[Interview] Thomas Romain, dessins en famille
Le français Thomas Romain est un grand nom de l’animation japonaise, souvent connu comme le créateur de Code Lyoko et de Ōban, Star Racers. C’est également le papa de deux garçons, avec lesquels il partage sa passion du dessin. Cette passion commune a pris forme dans le livre Traits de famille qui vient de sortir dans la toute nouvelle collection Kuropop des éditions Kurokawa. Journal du Japon l’a rencontré à l’occasion du Salon du livre de Paris, pour discuter de ce bestiaire fantastique d’un père et de ses fils.
Thomas Romain, un papa qui dessine
Journal du Japon : Bonjour Thomas, pouvez-vous retracer votre parcours pour nos lecteurs ?
Thomas Romain : J’ai toujours été passionné par le dessin, la bande dessinée, puis j’ai découvert l’animation japonaise vers dix-neuf ans. J’ai beaucoup dessiné en autodidacte, puis à la fin des années quatre-vingt-dix, j’ai passé le difficile concours de l’école des Gobelins, célèbre école d’animation parisienne. Les films d’animation des studios Ghibli ont été un véritable choc pour moi. J’ai travaillé sur un projet Ôban, Star-Racers qui a séduit des partenaires japonais et ce fut un aller simple pour le Japon avec mon ami Stanislas Brunet. Depuis, je travaille sur de nombreux projets d’animation. Il y a deux ans, j’ai rassemblé la « french connection » de l’animation japonaise au sein de Furansujin Connection, une association qui a pour but de faire connaître le travail des Français dans l’animation japonaise, via un site web, une carte blanche à la Japan Expo, des présentations dans les écoles d’animation, des pages dans Anime Land pour expliquer une étape de l’animation, mettre en avant un français qui travaille sur cette étape, etc.
Avez-vous des artistes qui vous inspirent, vous guident ?
Je ne pourrais pas citer un artiste en particulier, c’est plutôt un ensemble de personnes, souvent celles avec lesquelles je travaille. Stanislas Brunet et moi nous nourrissons mutuellement par exemple. Je n’ai pas un « grand maître ». J’aime être influencé par des gens plus jeunes que moi, moins expérimentés, mais avec un regard neuf, une vision plus fraîche. Je pense qu’il faut regarder à la fois les plus expérimentés et les plus jeunes.
Avant ce travail commun avec vos enfants, dessiniez-vous beaucoup chez vous, vos enfants vous voyaient-ils dessiner ?
Pas vraiment, je ne suis pas quelqu’un qui dessine partout, tout le temps. Mes fils ne me voient pas faire mais ils savent quel est mon travail, ils voient le résultat que je leur montre parfois. Je leur raconte également ce que je fais lorsque nous sommes à table. On a également un tableau blanc effaçable sur lequel je leur explique mes travaux.
Vous souvenez-vous des premiers dessins de vos fils ?
Je n’y prêtais pas beaucoup attention au début. Et ils faisaient surtout des dessins dans le cadre de l’école. Et puis d’un coup, sur un dessin, je me suis dit : « Il y a quelque chose ! », dans la forme, la couleur. J’ai regardé plus en détail et cela m’a stimulé, j’ai trouvé le design intéressant et j’ai eu l’envie de le dessiner « à ma sauce ». C’était comme une étincelle et l’envie de redessiner est venue naturellement.
Vos deux fils semblent avoir des sources d’inspiration différentes.
Oui, c’est vrai. Le plus jeune aime dessiner à partir des objets qui l’entourent, un boomerang, une horloge de bureau,… et de la nature. Le plus grand est plus inspiré par les jeux vidéo.
Quels dessins de vos fils vous ont le plus bluffés, inspirés ?
Après avoir eu l’étincelle en regardant un dessin, je suis revenu sur les dessins un peu plus anciens. J’ai été impressionné par le Chevalier Mage de Ryunosuke et par le docteur écarlate d’Itsuki. Ce docteur écarlate a d’ailleurs eu un très gros succès sur les réseaux sociaux, peut-être parce qu’il correspond à l’univers Steampunk très en vogue actuellement. Mais je ne me laisse pas influencer par ce qui marche ou ne marche pas sur les réseaux sociaux, pour moi tous les personnages, tous les univers sont intéressants. J’aime cette diversité des créations de mes fils.
Vos fils grandissent. Sentez-vous une évolution dans leurs dessins, leur envie de dessiner ?
