Carton plein pour Masaaki YUASA

Entre son sacre lors de l’édition 2017 du Festival d’Annecy pour Lou et l’île aux sirènes et la distribution mondiale de sa série Devilman Crybaby par Netflix en janvier, ces derniers mois auront vu la carrière de Masaaki YUASA prendre une inertie suffisante à sa mise en orbite au niveau international. En effet, l’animateur de génie, déjà reconnu par ses pairs et adulé par les amateurs éclairés depuis son premier long métrage Mind Game, a enfin vu son talent révélé au grand public mondial.

Cerise sur le gâteau en ce printemps 2018 : All The Anime édite en DVD et Blu-Ray les 3 longs métrages réalisés par YUASA – Mind Game, The Night is Short, walk on girl et Lou et l’île aux Sirènes. Une occasion en or de plonger à corps perdu dans une œuvre d’une rare originalité et de revenir sur trois étapes marquantes de sa carrière.

©2004 MIND GAME Project

©2004 MIND GAME Project

Mind Game : « le Citizen Kane de l’animation »

©2004 MIND GAME Project

©2004 MIND GAME Project

« Le Citizen KANE de l’animation ». Un tel jugement pourrait paraître présomptueux s’il ne venait pas d’un animateur aussi révéré que Bill Plympton. Il permet cependant de se faire une idée de l’aura culte acquise par le premier long métrage réalisé par Masaaki YUASA en 2004.

Mind Game a beau être un premier film, Il ne s’agit pas pour autant de l’œuvre d’un débutant. YUASA avait en effet commencé à travailler comme intervalliste à la fin des années 80 sur des séries comme Doraemon ou Chibi Maruko-chan, montant ensuite petit à petit les échelons en tant qu’animateur clé, puis directeur de l’animation, storyboarder, designer etc. en particulier sur les films de Crayon Shin-chan dans lesquels il avait pu laisser poindre sa folie visuelle.

©2004 MIND GAME Project

©2004 MIND GAME Project

Produit par le prestigieux studio 4°C, Mind Game marque l’émancipation de son réalisateur. Bien qu’il s’agisse d’une adaptation (d’un manga de Robin NISHI), YUASA, signant à la fois le scénario et la réalisation, prend réellement le contrôle et signe une œuvre folle, originale et totalement libre, faisant siennes les préoccupations du mangaka.

Mind Game s’intéresse à Nishi, jeune étudiant et mangaka en devenir, qui retrouve par hasard Myon, son amour de jeunesse. De fil en aiguille, il se retrouve à passer la soirée dans le restaurant familial de Myon et sa sœur, en compagnie de leur père libidineux et surtout, du fiancé de Myon. Absolument incapable d’avouer clairement ses sentiments, Nishi tache de faire bonne figure, jusqu’à l’irruption de deux yakuzas venus récupérer la dette du père des jeunes femmes. Totalement prostré par la peur, Nishi se voit abattu de la manière la plus humiliante qui soit. Transporté dans l’au-delà où il doit faire face à un Dieu qui ne fait que peu de cas du sort de ses créatures, il réalise alors la vacuité de son existence et décide de revenir sur terre pour cette fois vivre sa vie pleinement et sans regret. S’ensuit une course effrénée en compagnie de Myon et sa sœur Yan pour échapper aux yakuzas …

©2004 MIND GAME Project

Mind Game est de la race de ses films d’animation qui vous transportent dans un paradis extatique, comme Red Line ou Paprika. Des films expressionnistes et psychédéliques qui font ressentir au spectateur de folles sensations comme rarement, en utilisant toutes les possibilités offertes par le médium anime. A la fin, on en ressort avec un sentiment de joie et de plénitude, comme au sortir d’un grand huit métaphysique.

Au delà d’un film ultra dynamique et plein d’humour, on se retrouve avec une œuvre bien plus profonde qu’une suite de gags débridés, et qui retranscrit avec une acuité rare les doutes et les aspirations qui habitent des personnages auxquels on finit bien vite par s’identifier : de la difficulté d’exprimer ses désirs et ses émotions à la peur de ne jamais s’être réalisé pleinement au terme de son existence. A ce titre, les 10 dernières minutes du film, en forme de palindrome, semble encapsuler la vie elle-même, dans tout ce qu’elle a de grand et de dérisoire.

©2004 MIND GAME Project

©2004 MIND GAME Project

Pour arriver à ce résultat, Masaaki YUASA ne se refuse rien, alternant dessin animé classique, collage de photos et rotoscopie, passant d’un style de dessin à l’autre, dans le but de donner un aspect brouillon et spontané à un film en réalité extrêmement travaillé et abouti.

