The Promised Neverland : un classique en puissance ?
Véritable phénomène au Japon, The Promised Neverland (Yakusoku no Neverland) débarque en France dans une dizaine de jours avec un flambant premier tome, publié chez Kazé Manga. Une arrivée tout sauf surprenante tant le titre, malgré sa jeune existence, dispose de solides atouts à faire valoir : une publication désormais bien ancrée au Weekly Shonen Jump aux côtés de « monuments » tels que One Piece ou HxH, deux nominations consécutives au prix Manga Taishō (2017 et 2018) et déjà plus de deux millions d’albums vendus sur l’Archipel. Ses auteurs, Posuka DEMIZU (dessins) et Kaiu SHIRAI (scénario), pour qui The Promised Neverland représente la première oeuvre notable, font des merveilles à l’occasion de leur première collaboration ensemble.
Les lectrices et lecteurs français se laisseront-ils eux aussi séduire par les aventures d’Emma et ses camarades du Grace Field House ? Si l’engouement suscité par le titre au Japon ne peut suffire à garantir son succès dans l’Hexagone, une chose est sûre, sa qualité même peut lui permettre de se placer aisément comme un incontournable. Analyse.
Il était une fois au Grace Field House…
Depuis sa plus tendre enfance, Emma, onze ans, mène une existence paisible à l’orphelinat du Grace Field House. Comptant parmi les aînés du groupe avec ses camarades Ray et Norman, elle prend soin des plus jeunes pour épauler la gouvernante des lieux, considérée par tous comme la « maman ». Comme tous ses camarades, Emma attend avec impatience le jour de son adoption par une famille. Il faut dire que l’heureux événement, qui intervient nécessairement avant que l’enfant atteigne l’âge de douze ans, représente également le passage officiel vers « l’extérieur ». Car à vrai dire, les enfants ne savent pas grand chose de ce monde et ne peuvent que l’imaginer en s’appuyant notamment sur les nombreux ouvrages à leur disposition.
En attendant, les résidents du Grace Field House ont la belle vie et guère le temps de s’ennuyer. Le domaine est vaste, les repas sont copieux et les bibliothèques bien fournies. En retour, rien de bien méchant, ils doivent seulement répondre à une série journalière de tests et ne jamais outrepasser les limites de l’espace autorisé. Un orphelinat presque comme les autres en somme, si l’on omet bien sûr l’étrange numéro tatoué sur le cou de chaque enfant.
Cette prospère réalité s’effondre quand Emma accompagnée de Norman découvrent, par hasard, les dessous de ce qu’ils ont toujours appelé « maison ». Nos jeunes héros ne tergiverseront que quelques instants avant de se rendre à l’évidence : il leur faut fuir ces lieux, au plus vite, sous peine de connaître un bien triste sort…
Ainsi les auteurs, Posuka DEMIZU et Kaio SHIRAI, annoncent-ils rapidement – mais avec une absolue maitrise – la couleur de leur manga. Leur premier chapitre, aux deux ambiances, s’avère diablement efficace. À travers les premières pages, Emma, narratrice pour l’occasion, expose son bonheur. Une belle introduction qui permet de présenter les différents protagonistes et de vite s’imprégner de cette atmosphère légère qui semble avoir toujours régné au sein du Grace Field House. Puis vient l’effroi, avec un passage glaçant, détruisant en quelques instants les fondations du monde merveilleux d’Emma, celui même qu’elle présentait quelques instants en arrière. Ce climat pesant, instauré à l’issue du terrible incident, ne quittera plus le manga. Ce choix apparaît fort approprié au regard de la gravité de la situation dans laquelle se retrouvent les jeunes personnages. L’heure n’est plus à la fête.
Ce chapitre introductif permet à ses auteurs d’ouvrir leur histoire à une multitude de possibilités. Emma découvre que son monde n’est pas réel sans pour autant en apprendre davantage. Outre cette rapide et cruciale révélation, les artistes ne divulguent que peu d’informations mais à doses suffisantes pour intriguer, à commencer par le titre de l’oeuvre, qui interpelle.
