L’épopée japonaise, épisode 5: le Bakufu de Muromachi et les prémices d’une guerre totale
Ainsi, comme nous l’avons vu dans l’épisode précédent, après de nouvelles guerres et une courte restauration impériale, le Japon est à nouveau aux mains des clans guerriers et passe, cette fois-ci, sous le règne du Clan Ashikaga. Ce clan établit le siège de son pouvoir dans le quartier de Muromachi à Kyôto donnant par là-même le nom de Muromachi à cette nouvelle ère qui s’étend de 1336 à 1573. Toutefois dès 1477, les Ashikaga n’exercent plus le pouvoir suite à la guerre d’Ônin et l’entrée dans la période Sengoku.
Montée en puissance du clan Ashikaga
Tout comme l’ancien shogunat l’avait fait, les Ashikaga redistribuent les terres à leurs vassaux les plus loyaux afin qu’ils administrent les différentes régions du Japon. Du temps du Bakufu de Muromachi (NDLR: gouvernement féodal du Shogun), ces Shugo (NDLR : gouverneur militaire) jouissent de nombreux pouvoirs qui leur permettent de gérer librement le territoire qui leur est confié. Ainsi, ils ont, par exemple, la possibilité de confisquer des terres qui jusqu’à présent, étaient aussi sous le contrôle de nobles, de groupes religieux ou de militaires locaux.
Ainsi les Shugo durant l’époque de Muromachi avaient la possibilité de prendre ces terres au nom du Shôgun suite à des actions judiciaires ou militaires, ce qui était l’occasion pour eux de renforcer leur puissance ou de récompenser leurs propres vassaux et asseoir leur domination sur la région qu’ils étaient chargés d’administrer. Au fil des ans, les Shugo ont pu former de grandes puissances militaires et en profiter pour se rebeller face à l’autorité shogunale. C’est dans ce genre de situations qu’ils prennent alors le titre de Shugo Daimyô, qui sera ensuite raccourci en Daimyô et désignera les grands seigneurs de guerre. Bien entendu, cela n’était pas sans déplaire aux Shôgun qui avaient alors pour habitude de réassigner les Shugo les plus puissants dans d’autres régions afin qu’ils perdent en influence.
Ce genre de manœuvres étaient courantes au début de l’ère Muromachi mais très vite les Ashikaga se sont désintéressés des affaires du pays ce qui a permis la montée en puissance de plusieurs clans et de plusieurs Daimyô. Toutefois l’influence des Ashikaga ne s’étendait pas sur le Japon tout entier, les régions les plus éloignées de Kyôto, comme le Kyûshû ou le Kantô, n’étaient pas totalement sous la coupe du nouveau gouvernement. Malgré de nombreuses tentatives d’imposer le pouvoir shogunal dans ces régions, en particulier dans le Kyûshû qui permettait le commerce avec la Chine et la Corée, certaines régions lointaines restèrent irréductibles.
Un épanouissement artistique
On l’a vu durant l’époque de Kamakura, le Japon se détache peu à peu des influences de la Chine et se met à créer une culture qui lui est plus proche. C’est ainsi qu’on voit se développer au début de la période de Muromachi deux nouvelles formes de théâtre : le Kyôgen et le Nô, équivalents japonais de nos comédies et tragédies. L’origine de ces deux formes de théâtre vient du Sarugaku (NDLR : théâtre populaire ressemblant aux arts du cirque) qui trouve ses origines en Chine avant d’être importé au Japon au VIIIe siècle. Cette pratique théâtrale n’est alors pas codifiée et les pièces sont souvent improvisées et penchaient plus vers le genre comique.
Ce genre évolua en deux branches distinctes : le Kyôgen qui garde l’aspect comique, est plus proche du peuple et se fait en langue vulgaire, et le nô qui se tourne vers le tragique, est plus raffiné. le Nö utilise un langage raffiné et vient notamment de la troupe Nô-Sarugaku qui s’est fait remarquer par le Shogun ASHIKAGA Yoshimitsu qui la prend sous son aile. Bien qu’en apparence séparées, ces deux pratiques peuvent se confondre, le Kyôgen servant souvent d’intermède au cœur d’une pièce de Nô. Ces drames alliant danse, théâtre et masques n’en sont toutefois qu’à leurs débuts et devront attendre plusieurs siècles pendant lesquels ils pourront s’épanouir sous la protections des Shôgun et des Daimyô avant d’être finalement codifiés au XVIIe siècle.
Des pavillons d’or et d’argent
Les Shôgun Ashikaga se sont donc largement penchés sur la culture car en plus de devenir les mécènes de troupes de théâtre, ils ont aussi commandé la construction de deux prestigieux édifices, le pavillon d’argent (Ginkaku-ji) et le pavillon d’or (Kinkaku-ji), ce dernier étant aujourd’hui inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO.
ASHIKAGA Yoshimitsu, le troisième shogun de l’époque Muromachi construit le pavillon d’or après s’être retiré du pouvoir pour y prendre sa retraite en 1397, il devient ensuite un temple du bouddhisme zen après sa mort. Le temple du pavillon d’or et son jardin actuel ne sont toutefois pas les originaux, le site ayant été détruit par deux fois durant la guerre d’Ônin au XVe siècle et en 1950. Le bâtiment actuel est une reproduction datant de 1955. Le pavillon d’argent quant à lui est construit par ASHIKAGA Yoshimasa, petit-fils de Yoshimitsu, qui espérait dépasser la beauté de son prédécesseur en recouvrant complètement le temple de feuilles d’argent. Ce dernier ne fut toutefois jamais complètement terminé à cause de la guerre d’Ônin, et est aujourd’hui ironiquement connu pour sa simplicité comparée au temple d’or.
La guerre d’Ônin, l’ascension des Daimyô
Ainsi après avoir tenté pendant des années d’asseoir leur pouvoir, les Shôgun Ashikaga se sont finalement désintéressés des luttes de pouvoir et se sont concentrés sur le développement de la culture. Les Shugo Daimyô ont alors profité de l’occasion pour prendre le pouvoir. Deux familles émergent : le clan Yamana et le clan Hosokawa. L’occasion de prendre le pouvoir se déclencha alors que Ashikaga Yoshimasa, se pensant incapable d’avoir un enfant, nomme son frère Yoshimi en tant qu’héritier pour le titre de Shôgun. Malheureusement le Shôgun finit par avoir un fils, lequel est immédiatement nommé héritier. Les deux clans vont donc profiter de l’occasion pour chacun soutenir l’un des prétendants au poste de Shôgun, entraînant le Japon dans une nouvelle guerre.
Toutefois aucun des deux camps n’ose attaquer et risquer d’être considéré comme des rebelles et perdre en légitimité. Finalement, un incendie se déclare au manoir des Hosokawa. L’acte est bien entendu imputé au clan Yamana et permet le début des hostilités en 1467. La guerre fait alors rage au cœur de la capitale qui est réduite en ruine suite aux combats, et le jardin du pavillon d’or est même détruit. Le conflit fait rage durant dix ans et aucun camp ne prend l’avantage. Le pays est complètement déstabilisé face à cette guerre auquel le Shôgun ne prête aucune attention, les différents Daimyô y voient là une occasion de gagner en puissance et le Japon est plongé dans une guerre totale entre les différents clans.
Ainsi nous avons pu voir que le shogunat de Muromachi est une époque de grand épanouissement culturel pour le Japon mais que le désintérêt des Shôgun pour les affaires d’état finit par plonger le pays dans une guerre totale qui ouvre l’ère Sengoku ou période des royaumes combattants.
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