L’épopée japonaise #4 – Kamakura : Le régime des guerriers
Comme nous l’avons vu la dernière fois, la période de Heian se ferme alors que le pouvoir n’est plus dans la main ni de l’Empereur, ni des nobles de la cour mais dans celles des guerriers et plus précisément du clan Minamoto et de leurs alliés, les Hôjô. La capitale ayant été déplacée à Kamakura, créant ainsi le Bakufu, ou Shôgunat de Kamakura.
L’établissement d’un système féodal
Les Minamoto étaient jusque là opposés à la politique de centralisation, basée sur le modèle chinois, opérée jusqu’à présent par l’état japonais car il délaissait les provinces. Ainsi la montée au pouvoir d’un clan de guerriers met en place un système féodal très proche de ce qu’on a l’habitude de voir en Europe durant l’époque médiévale. Ainsi les Minamoto prennent le titre de Seii tai shôgun titre militaire suprême qui est alors raccourci en Shôgun. Des vassaux (gokenin) sont sous ses ordres et sont chargés d’administrer les différentes terres sous les titres de gouverneurs militaires (Shugo) ou d’intendants (Jitô) qui administrent les différentes régions. Toutefois les terres appartenaient toujours aux nobles et ces titres ne concernaient que l’administration et le maintien de l’ordre dans ces terres et non la possession directe.
Régence des Hôjô
Même si le Bakufu est censé être dans les mains des Minamoto, l’histoire tend à se répéter et ce sont en réalité les Hôjô qui prennent le pouvoir, la lignée Minamoto s’éteignant assez rapidement avec Sanetomo, le troisième shôgun. C’est dès 1199 à la mort de Yoritomo que sa femme, Masako du clan Hôjô, prends le rôle de régente pour ses enfants encore trop jeunes pour exercer le pouvoir. Les Hôjô prennent alors le titre de Régent (Shikken), et règnent jusqu’en 1333 en lieu et place du shôgun qui n’est plus qu’un souverain fantoche, et n’appartient même plus à la famille des Minamoto. En effet après l’assassinat de Sanetomo c’est le clan Kujô, une branche des Fujiwara, qui prends ce rôle avec KUJÔ no Yoritsune et Yoritsugu. Après eux ce seront alors des princes impériaux, c’est à dire des membres de la famille impériale, qui seront nommés Shôgun.
La rébellion de Kôkyû
Le pouvoir du Bakufu de Kamakura ne s’étendait au début qu’à la partie est du pays où se trouvait la nouvelle capitale. Les Taira et l’Empereur Go-Toba à l’ouest ne voyaient évidemment pas d’un très bon œil ce nouveau système. Ainsi, en 1221, deux ans après l’assassinat du Shôgun MINAMOTO no Sanetomo à cause de troubles internes au Shôgunat, Go-Toba profite de l’occasion pour tenter de renverser ce nouveau gouvernement. C’est sans compter sur l’intervention de HÔJÔ no Yoshitoki qui mènera les forces shogunales jusqu’à Kyôto où il écrase les forces impériales, profitant de l’occasion pour exiler les Empereurs Retirés (Voir l’article précédent) et démettre de leur fonction les dirigeants rebelles pour les remplacer par ses propres vassaux, achevant ainsi de contrôler totalement le Japon.
Invasions mongoles et vents divins
La fin XIIIe siècle ne sera toutefois pas une période de paix pour le Shôgunat. C’est à cette époque que Kubilai Khan s’empare de la Chine et de la Corée et jette son dévolu sur le Japon. Il envoie tout d’abord des ambassades en 1266 et 1268 demandant au pays de se soumettre : ces derniers refusent mais sont bien conscients de la menace qui pèse sur eux. HÔJÔ Tokimune envoie donc des troupes dans le Kyûshû, la région la plus proche de la Corée dans le cas d’une éventuelle attaque. C’est en 1274 que la flotte de Kubilai Khan est enfin prête à fondre sur l’archipel avec une force de plus de 20 000 hommes. Toutefois des problèmes de ressources et une tempête empêchent les envahisseurs de progresser face aux troupes japonaises pourtant bien inférieures en nombre.