Ryunosuke aime bien dessiner et me dit souvent qu’il veut faire cela quand il sera grand. Itsuke semble moins passionné. Ils dessinent tous les deux régulièrement, et je leur dis de temps en temps que j’ai besoin de dessins, et ils dessinent alors quand ils en ont l’envie, je ne veux pas les forcer, que cela devienne une corvée.
Les textes de l’ouvrage sont très éclairants et très touchants, vous livrez vos impressions, vos fils disent ce qu’ils aiment dans votre interprétation. Est-ce que cela a été difficile pour eux de mettre des mots sur leur ressenti ?
Nous avons travaillé sur les textes à la fin, pour ce livre. Sur les réseaux sociaux, les dessins étaient postés bruts, sans commentaires, toutes les semaines. J’ai souhaité pouvoir ajouter des commentaires pour le livre. Mes fils ne sont pas très expansifs, ils parlent japonais, ils m’ont donc dit des choses simples, que j’ai étoffées ensuite.
Vos fils se lancent-ils parfois dans des dessins de paysages, des scènes avec plusieurs personnages ?
Pour le moment ils restent vraiment sur un personnage par dessin. Ils travaillent sur des choses différentes à l’école comme des objets en volume, des peintures, des créations relatives aux traditions japonaises.
Avez-vous des idées pour la suite ?
Pour le moment on va continuer à faire ce type de dessins. Les négociations sont en cours pour faire paraître le livre au Japon et aux Etats-Unis, car nos dessins ont un succès mondial via les réseaux sociaux. Et les garçons aimeraient beaucoup pouvoir montrer le livre en japonais à leurs copains. Sinon j’aimerais beaucoup adapter certains personnages sous forme d’anime.
Une affaire à suivre …
Journal du Japon remercie Thomas Romain et toute l’équipe de Kurokawa pour l’organisation et la réalisation de cette rencontre.
Traits de famille : un livre fascinant et attachant
Le livre, qui rassemble les dessins des deux fils de Thomas et leur interprétation par celui-ci, regroupe trente-six dessins déjà présentés sur les réseaux sociaux, ainsi que six dessins inédits.
Pour chaque dessin, on trouve sur la page de gauche le nom donné à la créature, le dessin fait par l’enfant, ainsi qu’un texte de Thomas et un texte de l’enfant qui a fait le dessin. Sur la page de droite, la créature s’étale sur une pleine page, mise en scène par Thomas. Le lecteur peut ainsi regarder le dessin initial et voir quels détails, quels éléments ont retenu l’attention du papa. Les textes permettent de comprendre ce que l’enfant a voulu représenter, ce que le père en a retenu, ce qu’il en a compris, ce qui représente un complément très éclairant !
Ainsi pour ce bébé Momidémon, Thomas explique :
« J’ai tout de suite été séduit par l’équilibre général du dessin de Ryunosuke et par sa silhouette, très différente de ce qu’il avait fait jusqu’à présent. Je n’avais pas grand-chose à ajouter si ce n’est quelques bandelettes ou des détails plus ciselés sur les parties dorées. Pour le décor, j’ai utilisé l’idée de la petite tornade violette sortant du livre. Je l’ai transformée en spectaculaire cyclone électrique au cœur duquel j’ai fait planer le bébé démoniaque. Autour de lui virevoltent des grimoires magiques. »
Ryunosuke raconte :
« Toute la partie haute du personnage est une relique maudite vieille de plusieurs millénaires. Cette coiffe, si elle est portée par quelqu’un, prend le contrôle de son corps. C’est ce qui est arrivé au personnage orange. Les bandages sont censés contenir la puissance magique. Il ne faut surtout pas les retirer ! Je trouve que la tornade rend le dessin très dynamique dans l’image finale. J’aime aussi les détails de l’œil métallique. »
Les sujets sont très variés : des robots, des créatures végétales ou animales, des monstres de glace ou de pierre. Tout un bestiaire qui trouve parfois ses origines dans le quotidien des enfants ou dans leur imagination débordante.
C’est un livre qui stimule l’imagination des petits et des grands, qui touche les parents et émerveille les enfants. C’est surtout un livre à partager, à commenter, à raconter … et un livre qui donne envie d’inventer des créatures !
Plus d’informations sur le site de l’éditeur.
Et pour découvrir les dessins de Thomas et ses fils, n’hésitez pas à aller faire un tour sur sa chaîne youtube.