Au final, la critique ne s’y est pas trompée et le film a fait carton plein au festival Fantasia 2005 (meilleur film, meilleur réalisateur, meilleur scénario et prix spécial de l’accomplissement visuel), installant le réalisateur au panthéon des artistes de l’animation à suivre, à défaut de le faire connaître auprès du grand public. En effet, si le film a connu un beau succès au Japon, il ne fut distribué que de manière confidentielle en occident (la France fut néanmoins gratifiée d’une belle édition dvd par Potemkine).

 

 

The Night Is Short, Walk on Girl : Retiens la nuit !

©Tomihiko Morimi,KADOKAWA/NAKAME COMMITTEE

©Tomihiko Morimi,KADOKAWA/NAKAME COMMITTEE

On ne peut aborder The Night is Short, Walk on Girl sans évoquer d’abord la série Tatami Galaxy. Sortie en 2010, cette série de 11 épisodes est adaptée d’une light novel de Tomihiko MORIMI et produite par Madhouse (elle est d’ailleurs déjà disponible en bluray et dvd chez nous).

Quand Watashi (littéralement « Je », la série étant racontée à la première personne en voix off par le personnage principal) entre à l’Université de Tokyo, il s’imagine sur le point de faire enfin l’expérience d’une « vie en rose », socialement enrichissante et surtout égayée par une romance avec une douce fille aux cheveux noirs. C’est dans ce but qu’il s’inscrit au club de tennis de la fac. Mais il va vite déchanter. Si seulement il avait choisi d’entrer dans un autre club, tout aurait pu être différent ! Et si plus simplement il refusait de voir le bonheur qui flotte devant ses yeux ?

©Tomihiko Morimi,KADOKAWA/NAKAME COMMITTEE

Tatami Galaxy fonctionne sur le motif de la répétition et de la variation jusqu’à épuisement, chaque épisode prenant place dans un univers parallèle où Watashi a choisi un club différent. La série trouve alors sa consécration dans un épisode final libératoire qui, comme les dernières minutes de Mind Game, nous laisse avec un sentiment de félicité et d’accomplissement, prêt à quitter le cadre douillet et rassurant de nos 6 tatamis et demi pour aller affronter le monde et ses infinies possibilités !

Cette fois, Masaaki YUASA donne vie au design caractéristique de Yusuke NAKAMURA, qui avait déjà illustré les couvertures de la trilogie de roman dont est issue la série. On reconnaîtra aisément le style du monsieur, auteur des pochettes du groupe Asian Kung Fu Generation qui signe d’ailleurs ici un générique très accrocheur. Le réalisateur adapte donc sa réalisation libre et dynamique aux dessins de l’illustrateur pour créer une série à nulle autre pareil, simple, très colorée (grands aplats de couleurs franches) et dynamique, avec encore une fois d’audacieuses ruptures de style et l’utilisation occasionnelle de photographie pour les décors.

©Tomihiko Morimi,KADOKAWA/NAKAME COMMITTEE

©Tomihiko Morimi,KADOKAWA/NAKAME COMMITTEE

La série a connu un beau succès public comme critique au Japon et a constitué une excellente expérience pour YUASA et son équipe. D’où l’envie de se réunir à nouveau pour une adaptation cinématographique d’un autre roman de la trilogie de MORIMI. Cette envie mettra plus de 6 ans pour finalement se concrétiser à travers The Night is Short, Walk on Girl.

Le film met en scène deux personnages principaux relativement similaires de ceux de Tatami Galaxy, les deux œuvres partageant par ailleurs le même cadre (Kyoto et son université) et certains personnages secondaires.

On retrouve à nouveau l’ambiance estudiantine de l’ancienne capitale impériale de Tatami Galaxy mais en plus léger. Le film est traversé par le doux esprit festif des nuits kyotoïtes et l’histoire s’apparente à un chassé-croisé d’un romantisme échevelé. Le film se permet même de glisser par moment vers la comédie musicale.

©Tomihiko Morimi,KADOKAWA/NAKAME COMMITTEE

©Tomihiko Morimi,KADOKAWA/NAKAME COMMITTEE

Cette fois, l’histoire se passe lors d’une nuit interminable au cours de laquelle Sempai espère enfin forcer le destin entre lui et AKASHI-san, la jeune fille aux cheveux noirs, encore naïve mais pleine de caractère, avide de participer à la vie sociale des adultes et de traverser ces nuits de fêtes en buvant de tout son saoul. La nuit sera longue, pleine de rencontre et loin d’être de tout repos pour Sempai. Parviendra-t-il à trouver l’amour ?

