Hikikomori : faire le choix de vivre retranché
Alors que l’été approche et nous donne des envies d’extérieur, de terrasses, de moments entre amis, en famille…, eux ne jurent que par les 4 murs de leur chambre. Eux ? Ce sont les hikikomoris, des personnes vivant dans le huis clos de leur chambre et qui ont choisi de couper tout contact avec le monde extérieur. On décrypte pour vous ce phénomène venu du Japon et qui tend à s’occidentaliser.
Ils seraient près d’un demi-million selon les derniers chiffres du gouvernement japonais. Ces adolescents et jeunes adultes, majoritairement des hommes, ont décidé pour des raisons qui leur sont propres de se couper du monde extérieur, de leurs amis, leur famille… Ils ont choisi de s’isoler, « se retrancher » – signification du terme hikikomori – et de ne plus sortir de chez eux.
De nombreux chercheurs se sont intéressés à ce phénomène qui est ancien au Japon. La prise de conscience relative à l’existence de ces reclus, victimes de pathologies sociales, remonte aux années 1990. C’est l’ouvrage du psychiatre SAITO Tamaki publié en 1998 (et inédit chez nous) qui le premier érige ce phénomène hikikomori en véritable sujet de société.
Pression sociale, rupture familiale, problèmes scolaires… les raisons pour lesquelles ces personnes en souffrance ont choisi de se cloîtrer dans leur chambre sont nombreuses.
En 2016, les autorités japonaises procèdent à un recensement qui laisse apparaître que plus d’un tiers des personnes interrogées disent s’être isolées de la société depuis plus de 7 ans. Un chiffre alarmant qui tranche avec les 16,9% en 2009. La majeure partie d’entre eux ne rencontrent pourtant pas de difficultés scolaires particulières ; ce qui peut laisser sceptique l’entourage quant à la radicalité de leur choix. Néanmoins, on peut retrouver des problèmes récurrents de harcèlement scolaire – ijime en japonais, véritable fléau – derrière la décision des hikikomoris. Ceux qui en sont victimes voit dans l’enfermement l’unique solution possible pour fuir ses harceleurs et échapper à l’alternative du suicide.
Récemment, l’AFP interrogeait l’un d’entre eux : Monsieur Ikeida (nom d’emprunt ndlr). Reclu dans sa chambre depuis plus de 30 ans à Tokyo, cet homme de 55 ans, qui ne sort qu’à de très rares occasions pour ses besoins vitaux, est diplômé de la prestigieuse université de Tokyo. C’est la pression sociétale et professionnelle qui aura eu raison de lui alors qu’il débutait sa vie salariale. Il explique avoir tenté de communiquer sur son mal-être en demandant à sa famille de lui permettre de voir un psychiatre. Peine perdue. La société japonaise est peu encline à avoir recours aux professionnels des maux du cœur et de l’esprit. Et si M. Ikeida possède son propre appartement, la majorité des hikikomoris résident chez leurs parents, confinés dans leur chambre, accentuant ainsi le sentiment de honte qui pèse sur la famille d’avoir un enfant qui ne remplira pas son rôle social. Une des autres raisons identifiées est le statut d’enfant-roi : un enfant surprotégé qui fait le choix de refuser d’entrer dans ce monde à la pression sociale trop forte.
Cinéma et littérature se sont naturellement emparés du phénomène
Dans la banlieue de Tokyo, Hiroshi vit avec ses parents et son jeune frère. Ne souffrant pourtant d’aucun trouble psychologique particulier, l’adolescent se coupe progressivement du monde jusqu’à décider de s’enfermer dans sa chambre pendant deux ans et de refuser tout contact physique. Face à cette situation incompréhensible, où tout dialogue avec son fils est impossible, sa mère ne sait comment régler un tel problème tout en préservant l’honneur de la famille… Tel est le scénario du film de Laurence Thrush « De l’autre côté de la porte » sorti en 2015 qui aborde frontalement le phénomène des hikikomoris et son impact dévastateur pour les proches.
C’est d’ailleurs un documentaire qui a inspiré son film : « Hikikomori », un documentaire de David Beautru et Dorothée Lorang qui traite de ceux que la société japonaise désigne comme la « génération perdue ». Les auteurs vont à leur rencontre au sein de l’un des rares centres de resocialisation pour hikikomoris, et tentent de comprendre les questionnements de cette génération sur le Japon d’aujourd’hui.
Et maintenant, quelle issue pour ces gens ?
Le problème qui se pose sérieusement pour les autorités japonaises est de savoir ce qui va advenir de ces gens, qui finissent inévitablement par vieillir, tout comme leurs parents qui seraient donc amenés à décéder en laissant derrière eux ces hikikomoris. La prise de conscience est d’ailleurs parfaitement claire puisque le ministre de la Santé a demandé près de 20 millions d’euros de budget pour l’année 2018 afin d’aider les hikikomoris. Comment ? En leur permettant de se mettre au travail. Il existe également des initiatives individuelles. Ainsi, une poignée de reclus accepte de quitter ponctuellement son confinement pour se réunir en vue de réaliser une revue, « Hikipos », qui donne des conseils pour recréer du lien social…
Ces ermites ne sont pas l’apanage du Japon, et même si le phénomène tend à s’accentuer de par les particularités de la société nippone, prédisposée à mettre une forte pression à sa jeunesse, nos sociétés occidentales ne sont pas en reste. Déjà présent et reconnu aux Etats-Unis, le phénomène typiquement japonais tend à toucher l’Hexagone. Plusieurs pédopsychiatres ont identifié différents cas de hikikomoris aux quatre coins de la France. La sédentarité, l’abus et l’isolement créé par les écrans… autant de symptômes qui ne pourront pas empêcher le développement de ce phénomène dans un pays où sa jeunesse est soumise à une pression croissante de nécessité de réussite.
Pour aller plus loin :
Une étude : l’ouvrage commun Hikikomori, ces adolescents en retrait, sous la direction de Maïa Fansten, Cristina Figueiredo Nancy Pionnié-Dax et Natacha Vellut
Un roman : La cravate de l’auteure autrichienne Milena Michiko Flasar, Editions de L’Oliver
Un film : le court-métrage ShakingTokyo ! du réalisateur sud coréen Bong Joon ho
Le phénomène hikikomori fait fortement penser à la dépression et on fait souvent l’amalgame, à tort, avec l’agoraphobie. Cette vidéo explique cela très bien et décompose des 4 causes principales qui peut engendrer un tel syndrome : https://youtu.be/WuuEkQc_X2Y