fard dont elle est parée, une fraîcheur et un charme tels qu’elle prend tout naturellement rang au nombre des plus belles productions littéraires de l’humanité. L’importance du Genji monogatari réside en ce qu’il constitue un chef d’œuvre à la lecture duquel aucun esprit affiné ne restera insensible, quelle que soit la civilisation qui l’a formé.
Ce roman comprend 54 livres qui se décomposent en trois grandes parties : la vie du Genji jusqu’à son apothéose dans les trente premiers livres, son déclin, et enfin l’histoire de son fils Kaoru dans les dix derniers livres.
De nombreux personnages sont présents dans l’ouvrage, c’est pourquoi la lecture peut s’avérer difficile. Mais il existe une solution pour ne pas se perdre : le guide À la découverte du Dit du Genji, publié par les éditions Diane de Selliers. Ce guide comprend des textes de présentation, un résumé de chacun des 54 livres (accompagné à chaque fois par un arbre généalogique pour expliquer les liens entre les personnages du livre en question), des biographies des principaux personnages, une concordance des noms japonais des personnages et de leur appellation en français, une chronologie de la vie du Genji et de Kaoru, des cartes et plans.
Ce guide sera très utile au lecteur pour l’accompagner livre après livre, lui permettant de situer un personnage, comprendre le déroulement, replacer un événement dans la chronologie globale.
Petit à petit, le lecteur se familiarise avec le style et l’univers qu’il découvre au début avec difficulté puis avec émerveillement.
La jeunesse du Genji ne fut pas facile. Sa mère meurt lorsqu’il n’a que trois ans, elle était la favorite de l’empereur mais était détestée des autres femmes. De nature fragile, elle a beaucoup souffert du comportement méchant de certaines personnes. Le jeune Genji est marié une première fois à douze ans à la fille du Ministre de la Gauche. Son père meurt alors qu’il n’est qu’un jeune adulte. Son côté « coureur de jupon » lui vaut d’être envoyé en exil à Suma puis à Akashi. Mais son ascension commence lorsqu’il retourne à Heian. Il est alors l’homme le plus charmant et le plus remarqué de la cour, où il multiplie les conquêtes. Puis l’âge venant, il se retire du monde à la mort de Murasaki, une femme remarquable qui aura finalement été son grand amour. Le lecteur suit alors la vie de Kaoru, son fils, et ses amours contrariées.
Quelques extraits …
Le Genji brillant séducteur :
Le Prince prit le temps de soigner sa mise, et déjà la nuit tombait quand il fit son entrée, attendue avec impatience. Sous une casaque de damas à la chinoise, blanc doublé de rouge, il portait une tunique lie-de-vin à longue traîne ; alors que tous étaient en robe de cérémonie, l’élégance de cette tenue de grand seigneur désinvolte lui permit de faire une entrée fort remarquée, accueillie avec déférence. L’éclat des leurs en était terni, au point qu’on était presque déçu qu’elles fussent là. Il joua divers instruments, et ce fut un enchantement ; plus tard dans la nuit, sire le Genji prétendit être incommodé par l’ivresse et, sous ce prétexte, il s’éclipsa. Dans le bâtiment central, il se dirigea vers la porte de l’est, là où demeuraient les Princesses Première et Troisième, et s’assit tout contre. Comme il y avait une glycine face à ce côté-là, l’on avait soulevé les treillis, et les femmes y avaient pris place. Leurs manches le faisaient penser aux danses du nouvel an, mais l’ostentation qu’elles mettaient à les étaler au-dehors, et qui n’était pas de mise en ces lieux, lui rappela la discrétion de bon ton qui régnait au Clos aux Glycines.
