Les éditions Futuropolis : entre France et Japon
Journal du Japon vous invite à découvrir les éditions Futuropolis qui tissent un lien entre la France et le Japon à travers des artistes occidentaux qui dessinent leur Japon et des artistes japonais leur Musée du Louvre. Rencontre avec le directeur éditorial et présentation de quelques ouvrages.
Questions à Sébastien GNAEDIG, directeur éditorial de Futuropolis
Journal du Japon : Pouvez-vous présenter votre maison d’édition ?
Sébastien Gnaedig : Futuropolis est une maison d’édition de bande dessinée qui publie exclusivement des œuvres originales, libres de tout style, de tout a priori, avec le désir d’accompagner des auteurs renommés ou des jeunes encore inconnus, dans leurs envies et dans leurs créations, avec un programme régulier, ambitieux et renouvelé. Futuropolis publie des livres à forte personnalité, qui parlent du monde, ancrés dans la réalité, loin des clivages, des chapelles et du système de collections.
Afin d’accompagner avec justesse le propos et la démarche des créateurs, Futuropolis édite des livres dont la forme est le reflet de la diversité de leurs œuvres : noir et blanc, couleur, petit ou grand format.
Quelle est la place du Japon dans vos publications ? Il semble y avoir comme un chassé-croisé culturel entre les occidentaux qui dessinent leur Japon (Geisha ou le jeu du shamisen, les cahiers japonais d’Igort) et les artistes venus d’Orient qui dessinent leur Occident (leur Louvre)
C’est un chassé-croisé qui s’est installé au fil du temps. C’est grâce à la collection que nous coéditons avec le musée du Louvre que nous avons pu créé un lien privilégié avec les auteurs japonais et leurs éditeurs. En proposant directement à certains mangakas de travailler sur le Louvre, nous avons pu créer cette passerelle inédite entre la bande dessinée franco-belge, le manga et bien entendu le musée du Louvre. Le musée est évidemment très connu au Japon et très vite, des mangakas ont été intéressés par cette proposition. Le premier à se lancer a été Hirohiko ARAKI. S’il n’est pas l’auteur le plus connu en France, c’est un grand maître au Japon, on le considère comme l’un des pères du shônen avec sa série Jojo’s Bizarre adventure qui connaît un énorme succès là-bas. D’autres ont suivi, et non des moindres : Jirô TANIGUCHI, Taiyô MATSUMOTO et Naoki URASAWA. La collection a aussi été exposée au Japon pendant plus d’un an et demi dans 4 villes, à chaque fois dans des musées d’art contemporain dont le Mori Art center à Tokyo. Plusieurs artistes japonais ont collaboré aussi le temps de cette exposition à la collection : Daisuke IGARASHI, Shin’Ichi SAKAMOTO, Katsuya TERADA et Mari YAMAZAKI.
Alors que le catalogue s’ouvrait aux mangakas, Igort, qui fut l’un des rares auteurs occidentaux à travailler directement pour le Japon, nous a proposé ses Cahiers Japonais. Puis, plus récemment Christian Perrissin et Christian Durieux ont raconté le destin d’une jeune geisha dans le Japon du début du XXe siècle dans Geisha, le jeu du shamisen… Dans ce cas, nous accueillons d’abord un projet pour son histoire, son intérêt graphique… nous ne cherchons pas forcément à créer des thématiques particulières. Cependant, Christian Durieux a pu nourrir son récit sur place puisqu’il fut l’un des auteurs francophones invités au Japon pour l’exposition (Christian Durieux est l’auteur de Un enchantement, l’un des titres de la collection Louvre).
Quel est votre rapport au Japon, comme directeur éditorial et comme voyageur ? Quels artistes japonais suscitent votre curiosité, votre intérêt ?
C’est un pays fascinant que j’ai eu la chance de visiter 3 fois grâce à la collection Louvre ! Le lien avec les Japonais ne se fait pas en un jour mais avec le temps… et c’est la raison pour laquelle notre collaboration avec les mangakas et la maison d’édition Shôgakukan particulièrement s’est renforcée au fil des ans ! J’attends la prochaine occasion pour y retourner bien sur ! Je suis sinon, au-delà de certaines séries manga, un amateur d’estampes japonaises… particulièrement cette suite d’images d’Hokusai, les vues du mont Fuji, qui m’ont toujours fascinées.
Comment est née la collaboration entre votre maison et le Musée du Louvre ?
C’est à l’initiative de Fabrice Douar, éditeur aux éditions du musée du Louvre, qui m’a contacté pour me proposer cette collection de carte blanche donnée à un auteur le temps d’un livre sur le Louvre. J’ai tout de suite été convaincu par l’idée et nous avons trouvé rapidement les premiers auteurs ! Et cela fait bientôt 15 ans que cela dure !
Comment avez-vous approché les artistes qui dessineraient un album autour du Louvre ? Y avait-il un « cahier des charges » ?
