La Magnifique Society 2018 : sapés comme Japonais
On prend les mêmes et on recommence ! Cette année encore, nous avons envoyé un journaliste couvrir La Magnifique Society, à Reims, dont la deuxième édition se tenait du 15 au 17 juin. « Pourquoi ? » nous demanderez-vous. Tout simplement parce que le festival accordait une nouvelle fois une place aux musiques actuelles et alternatives japonaises grâce à la scène Tokyo Space ODD. Voici un petit récapitulatif des événements, rythmé par les matchs du Mondial qui se sont joués ce week-end-là.
Vendredi : rodage
La première heure d’un festival est une bonne occasion pour repérer les lieux vitaux (toilettes, points de restauration, espace presse, scènes, toujours dans cet ordre). Et l’on constate que, si le festival a toujours lieu dans ce superbe écrin de verdure qu’est le Parc de Champagne, l’agencement des scènes a changé par rapport à l’année dernière : les scènes Club et Central Park qui se faisaient face lors de la première édition ont désormais droit à un espace propre à chacune, permettant ainsi de densifier la programmation.
Deuxième constat : l’espace Tokyo Space ODD est toujours là, avec une organisation plus claire. Une large place est accordée aux bornes d’arcades, à côté une petite exposition dédiée à Sap Chano – à qui l’on doit le visuel de l’affiche du festival –, Japan FM a droit à un espace partenaire où l’on peut acheter du merchandising et des vinyles du label Specific à bas coût (j’en achète plusieurs palettes), et la scène est bien isolée du bazar ambiant.
Sur le papier, l’affiche est prometteuse : les organisateurs ont trouvé un bon équilibre entre poids lourds nationaux (Orelsan, Jain, Charlotte Gainsbourg, Etienne Daho), célébrités mondiales (The Hives), talents émergents (IAMDDB, Kiddy Smile, Moodoïd), artistes locaux (Barcella, Créance de Son) et évidemment scène japonaise. Il y en a pour tous les publics.
Justement, cette première journée est éclectique, dans la programmation comme dans le public. Après tout, il y en a pour tous les âges, avec Orelsan et Charlotte Gainsbourg en têtes d’affiche. En attendant les performances japonaises, on va donc de scène en scène, à bouger dans la fosse avec IAMDDB, ou à se laisser envoûter par la voix et les basses de Kelela, en mangeant un hot-dog dans l’herbe.
A 21h00, CASIO Turkey Onsen (interview à lire bientôt sur le Journal du Japon) ouvre les hostilités du Tokyo Space ODD. Leur performance énergique parvient à attirer les badauds, malgré la barrière de la langue. Leurs tenues et leur jeu de scène (à base de marionnettes, de chiens mécaniques et de tamis à haricots azuki) fait mouche, augurant du bon pour la suite du festival.
On enchaîne ensuite sur la régionale de l’étape, Gustine, qui, malgré une mise en concurrence avec Charlotte Gainsbourg quelques mètres plus loin, fait salle comble. Au programme, de la glitch pop, de MPC, de la harpe celtique, et un VJing/light show très travaillé. Je suis entouré de 2000. Au bout d’un quart d’heure de performance, je sors, épuisé par le show et le bruit. Je me remémore les paroles de la jeune Naya, quelques heures plus tôt, qui annonçait sur scène qu’elle allait passer son bac le lundi suivant. Mentalement, j’ai 58 ans.
Après avoir bu mon poids en eau, je reprends mes esprits, car arrive sur scène Dos Monos, qui contrairement à ce que son nom peut indiquer, est un trio. Je suis insta-explosé de rire car un des membres du groupe arbore une superbe veste estampillée « Police Municipale » toute droit sortie d’un épisode de Julie Lescaut. Le set est dingue, et bien qu’il s’agisse de rap un peu brutal, Dos Monos renvoie parfois des impressions de Yellow Magic Orchestra. Peut-être parce qu’ils sont eux aussi trois. Peut-être aussi parce qu’ils samplent Computer Game. Je ne sais pas. Le public peine par contre à venir : sur la grande scène, le concert d’Orelsan vient de commencer.