Le Genji triste à la mort de la femme qui vient de lui donner un fils :
Vinrent les averses d’hiver ; certain soir mélancolique, au crépuscule, sire le Commandant se présenta ; il avait quitté ses vêtements d’été pour une casaque et des chausses d’un gris plus pâle, ce qui lui donnait un air viril et dégagé qui en imposait. Le Prince, appuyé à la balustrade devant la porte couplée de l’ouest, contemplait le jardin brûlé par le givre. Le vent soufflait en rafales violentes, et ses larmes semblaient le disputer à l’averse :
« Est-elle pluie
ou bien nuée devenue
comment le savoir »
murmura-t-il pour lui même …
Mélancolie de l’exil :
À Suma, au vent d’automne qui accable les esprits, encore que la mer fût assez éloignée, des vagues du rivage soulevées par ce vent dont Yukihira le Moyen Conseiller disait que « le souffle franchit la barrière », nuit après nuit, le bruit en vérité sonnait tout proche, et rien n’était mélancolique autant que l’automne en pareil lieu. Dans le silence de la nuit, car bien peu nombreux étaient ceux qui l’entouraient, seul éveillé, quand il souleva la tête pour entendre l’ouragan qui faisait rage aux quatre horizons, il eut le sentiment que les vagues déferlaient à son chevet, et sans qu’il en eût conscience ses larmes coulaient à faire chavirer son appuie-tête. Il pinça la cithare ; et les quelques accords que pourtant il en tirait lui-même rendaient un son si lugubre qu’il les interrompit :
« D’amour je languis
et les vagues du rivage
se mêlent à les sanglots
se pourrait-il que ce vent
vienne de celle que j’aime »
chanta-t-il, et ses gens, tirés de leur sommeil, incapables de résister au charme de cette voix sublime, se levaient sans trop savoir pourquoi et discrètement se mouchaient.
Plongez avec bonheur dans ce roman délicieux où les hommes et les femmes portent des tenues magnifiques, s’adonnent à la calligraphie, à la musique, échangent des poèmes et admirent la nature au fil des saisons !
Le roman du Genji : l’adaptation animée
Réalisé par Gisaburo SUGII (Train de nuit dans la voie lactée – 1985), le film d’animation du Roman de Genji est disponible dans une superbe édition combo DVD et Blu-ray dès le 3 juillet chez Rimini Editions. En plus du film, le DVD / Blu-ray comportera des suppléments dont un entretien avec Evelyne Lesigne – Audoly (Maître de conférences à l’Université de Strasbourg) qui commente l’œuvre littéraire, ainsi qu’un commentaire de l’œuvre cinématographique d’Olivier Fallaix, spécialiste en matière d’animation japonaise.
Produit par les studios GROUP TAC, il sera diffusé au Japon pour la première fois en 1987. Sa publication en France est inédite, et permettra une plus grande accessibilité au public français de ce chef d’œuvre de littérature japonaise.
Un peu plus sur Gisaburo SUGII
Peu connu en Europe, Gisaburo SUGII s’avère être un personnage phare de l’animation japonaise. Il entre très jeune dans le monde de l’animation et fera ses débuts à Toei Dôga (aujourd’hui connu sous le nom de Toei animation), où il rencontrera Osamu TEZUKA (Astro Boy). En 1958, il devient le directeur d’animation de Serpent Blanc, premier long métrage en couleur du Japon.
Par la suite, il rejoint TEZUKA lorsque celui-ci créa son propre studio d’animation du nom de Mushi Production, et travaille avec lui sur l’adaptation anime d’Astro Boy : Astro le petit robot. Après ça, il enchaîne les succès et dirige de nombreuses séries télévisées telles que La légende de Songoku et petit à petit se met à travailler en free-lance. Il continuera cependant de travailler avec TEZUKA sur quelques films comme Belladonna en 1973 qui ne rencontrera pas grand succès auprès du public. En 1969, il rejoint GROUP TAC en tant que co-fondateur en compagnie d’Atsumi TASHIRO et réalise le film Jack et le Haricot magique (Jack to Mame no Ki, dans son titre original).
En 1985, il adapte le roman Train de nuit dans la voie lactée (Ginga Tetsudo no Yoru ) de Kenji MIYAZAWA et deux ans plus tard, le Dit du Genji (Genji Monogatari). Plus tard, il est nommé au 30e prix de l’académie du Japon pour l’Animation de l’année avec Une Nuit Orageuse (Arashi no Yoruni) et remporte le prix de l’Agence des Affaires Culturelles en 2010. S’ajoute à cela qu’il devient membre du jury du Japan Media Arts Festival en 2011. Un grand monsieur, donc.
Les liaisons dangereuses du Genji
Comme dans l’œuvre originale, on suit le jeune Hikaru GENJI aller d’amours en amours plongeant dans un cercle autodestructeur prévisible. Avec ce comportement frivole, allant même jusqu’à séduire des femmes mariées, la question se pose : à quel moment ce comportement se retournera contre lui ?
