Interview : Art House fait son cinéma
Lorsqu’on apprend qu’une nouvelle société de distribution se lance dans l’Hexagone pour promouvoir un cinéma japonais inspiré et inspirant, il ne nous en faut pas plus pour partir à la rencontre des personnes derrière ce projet. Et c’est Eric Le Bot qui, loin d’être novice en la matière, est à l’initiative de Art House, toute nouvelle société de distribution de films asiatiques. Secondé par une équipe motivée et passionnée, il entend porter haut les couleurs du cinéma originaire du pays du Soleil Levant. Rencontre.
Journal du Japon : Bonjour Eric et merci de répondre à nos questions. Pouvez-vous revenir sur la genèse d’Art House ? Comment êtes-vous parvenu à donner naissance à ce projet portant sur le cinéma asiatique, et particulièrement japonais ?
Eric le Bot : Quand j’ai découvert les œuvres en plein air de l’île de Naoshima au Japon, j’ai trouvé que c’était formidable que l’art s’intègre aussi bien dans le paysage extérieur, jusqu’à ce « Arthouse project » où des maisons y sont devenues des œuvres d’art. Il n’y en avait que six quand j’ai visité l’île et la 7e, fabuleuse, était en construction. Cela m’a fait penser aux films d’auteur : chaque œuvre est comme une maison en construction qui s’intègre à notre paysage urbain, avec son style propre, ses fondations et son originalité ; puis avec son histoire. Ma société est comme cette petite île japonaise qui accueille des maisons une à une, démarrant sur un territoire restreint, encore à construire et à explorer.
Pouvez-vous nous dire quelques mots sur votre parcours pour nous éclairer quant à votre sensibilité au cinéma japonais ?
J’ai vécu 6 mois sur l’archipel à mes 20 ans et c’est là que j’ai découvert le cinéma. À Tokyo, il était bien plus aisé qu’en France de voir tout Rohmer ou tout Chabrol dans le vidéo club de quartier ! A travers Version Originale / Condor, j’avais déjà distribué les films de Kiyoshi KUROSAWA dont Shokuzai, Koji FUKUDA avec Harmonium ou Le cœur régulier de Vanja d’Alcantara l’adaptation du roman éponyme d’Olivier Adam où le personnage se rend… sur une île japonaise ! Ma société Art House est le prolongement de cette sensibilité.
Qu’est-ce qui différencie Art House des autres distributeurs présents sur la scène nationale ? Quelle est votre stratégie ?
En ayant des films qui ont tous attrait au Japon, je peux informer non seulement les férus de cinéma japonais mais je cherche aussi à attirer les amoureux du Japon vers le cinéma d’auteur. Afin qu’ils retrouvent, comme dans Senses, le plaisir de connaître plus finement le pays mais que certains découvrent aussi un cinéma différent de leurs habitudes, plus profond que le cinéma commercial. Je pense, par exemple, que les fans d’anime sont mûrs pour découvrir des films « live ». C’est avec l’appui d’Hanabi que l’on construit cela. Les spectateurs peuvent s’inscrire à une newsletter sur www.hanabi.community pour suivre l’actualité du cinéma japonais en France mais aussi son actualité culturelle, à l’heure où démarre Japonismes 2018, une myriade d’événements culturels en France. Nous voulons être avec nos sorties de films, l’événement pour l’ensemble des Français et non uniquement les parisiens, car Japonismes est malheureusement avant tout concentré sur Paris.
On peut imaginer que le choix de promouvoir un cinéma uniquement asiatique d’auteur peut être compliqué, s’agissant d’un marché de niche, tourné principalement vers un public averti.
Non au contraire le Japon – et la Corée aussi depuis peu – sont des pays qui fascinent les Français, bien plus que d’autres territoires, par leurs grandes spécificités autant que par leur culture pop. Quand nous sortons un film nous nous adressons non seulement aux cinéphiles, mais nous allons aussi chercher les amateurs du Japon, et cela ne peut que faire croître le nombre d’entrées à la fin. Tous les films japonais que j’ai sorti ont bien marché.