Un casting impeccable
Du côté des héros, il y a donc en premier plan la jeune Emma, l’éternelle optimiste, aussi forte que brillante. À ses côtés, évoluent ses deux camarades, Norman, l’archétype même du fils idéal, et le ténébreux Ray, souvent seul et un brin taciturne, mais aussi doué que les deux autres. Le trio fonctionne très bien ensemble. Les échanges qui s’opèrent entre eux viennent toujours enrichir le récit. Chacun, avec ses compétences qui lui sont propres, permet au groupe d’avancer. La façon dont leurs interactions sont mises en scène permet de distinguer facilement l’apport de chacun et par conséquent, de les identifier. Kaio SHIRAI nous épargne les dialogues superflus et va à l’essentiel. Résultat : la petite bande s’adopte très vite !
Quant aux autres enfants du Grâce Field House, si leur sauvetage constitue un des principaux enjeux de l’intrigue, ils se cantonnent, pour le moment du moins, au simple rôle de faire-valoir. Leur présence même assure en outre cette contrepartie nécessaire à la mise en avant des premiers rôles et permet de justifier une telle excellence. Emma, Ray et Norman sont « conditionnés » depuis leur plus jeune âge pour réussir, renforcer leurs capacités athlétiques et aiguiser leur esprit au maximum au même titre que tous. Kaio SHIRAI insiste sur ce point essentiel : le trio, dont les trois membres obtiennent toujours les notes maximales aux tests quotidiens, fait figure d’exception dans le monde qu’il a imaginé. Ainsi apporte-t-il une certaine cohérence à l’ensemble, l’étiquette de « surdoué(e) » venant justifier le fait que les trois personnages, malgré leurs onze ans, fassent preuve d’autant de maturité et de ressources.
Au niveau des antagonistes, les auteurs nous gâtent notamment en la personne de la gouvernante qui, en quelques pages, passe de la chaleureuse figure maternelle à la froide et malfaisante exécutante. Son rôle de gardienne s’interprète différemment aux yeux d’Emma désormais : elle ne représente plus la mère qui l’a élevée mais une geôlière prête à tout pour empêcher toute tentative de rébellion. À ce titre, la dessinatrice Posuka DEMIZU réalise un travail remarquable en jouant beaucoup avec les expressions faciales. Grâce à son coup de crayon, offrant à son personnage un large éventail d’émotions, la « maman » se révèle être une talentueuse et redoutable actrice. Le sourire bienveillant qu’elle arbore en permanence au contact des enfants, trompe, voire déstabilise facilement. Ses différents regards, doux, appuyés ou parfois accusateurs, pourront offrir quelques frayeurs aux lecteurs pourtant avertis.
Au-dessus de la gouvernante se trouve bien sûr cet ennemi effroyable et tout-puissant dont Emma et ses amis ne savent finalement rien. Si leur première apparition marque les esprits, « ils » ne se manifestent que très peu par la suite. Trop tard, le mal est fait : leur image ne va cesser d’hanter les esprits des jeunes héros. Pour l’angoisse qu’ils suscitent et la menace invisible – mais inévitable – qu’ils représentent, leur présence demeure omniprésente. Un effet magistralement retranscrit par les deux artistes.
Un rythme prenant et une atmosphère pesante
Le scénario constitue sans nul doute une des grandes, voire la plus importante, force du manga. Les deux auteurs, en peu de temps, nous plongent dans leur monde dans lequel y règne une ambiance singulièrement oppressante qui fascine et décontenance à la fois. Les péripéties s’enchainent vite et les temps morts n’existent pas. Malgré le rythme soutenu employé, tout se goupille parfaitement pour le moment. Chaque détail semble avoir été minutieusement pensé en amont.