Il faut le dire, la cour et tous les membres occupants le Palais Impérial ne sont pas beaux tout mignons et ne prennent pas le thé en rond dans le jardin. La réalité du milieu est bien plus cruelle et s’apparente à une chasse au pouvoir souvent remportée par le plus mesquin d’entre eux. Les nombreuses rumeurs, complots et autres petites remarques acerbes joliment tournées au détour des couloirs, forment une épée de Damoclès dont on craint la chute à chaque seconde.
Bien que la charte graphique identifie chaque femme à l’aide d’une fleur qui leur est propre, on éprouve tout de même quelques difficultés à suivre les ardeurs du jeune prince. Passant d’une dame à l’autre en quelques minutes, le spectateur peut rapidement se sentir confus voire un peu perdu dans son méli-mélo d’émotions s’il n’est pas familier avec le roman. Pour pallier à cela, l’éditeur a pris soin d’inclure une petite explication sur l’identité de chaque femme dans les suppléments. Une petite attention qui aide à y voir plus clair.
Une oeuvre sublime et complexe
Si vous êtes familier avec l’art japonais, en particulier l’Ukiyo-e, vous remarquerez que le style graphique se rapproche de très près des fameuses estampes traditionnelles : du character design aux peintures bouddhiques affichées sur les murs, le Roman du Genji donne l’impression de voir ces images anciennes s’animer et prendre vie dans cette œuvre. Peut-être y avait-il même une volonté de faire revivre les Rouleaux illustrés du Dit du Genji, emakimono qui illustrait l’oeuvre littéraire de l’époque ?
Délicatesse des mains, pluie de sakura / momiji, la présence de la poésie et du surnaturel est constante dans l’œuvre et ne fait que renforcer cette impression de rêve éveillé envoyée par le film. Il en va de même pour les superbes décors, dont le détail à la fois minimaliste et précis renforce l’immersion et rend le récit presque palpable. Chaque objet, chaque mur est peint avec le soin de respecter les motifs, voir la matière qui les compose. Le palais, quasi seul lieu d’action du film, est également très bien représenté : contraste de couleurs, jeu de lumières et perspective, tout est brillamment conçu pour nous faire découvrir l’intimité et la beauté des lieux. Les chambres de chaque dame que visite le Genji sont également décorées de leurs fleurs respectives et permettent une meilleure identification des personnages tout en créant une ambiance unique dans chacune d’entre elles.
Il en va de même pour les dialogues : les personnages communiquent entre eux en utilisant le langage soutenu de la cour, quelque soit les relations qu’ils entretiennent. Les émotions sont, à l’image du roman, exprimées en Waka, et dévoilent poétiquement toute la profondeur des sentiments éprouvés par les personnages. Et dans toute cette beauté des mots, on devine une certaine mélancolie omniprésente dans le cœur du Genji qui semble constamment à la recherche de quelque chose qui pourra enfin le faire sentir complet et en paix avec lui-même.
Le dernier point fort qui fait de ce film une œuvre artistique unique: sa bande son composée de musiques traditionnelles époustouflantes.
Mystique et enivrante, elle se fait entendre dès les premières secondes du film et nous immerge directement dans l’histoire. Que ce soit le drame, la nostalgie ou encore les événements d’ordre surnaturels, chaque note de koto et de luth accompagne et conduit nos émotions. Habitués à entendre ce genre de mélodie uniquement lorsqu’il s’agit d’un festival traditionnel, elle accompagne merveilleusement bien chaque scène et renforce la dimension historique du récit.
Le Dit du Genji avait déjà eu le droit à quelques adaptations : le film « Le roman de Genji » de 1951 réalisé par Kôzaburô YOSHIMURA, un manga du nom de Asaki Yume Michi (J’ai fait un rêve vain en français) ainsi qu’une série anime de 11 épisodes Genji Monogatari Sennenki.
Que vous soyez avides de culture japonaise ou alors simplement curieux, ce film d’animation vaut clairement le détour. Qui sait, peut-être allez-vous même comprendre quelques références clés de vos anime préférés en vous appropriant ce grand classique, alors n’hésitez pas et foncez !
4 réponses
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[…] façon de monter à cheval ?…). En investiguant, on se rend compte que le Dit du Heike et le Dit du Genji ont eux-mêmes été des sources d’inspiration « libres » pour les artistes japonais des ères […]