Depuis le 2 mai, les spectateurs français peuvent découvrir dans leurs salles obscures « la série cinéma » Senses. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur cette œuvre particulière ?
Senses est le meilleur film que j’ai vu ces 3 dernières années. Mais il a la spécificité de faire 5 heures, c’était compliqué à proposer en salles. Avec le producteur Satoshi TAKATA nous avons convaincu le réalisateur Ryusuke HAMAGUCHI de présenter le film sous cette forme en France. Il en est très heureux aujourd’hui. C’est un film sur les ressentis, les émotions, qui les explore puissamment : ce nouveau titre / principe était selon moi plus adapté que Happy Hour (le nom du film orginal, NDLR) qui évoque autre chose en France…
Pensez-vous que le parti pris artistique du découpage en épisodes sera compris par les amateurs du projet originel, même si on peut comprendre que la longueur du film ne permettait pas une distribution en l’état ?
Dès le 5 mai, nous avons laissé la possibilité de voir le film dans son intégralité dans 15 villes de France. Plus de 1000 personnes se sont déplacés pour ces soirées. A partir du 16 mai, nous faisons en sorte que les différents films soient proposés les uns à la suite des autres dans les 50 cinémas pour ceux qui voudraient enchaîner les 5 heures, comme dans la version originelle. Le film, par l’immersion qu’il propose et l’envie de retrouver les protagonistes avec qui on développe une forte empathie, a plus de similitudes avec la série qu’on le conçoit.
En tant que distributeur, je pense avoir redonné une identité pertinente au film et n’avoir en rien dénaturé l’expérience qu’il propose : c’est au spectateur de décider comment il a envie de partager le quotidien de ces 4 formidables amies japonaises. Et, au regard des premiers résultats, nous sommes en passe de démontrer que les spectateurs sont favorables à un rendez-vous régulier en salles, que la « série cinéma » est possible et qu’ils aiment découvrir le film de HAMAGUCHI ainsi !
Le festival de Cannes vient de se terminer. Vous avez présenté au public cannois le dernier film du réalisateur japonais Ryusuke HAMAGUCHI : encore une belle démonstration de la présence du cinéma japonais en France. Comment avez-vous vécu la montée des marches pour défendre ce film ?
C’est avec le jeune réalisateur de Senses que nous avons monté les marches : il n’a que 40 ans et représente vraiment la nouvelle génération. Asako est assez différent de Senses dans le style de mise en scène mais il a les mêmes thématiques : la difficulté pour les femmes japonaises à choisir la vie amoureuse qu’elles veulent. J’espère que le film sera aussi bien reçu par les festivaliers que Senses, qui est devenu le chouchou de la presse et dont beaucoup ont parlé sur la Croisette depuis une semaine.
Qu’est-ce qu’on peut vous souhaiter pour l’avenir ?
Que la curiosité des spectateurs à l’égard du Japon perdure. C’est une culture tellement riche que l’on n’en a jamais fait le tour et il y a toujours à découvrir. Pendant longtemps les Français étaient dans la caricature, la plupart commence maintenant à ne plus confondre le Japon et les autres pays asiatiques !
Pour son arrivée sur la scène cinématographique, Art House frappe fort avec une sélection en compétition au festival de Cannes pour le très beau film « Asako I & II » de Ryusuke HAMAGUCHI, actuellement dans toutes les bonnes salles de cinéma, et qui aura régalé la croisette. Un premier film inattendu, notamment sur sa forme, qui aura su apporter un vent de fraîcheur sur la sélection cannoise.
Le cinéma japonais aura d’ailleurs su imprimer son style cette année avec la consécration du réalisateur Kore-Eda et son Affaire de famille qui a remporté la palme d’or de la 71e édition du festival de Cannes.
Et Eric Le Bot de conclure : « Je suis heureux que, pendant qu’une nouvelle génération de cinéastes émerge en France, l’ancienne est reconnue au plus haut niveau.»
Merci à Eric le Bot d’avoir pris le temps de répondre à nos questions. Retrouvez tout l’univers de Art House ici
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