Après la révélation principale du premier chapitre, les enfants ont perdu leurs points de repère et doivent s’en créer de nouveaux. Ils partent donc avec un sérieux handicap puisqu’ils se situent dans l’ignorance totale quant aux réalités du monde. En cela, la recherche de la vérité constitue un objectif majeur pour les enfants, au même titre que le projet d’évasion, qui rappelle évidemment la série Prison Break ou le plus récent Couvent des damnés. S’enfuir oui, l’entreprise parait plus que jamais justifiée au vu des circonstances mais quid du monde extérieur ? Le seul aspect qu’ils – Emma et Norman – ont eu le malheur d’entrevoir n’invite guère à l’optimisme. Dans leur quête, nos jeunes héros devront se montrer toujours plus ingénieux et redoubler d’efforts tout en prenant constamment en compte cette imposante part d’inconnue dans leurs stratégies.
L’antagoniste principal, la « maman », ne leur rend pas la tâche aisée, faisant elle-même preuve d’une perspicacité à toute épreuve. Leurs affrontements se limitent (presque) essentiellement à des duels psychologiques qui font beaucoup penser à ceux que se livrent Light et L dans Death Note, de Takeshi OBATA et Tsugumi OBA. Il n’y aura peut-être pas de match de tennis entre Emma et la gouvernante, en revanche, les deux groupes s’adonneront à de nombreux chocs comparables, où les coups d’avance et de bluff constitueront les meilleures armes. La place importante accordée à ce type d’affrontement, en abondance au cours des premiers chapitres, met justement en lumière l’inexistence des scènes d’action à proprement parler. Que les curieux et curieuses se rassurent : en attendant les séquences d’action, les « combats » psychologiques restent superbement bien menés par les deux auteurs et rendent l’ensemble très prenant.
Kaiu SHIRAI et Posuka DEMIZU n’oublient pas d’insuffler à leur oeuvre cette fameuse force à aller de l’avant si chère à l’esprit du Weekly Shonen Jump et parfaitement incarnée par leur jeune héroïne Emma. La mise en lumière de cette qualité autorise des passages plus doux qui viennent apaiser le récit. Car, comme l’implique le scénario, l’atmosphère dépeinte pèse, inquiète constamment, l’aspect « huis-clos » ajoutant bien sûr au malaise. Il faut dire que dans cette histoire, dépourvue d’humour à juste titre, la mort guette.
Les héros avancent en terrain miné et ne disposent que d’une très faible marge d’erreur. Il se savent surveillés et composent souvent dans l’urgence, par conséquent. Le moindre faux pas peut causer leur perte. Ils en ont conscience. Les principaux enjeux ont été posés suffisamment tôt et de manière pertinente pour le réaliser très vite. Il est facile de s’inquiéter pour leur sort et d’angoisser avec eux tant la tension monte rapidement lors de chacune de leurs initiatives. D’ailleurs les auteurs jouent bien souvent avec les angles morts pour surprendre. Le procédé fonctionne, aussi bien du point de vue des protagonistes que celui des lecteurs.
Absorbés par leurs investigations, les personnages oublient parfois de surveiller leurs arrières pendant quelques secondes. Conséquence ? Le manque d’attention leur vaudra de bien mauvaises surprises… et quelques sursauts pour le lecteur !
The Promised Neverland n’a pas usurpé son statut de « série phare » du Weekly Shonen Jump. Avec ce premier volume, qui tient assurément toutes ses promesses, Posuka DEMIZU et Kaiu SHIRAI frappent fort et laissent espérer de très belles choses. S’ils parviennent, sur la durée, à maintenir un tel degré d’intensité à travers chacun de leurs chapitres, leur succès devrait continuer encore longtemps.
En attendant, nous accueillerons ce premier tome chez nous avec la plus grande joie.
Toutes les informations sur le titre sur le site web des éditions Kazé Manga.
2 réponses
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[…] et permet de qualifier ce titre prenant de petit phénomène. On vous encourage à jeter un œil ici pour comprendre les raisons du […]