Après avoir guinché sur Dos Monos, il faut reprendre ses esprits. La dernière artiste japonaise de la journée va arriver incessamment sous peu, et il ne s’agit pas de n’importe qui. Wednesday Campanella (incarné par la chanteuse KOM_I, interviewée l’an dernier – et que j’ai eu le bonheur d’interviewer à nouveau cette année) arrive sur scène. La scène est vraiment l’espace où KOM_I exprime le mieux tout le talent et la créativité du groupe. Devant un public d’abord clairsemé, elle va dans la fosse, va chercher de potentiel spectateurs, monte dans sa fameuse boule transparente pour aller dehors et sommer Orelsan de se taire… Ca donne le tournis et c’est extrêmement réjouissant. Au bout de 15 minutes, une foule s’amasse et assiste au concert, au milieu de structures gonflables colorées. Cerise sur le gâteau, Pablo, le frontman de Moodoïd, la rejoint sur scène pour interpréter le morceau Matrioshka. Le show se termine en haut d’une échelle : KOM_I a un public conquis à ses pieds.
Samedi : Allez les Bleus !
Le samedi commence par des visites d’ordre culturel, sur invitation de la Ville de Reims et de la Communauté urbaine du Grand Reims. Je découvre les travaux d’illustrations de Foujita qui seront exposés cet automne à la bibliothèque Carnegie, ainsi que la chapelle Foujita. J’apprends avec du retard la victoire de l’équipe de France face à l’Australie.
J’arrive en début d’après-midi sur le site du festival pour assister aux très longues balances de Yahyel qui joue ce soir. Je me demande également qui sont ces Japonaises super fringuées qui ne sont manifestement pas des artistes de la programmation. Elles me rappellent les Bananalemon et elles ont l’air d’être importantes, vu qu’elles sont suivies par des caméras. Mais impossible de savoir qui c’est.
C’est donc l’esprit troublé que je me rends à ma première interview, avec Iri (à lire prochainement sur le Journal du Japon). La jeune femme se concentre sur son premier live en France. L’interview finie, je file voir les petits-Japonais-bien-intégrés-quasiment-new-yorkais de DYGL qui ont droit à la grande scène. Le public est au rendez-vous et saute comme un seul homme sur leur tube Let it Sway. Je fais une demi-sieste dans l’herbe en suivant d’un œil les résultats d’Argentine-Islande, avant de retourner en espace presse pour une interview rigolote avec les meufs de CASIO Turkey Onsen. MTG, Chiyaji et PKNY sont aussi sympa et timbrées que sur scène, c’est super chouette.
Je bouge enfin vers la scène Club où Wednesday Campanella joue son second concert du festival. J’assiste aux premiers morceaux puis court interviewer mabanua (interview à lire prochainement sur le Journal du Japon). Je suis de retour à temps pour voir la fin du concert : KOM_I descend dans la foule, trainant derrière elle de gigantesques baudruches. Les enfants courent à travers champs avec elle. Les gars de la sécurité sont beaucoup moins sereins. La magie Wednesday Campanella a une nouvelle fois opérée.
Après une petite heure de battement pour refaire le plein de nourriture et de boisson, je me dirige vers le Tokyo Space ODD, où CASIO Turkey Onsen entame son deuxième set. Le public est davantage au rendez-vous. Ça se finit debout sur les tables. Comme quoi, l’esprit d’Osaka correspond bien au caractère sudiste qui fait tourner les serviettes. Leur folie répond efficacement à l’énergie des Hives qui jouent plus loin.
Le temps de ranger tout ce bazar, et mabanua monte sur scène. Le set, d’abord plutôt orienté jazz et folk, peine à s’attirer les faveurs du public. Il faut que l’artiste évolue vers une soul-funk pour que la foule grossisse. Multi-instrumentiste talentueux, mabanua s’amuse avec les membres de son groupe, leur laissant des solos absents de ses albums. C’est bien sympa-cool.
Puis la salle s’assombrit. La musique autodestructrice de Yahyel entre en scène. La scénographie est très post-humaniste, glitchée, D4ЯK. C’est compliqué de faire des photos satisfaisantes. Mais le public est très réactif. Ça saute et ça crie dans le public, comme s’il n’y avait pas de lendemain. MONJOE, le frontman du groupe, se la joue un peu, et il a le droit : il se donne totalement dans la performance.