The Night is Short, Walk on Girl s’attache ainsi à décrire la vie dans ses différentes étapes comme une période de liberté et d’infinies possibilités que les auteurs encouragent le spectateur à embrasser à corps perdu. Le film se présente ainsi comme une invitation à s’enivrer (et à parcourir les bouquinistes !), un éloge du bouillonnement social, ainsi qu’une ode à Kyoto et à sa vie nocturne, une nuit sans fin dans laquelle se succèdent les quatre saisons.

Pour ceux qui ont vu Tatami Galaxy, The Night is Short constituera une délicieuse coda. Pour les autres, il s’agira d’une ravissante bulle de champagne, un feel-good movie coloré aux personnages attachants et au visuel original et stylisé, une friandise en forme d’invitation à la fête.

 

 

Lou et l’Île aux Sirènes : faites le mur !

©2017 Lu Film partners

©2017 Lu Film partners

Dans différentes interviews depuis la sortie de Mind Game, YUASA a répété qu’il voulait créer quelque chose qui puisse être reçu par un plus large public. Lou et l’île aux sirènes est son premier long métrage totalement original, non adapté d’une œuvre pré-existante. Il y met ainsi en application cette volonté de simplifier son style, de faire un film plus abordable et plus proche des canons classiques. Pour autant, on y reconnaît indubitablement la patte de son auteur …

Kai est un collégien qui, depuis la séparation de ses parents, vit avec son père dans la petite ville de pêcheurs de Hinashi. Peu sociable, il tue le temps en faisant de la musique. C’est grâce à cela qu’il va se créer ses premiers amis et surtout, se lier avec Lou, une sirène attirée par sa musique. Cependant, ces créatures mythiques liées à la fondation du village sont jugées malfaisantes par les rares anciens qui croient en leur existence.Voyant le secret de Lou révélé, Kai va devoir faire face à ceux qui veulent en tirer profit, comme à ceux qui voient en elle et son peuple une menace.

©2017 Lu Film partners

©2017 Lu Film partners

Pour son premier scénario original de long métrage (au format série, Kaiba et Kemonozume était déjà des créations personnelles), Masaaki YUASA propose donc une histoire apparemment plus simple pour un public plus jeune, proche de la fable et du récit initiatique « spielbergien », avec un adolescent comme personnage principal. Par ailleurs, on notera qu’ici, les sirènes ont des attributs similaires aux vampires (elles ont immortelles mais craignent le soleil, peuvent changer ceux qu’elles mordent …). En fait, originellement, Lou et son peuple devait être des loup-garous, mais décision a été prise d’en faire des êtres moins menaçants, auxquels les enfants pourraient s’attacher plus aisément. Dans certaines scènes (la ballade en ville dans la nuit), Lou évoque un peu E.T., déguisée dans un petit ciré jaune et émerveillée par les lumières de la ville.

©2017 Lu Film partners

©2017 Lu Film partners

Visuellement aussi, au premier abord, le dessin semble moins foisonnant que dans les précédentes œuvres du réalisateur. On est sur un ressenti proche de la ligne claire de Hergé : des personnages dessinés simplement avec traits francs et des aplats de couleurs. Finalement, ce style s’adapte parfaitement à la vivacité de mouvement des personnages, apanage habituel de Masaaki, qu’il fluidifie. La réalisation reste dynamique, même si plus proche du cinéma classique, et on y retrouve encore les ruptures de style visuelles dont il est coutumier. Ces dernières sont cette fois clairement utilisées pour mettre en valeur des moments précis de nature différente (flash-back, découverte des fonds marins, pensées des personnages …).

©2017 Lu Film partners

©2017 Lu Film partners

Sous cette apparente simplicité, le film est en fait un bijou d’animation. On le perçoit dès la seconde scène avec quelque chose d’aussi simple que ce plan ou Kai décortique son poisson grillé, mais aussi évidemment avec l’animation de l’eau, lors des scènes de danse ou en voyant les personnages évoluer dans les décors.

Cette simplicité rend aussi les attitudes physiques des personnages extrêmement parlantes et expressives. Au delà de cette incarnation physique, tous, y compris les personnages secondaires, sont très bien écrits et caractérisés (on pense notamment au grand-père de Kai, très émouvant). Lou en particulier, est immédiatement attachante et conquiert le cœur des petits comme des grands.