Le cahier des charges est simple et il est toujours le même. L’auteur a un badge pour le musée qui lui permet de visiter le musée à sa guise. Il a accès à tout l’espace public et peut visiter les parties non accessibles après en avoir fait la demande. On a ainsi visité les toits, les souterrains, les réserves, l’atelier de restauration, le cabinet des dessins et rencontré de nombreux conservateurs et personnels du musée qui se sont en général prêtés de bonne grâce à ces visites ! Une fois ces visites faites, souvent en compagnie de Fabrice Douar qui lui sert de guide, l’auteur propose une idée d’histoire. Et si celle-ci fonctionne et nous intéresse, alors c’est parti ! Ensuite, il s’agit d’une relation classique entre un auteur et son (ici ses) éditeur(s). L’auteur a donc carte blanche sur son sujet et son développement.
Que pensez-vous de la vision que les Japonais ont de la France et les Français du Japon ? Une part de fantasme, d’idéalisation ?
Il y a forcément une part de fantasme et d’idéalisation de part et d’autre ! Ensuite, il s’agit du regard d’un artiste sur d’autres artistes et c’est ce regard-là qui nous intéresse…
Deux « suites » arrivent ce printemps pour Geisha ou le jeu du shamisen et pour Les chats du Louvre. Ce seront aussi des « fins » a priori. Avez-vous envisagé de travailler avec des artistes sur des séries plus longues ? Pouvez-vous nous annoncer d’autres nouveautés « japonaises » pour les mois à venir ?
Nous ferons paraître au second semestre 2018 les deux tomes de la série Le signe des rêves (Mujirushi) de Naoki URASAWA, l’auteur de 20’S Century Boys et Monster. Nous sommes fiers de l’accueillir. En octobre, nous publierons, et c’est une grande première à mon sens, une édition intégrale des Chats du Louvre de Taiyô MATSUMOTO mise en couleur à sa demande par une coloriste française, Isabelle Merlet, avec laquelle il a collaboré étroitement. Ce n’était pas simple, car c’était une première pour nous tous, mais le résultat en vaut la peine ! Un autre auteur japonais nous a dit oui pour prendre la suite de Naoki URASAWA mais c’est encore un peu tôt pour le dire !
Journal du Japon remercie Sébastien GNAEDIG pour sa disponibilité.
Le Louvre, ses gardiens et ses artistes par Jirô Taniguchi
Le héros solitaire (emblématique de plusieurs ouvrages de l’auteur) est à Paris. Il est fiévreux et voit des formes étranges dans sa chambre. Après un déjeuner (salade, sandwich et omelette, on pense au Gourmet solitaire), il décide de passer trois jours à visiter le Louvre. Il est pris de vertige après y avoir affronté la foule. Une femme (la Victoire de Samothrace) lui apparaît alors, pas dans un rêve, mais dans les « limbes oniriques » de son imagination, « une dimension bien plus proche de la réalité que du rêve ». C’est là que vivent les gardiens du Louvre. Toutes les œuvres sont en effet habitées par un esprit, elles protègent le lieu.
Chaque visite sera l’occasion de rencontrer des personnages disparus, d’avoir des conversations passionnantes et de voir les œuvres se créer.
Il aperçoit ainsi le peintre Corot dans sa forêt à dessins (la minutie des traits de Taniguchi retranscrivent l’essence de l’art de Corot de façon impressionnante), des experts japonais en art d’une autre époque, et même l’écrivain Sôseki.
Puis il se rend à Auvers-sur-Oise pour voir les paysages de Van Gogh : l’église, les champs, le jardin et la maison de Daubigny (le lecteur s’y plonge avec émerveillement)… et y croise le peintre en personne.
Le Louvre en 1939 prend vie sous ses yeux : il faut évacuer les toiles, certains risquent leur vie pour les mettre en sécurité avant l’arrivée des Allemands. Les faits historiques sont racontés et dessinés avec précision.
Un dernier chapitre plus intime vient clore ce chef d’œuvre de délicatesse et cet hommage à l’art occidental que Taniguchi appréciait particulièrement.
Ce qui vient vivre en nous, et ne nous quitte plus … ce sont toutes nos émotions … tous nos rêves.
Découvrez le Louvre et ses gardiens sous le crayon magique de Taniguchi …
Les chats du Louvre de Taiyô Matsumoto
Le lecteur pénètre dans le Louvre avec des touristes qui photographient la Joconde avec leur smartphone. Cécile, la jeune guide, s’attriste de ne pouvoir montrer que les œuvres les plus connues, au détriment de trésors oubliés. Marcel, le vieux gardien, fait son tour de ronde avec le jeune Patrick qui vient d’arriver. Il nourrit les chats très nombreux qui habitent sous les toits.
Mais à la nuit tombée, les chats s’humanisent. Chapitre après chapitre, le lecteur découvre cette famille originale. Il y a l’attachant Flocon, un petit chat blanc qui semble ne pas vieillir (il a six ans déjà) et arrive à s’enfuir à travers les tableaux. Barbe-Bleue l’aime beaucoup, il est toujours gentil avec tout le monde. Replet est bien gros, il aime bien manger. Dents-de-scie est le méchant de la bande (du moins en apparence), il veut tuer Flocon car celui-ci traîne trop souvent dans le musée et risque de les faire tous repérer. Il y a aussi le surprenant Bout-de-bois, un chat sans poil qui se trouve moche, que Flocon trouve beau. Sans oublier une étonnante araignée à lunettes avec laquelle Flocon aime bavarder.