A ce stade du festival, je suis sérieusement au bout de ma vie. Sauter comme un cabri depuis 24 heures en mangeant n’importe quoi, faire des nuits courtes et en plus ingérer tout le patrimoine pictural rémo-japonais, ça fatigue. Je suis donc heureux de l’arrivée de iri. Sa soul-R’n’B tranquille fait bouger les têtes. Il faut attendre les envolées hip-hop et les rythmiques funk de son titre Keepin’ pour que les spectateurs bougent davantage.
A la fin de son concert, je prends une nouvelle fois l’air, alors que le flutiau de Vladimir Cauchemar résonne dans le lointain. Je suis épuisé. L’énergie de Dos Monos qui clôt cette journée est communicative un moment. Ils jouent devant un public dense, et ont appris de la performance de KOM_I la veille, puisqu’eux aussi s’aventurent dans la fosse. Le set se termine en une mêlée tribale où Dos Monos communie avec les spectateurs. Je suis en sueur et veux dormir.
Le bilan de ce samedi est aussi positif que la veille. Le public a changé cependant : il a rajeuni, et semble davantage constitué d’habitués de festivals. Il y avait également davantage de viande saoule (prévisible lorsque l’équipe nationale dispute son premier match de Coupe du Monde à midi). Sur ces pensées, je me promets une grasse matinée.
Dimanche : retomber amoureux
Le dernier jour commence tranquillement : le dimanche, c’est le jour des familles. Aussi, avec Jane Birkin et Etienne Daho, on voit plus de spectateurs et spectatrices aux cheveux poivre et sel. Je regarde le début du concert de Moodoïd, assez longtemps pour voir KOM_I monter sur scène interpréter en duo Langage. Puis je file : j’ai une interview sapée comme jamais avec Sap Chano, photographe et spécialiste de la sapologie. Il a cédé les droits d’une de ses photographies qui sert de visuel à l’édition 2018 de La Magnifique Society, et une petite exposition d’une vingtaine de clichés lui est consacrée. On parle d’ailleurs de la possibilité d’une exposition plus conséquente dans les murs de La Cartonnerie (la salle de musiques actuelles de Reims, organisatrice de l’événement) dans les mois à venir.
Je regarde d’un œil les nouveaux sets de mabanua, iri et Yahyel, en attendant la conférence de presse du festival. Le bilan est plus que satisfaisant : avec 21 000 festivaliers sur les 3 jours, La Magnifique Society double quasiment les chiffres de la première édition (qui comptait 12 000 spectateurs). Le vendredi et le samedi se sont joués à guichet fermé. Festival ancré dans sa géographie, il doit jouer avec une sociologie variée de jour en jour. Mais globalement, pour une deuxième édition, le résultat est extrêmement encourageant.
Je sors de la conférence en traînant et suivant l’évolution d’Allemagne-Mexique (ach so), avant de me rendre à ma dernière interview. Je vais interviewer KOM_I. Habillée comme une chanteuse R’n’B de la fin des 90’s (jusqu’au petites lunettes aux verres bleutés vissées sur le nez), elle répond dans un anglais quasi parfait – elle a beaucoup progressé en un an. Je bois ses réponses, comprends une nouvelle fois les raisons de son succès et inévitablement retombe à nouveau amoureux d’elle. L’interview parfaite pour clôturer le festival.
Vous l’aurez compris : on a adoré cette nouvelle édition de La Magnifique Society. Le festival a su étoffer sa programmation, a corrigé quelques points qui pouvaient faire tiquer l’année dernière et a su gérer un afflux supplémentaire de spectateurs tout en restant à taille humaine. Une édition 2019 est déjà prévue, même si aucune date n’a pour l’instant été annoncée. Le projet Tokyo Space ODD aura également lieu (pour l’instant, ils comptent le pousser jusqu’en 2020, pour coïncider avec l’organisation des Jeux Olympiques à Tokyo).
Un grand merci également à l’organisation et aux bénévoles qui font de La Magnifique Society un festival où il fait bon traîner ses guêtres sans se prendre la tête. On se retrouve là-bas dans un an.
5 réponses
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