©2017 Lu Film partners

©2017 Lu Film partners

Les décors non plus ne sont pas en reste : un soin extrême y a été apporté – le réalisateur s’est inspiré des villes côtières de Nagoya et Kurashiki – et rend la petite ville fictive de Hinashi (littéralement « sans soleil », car située à l’ombre du gigantesque « piton aux sirènes ») particulièrement vivante.

Lou et l’île aux sirènes est donc une formidable réussite. C’est à la fois un dessin animé grand public, une fable qui séduira tous les ages, un film enthousiasmant à l’énergie communicative et en même temps une véritable œuvre artistique originale, un trésor de créativité et d’animation fluide. On comprend aisément pourquoi le film a tapé dans l’œil du jury du Festival d’Annecy ! Masaaki YUASA parvient ainsi à opérer un grand écart improbable digne d’un alchimiste qu’il est – conserver sa singularité tout en touchant différents publics -. Une démarche qu’on peut mettre en parallèle à ce qu’il a réalisé avec Devilman Crybaby.

©2017 Lu Film partners

En cela, il n’est pas incongru de le considérer (si vain que puisse être cette idée) comme l’un des rare à même de combler le vide laissé par Satoshi KON, devant Mamoru HOSODA ou Makoto SHINKAI, pourtant plus souvent présents dans les médias. En effet, si le style de YUASA et de KON est fondamentalement différent, chacun a empoigné les possibilités du médium animé (chez le réalisateur de Perfect Blue via le montage et chez l’auteur de Lou via le mouvement libre et les ruptures de style) pour livrer des œuvres thématiquement et visuellement riches, sans pour autant oublier le public. D’ailleurs, Satoshi KON lui-même avait fait part de son admiration pour Mind Game et l’histoire de Lou partage plusieurs points communs avec le manga de KON Le Pacte de La Mer.

 

 

On l’aura bien compris, c’est un plaisir de profiter de cette triple sortie Blu-ray proposée par All The Anime, d’autant plus que les trois films démontrent la plasticité du style YUASA, qui parvient à intégrer avec succès l’identité visuelle des différents artistes et designers avec lesquels il travaille, tout en conservant une identité qui n’appartient qu’à lui.

Trois films portés par une même ligne directrice tant thématique que visuelle : vivre sa vie pleinement et librement sans avoir peur de se connecter au monde. En somme, le principe que Masaaki YUASA développe lui-même à travers son Œuvre et son Animation.

On est donc très impatient de voir ce que le réalisateur et son studio, Science Saru, nous réservent pour la suite. On espère aussi que ces sorties connaîtront le succès qu’elles méritent et encourageront les éditeurs à distribuer chez nous Kaiba et Kemonozume, ses deux séries originales encore inédites ici. On signalera enfin que la fantastique série Ping Pong, qu’il a réalisée et adaptée du manga de Taiyo MATSUMOTO en 2014, est depuis quelques mois à découvrir en streaming gratuit sur le site de France Télévision !

© Taiyou Matsumoto, Shogakukan / PingPong The Animation Committee

Mind Game, The Night is Short, Walk on Girl et Lou et l’île aux Sirènes sont distribués par All The Anime.

4 réponses

  1. Mitsugoro dit :

    Pour l’anecdote, Yuasa Masaaki a également réalisé un épisode de la fameuse série Adventure Time. Ayant pour titre « Food Chain », il offre au spectateur un bon aperçu de l’univers visuel du réalisateur en plus d’un remix stupéfiant d’un célèbre morceau de Mozart !

  1. 12 décembre 2018

    […] HOSODA ? Alors la réponse que vous cherchez c’est Masaaki YUASA, et ce coffret regroupant les 3 longs métrages cinéma du réalisateur, que vous avez peut être découvert sur Netflix avec Devilman Crybaby. Au programme : Mind game, […]

  2. 4 avril 2020

    […] aux réalités de l’industrie de l’animation. Après avoir réalisé en 2004 un Mind Game en forme de déclaration d’intention, encensé par la critique mais pas toujours bien […]

  3. 29 mai 2020

    […] live en 2002 avant d’être à nouveau adapté en une série animée de 11 épisodes en 2014 par Masaaki YUASA. On aime ou on n’aime pas, le graphisme pouvant en rebuter certains, mais l’animé reste […]

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Vous aimerez aussi...

Verified by MonsterInsights