Le lecteur apprend à connaître chacun des chats, leurs secrets (un secret par chapitre). Il en apprend aussi plus, page après page, sur Cécile, la guide, et Marcel, le vieux gardien qui a perdu sa sœur dans le musée il y a bien longtemps. Elle lui disait qu’elle entendait la voix des tableaux et pouvait se cacher dedans. Où est-elle maintenant ?
Le graphisme est surprenant, avec un crayonné très appuyé, et il faut quelques pages pour apprivoiser ces dessins qui peuvent parfois paraître effrayants, fuyants, mais qui collent parfaitement à l’univers des chats qui se faufilent partout et glissent comme des ombres.
Des êtres attachants que l’on quitte à regret à la fin du premier volume …
Mais le deuxième volume vient d’arriver ! Le lecteur retrouve avec plaisir toute la bande. Les humains et les chats se rapprochent, tentent de se comprendre et même de s’aider.
Et si Flocon découvrait le secret de la sœur de Marcel ? L’enquête pour retrouver son tableau préféré, dans lequel elle serait peut-être toujours, avance vite grâce à Cécile et à un restaurateur de tableau qui a été son professeur à l’université. Cet homme, sous son apparence bourrue, cache une grande sensibilité : il connaît les « passe-tableaux » et aurait aimé en être un.
Les personnages prennent encore plus de profondeur dans ce deuxième tome, et on n’a pas du tout envie de refermer cet ultime volume. Mais peut-être est-il possible de les retrouver tous en allant arpenter les galeries du Louvre et le jardin des Tuileries …
Devenir geisha, une vie racontée par Christian Perrissin et dessinée par Christian Durieux
Setsuko, la narratrice, n’a que sept ans lorsqu’elle quitte son village pour la grande ville. Avec son père, un ancien samouraï qui nourrit avec difficulté sa famille en vendant du bois, sa mère et sa petite sœur, ils empruntent la route du Tokaïdo, souvenir merveilleux pour la petite fille. Mais à la ville, le père, après avoir travaillé quelques mois au port, est renversé par un tramway. Il décide alors de placer sa fille dans une maison de geisha pour avoir une belle somme d’argent en échange.
Commence alors la vie difficile pour une jeune fille au nez trop gros, qui la fait ressembler à une renarde, d’où le nom de Kitsune que lui donne la femme qui dirige la maison (Okaa-san, comme la « mère » qu’elle devient pour elle). Elle découvre les autres pensionnaires, devient amie avec certaines, doit apprendre à se méfier d’autres. Elle découvre également tout un univers qui lui était totalement étranger.
Entre les mauvais repas, les tâches ménagères et l’école, son quotidien n’est pas très rose. Mais lorsqu’elle tombe malade et qu’elle doit garder la chambre, elle se met à jouer du shamisen. Aurait-elle trouvé sa vocation ?
Le livre permet de pénétrer au sein d’une Okiya, une maison de geisha. Celle qui est présentée est une maison de haut rang, avec quatre geisha et une yûjo (prostituée). On y voit une vieille femme qui se laque encore les dents en noir, une geisha qui a beaucoup de succès et a ainsi pu rembourser ses dettes (l’argent donné à la famille en échange de la jeune fille, puis l’argent des repas et de tous les autres frais quotidiens). On sent aussi le déchirement de Kistune qui doit vivre loin des siens, sans nouvelles, sans moyen de les voir.
Une immersion dans un univers parfois sombre, parfois joyeux, dessiné finement, sobrement, comme des estampes en noir et blanc qui donnent de la puissance à cette histoire touchante.
Et bonne nouvelle, pour cette histoire, le tome deux vient également de sortir ! Le lecteur y retrouve Setsuko-Kitsune qui a maintenant dix-huit ans. Okaa-san a la tuberculose et va finir ses jours à la montagne. Elle l’accompagne et croise dans l’auberge Shuji, un jeune étudiant en littérature française, qui est là avec une femme plus âgée. Une rencontre brève mais marquante.
Le quotidien reprend et la jeune femme devient une très grande joueuse de shamisen. Elle trouve un riche protecteur mais pense toujours à Shuji.
Le Japon se modernise, la place des geisha est remise en question. Et quand survient le grand tremblement de terre de 1923, les morts et les destructions bouleversent encore davantage cet univers fragile. Comment Kitsune la renarde trouvera-t-elle sa place dans ce monde où rien ne dure ?
C’est une fresque du vingtième siècle que le lecteur découvre en accompagnant cette musicienne de talent, cette femme forte qui tentera toujours de rebondir, guider par la musique et la beauté d’une rencontre.
N’hésitez pas à parcourir le riche catalogue sur le site de l’éditeur.
De nombreux trésors sont à découvrir dans cette très belle maison d’édition !