Une seconde invasion à lieu durant l’été 1281 mais cette fois les Japonais sont bien préparés et ont profité des quelques années de répit pour fortifier la côte de Kyûshû et les troupes japonaises bien qu’inférieures en nombre face à l’imposante flotte mongole arrive à repousser la première vague d’assauts de cette seconde tentative. C’est encore une fois le vent qui aura eu raison des envahisseurs alors qu’un typhon dévaste la flotte mongole, appelé Kamikaze (Vent Divin). Cet événement aura une énorme influence dans l’image du Japon qui se croit imprenable grâce à ces vents, le terme sera même repris plus tard lors de la seconde guerre mondiale pour désigner les pilotes suicides qui s’écrasaient sur les navires américains à l’instar des typhons qui s’étaient écrasés à deux reprises sur les vaisseaux ennemis.
Malgré sa victoire, le Bakufu en sort affaibli : l’effort de guerre fut coûteux et contrairement aux autres guerres, il n’y avait pas de nouveaux territoires à confisquer et à attribuer aux vassaux. Cette perte de vitesse donnera l’occasion à l’Empereur Go-Daigo de restaurer pendant un temps le pouvoir impérial.
Retour du pouvoir impérial
L’Empereur Go-Daigo accède en trône en 1318 après plusieurs décennies d’ingérences des Shôgun dans la vie de la cour. La lignée impériale avait été divisée en deux, l’une soutenant le Shôgun et l’autre s’y opposant. Go-Daigo appartenait à ces derniers et projetait de reprendre l’ascendant face aux clans guerriers suite à leur récente perte d’influence. Il tente une première rébellion en 1324 mais celle-ci est vite découverte. Heureusement pour lui il n’est pas tenu pour responsable et tente une deuxième offensive dès 1331 mais est rapidement exilé. La situation changera du tout au tout alors qu’ASHIKAGA Takauji, général en chef des Hôjô se retourne contre son propre camp pour soutenir l’Empereur, apparemment mécontent de la politique du Bakufu. Il libère Kyôto et est rejoint par Nitta Yoshisada, lui-même un ancien membre du Shôgunat qui marche sur Kamakura en 1333 au nom de l’Empereur et met fin au premier Bakufu du Japon. C’est ainsi que commence la Restauration de Kenmu. L’Empereur règne alors en maître sur le Japon et prendra pour la première son nom d’empereur de son vivant. Il choisit ainsi le nom de Go-Daigo, exprimant ainsi le désir de régner à la manière de l’Empereur Daigo avant l’arrivée au pouvoir des Régents Fujiwara.
Un pouvoir instable
Malheureusement pour le nouvel Empereur, il décide de redistribuer ses terres aux nobles et non aux guerriers, entraînant rapidement la colère d’ASHIKAGA Takauji qui ne se sent pas récompensé à sa juste valeur. En effet, bien plus que d’aider l’Empereur, Ashikaga brigue le titre de Shôgun, il demande ce titre à l’Empereur afin d’aller mater les troupes rebelles encore fidèles aux Hôjô dans l’est du pays. Il n’obtiendra pas satisfaction mais écrase tout de même les forces de HÔJÔ Tokiyuki, prend Kamakura et profite de l’occasion pour s’autoproclamer Shôgun. L’empereur envoie alors NITTA Yoshisada pour éliminer cette nouvelle menace. Malheureusement l’empereur manque de soutiens et Ashikaga trouve des alliés dans les clans du Kyûshû avant de marcher sur Kyôto. Go-Daigo s’enfuit et le nouveau Shôgun met sur le trône l’empereur Kômyô ce qui marque la fin de la Restauration de Kenmu.
C’est ainsi que s’achève la période de Kamakura, une période marquée par la guerre autant contre des ennemis extérieurs qu’intérieurs. Ce n’est malgré tout qu’un avant-goût des conflits qui balayeront le pays alors que le nouveau Bakufu de Muromachi n’arrivera pas a tenir les rênes du pouvoir, divisant le pays en de nombreux clans. La cour impériale elle-même est divisée en deux, l’une à Kyôto au nord, soutenue par le clan Ashikaga et l’autre au sud, à Yoshino, descendante de Go-Daigo.
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Voici quelques précisions sur les invasions mongoles :
1274: L’invasion commença avec l’occupation de Tsushima dans le détroit. Quelques jours plus tard, Iki, une île encore plus proche de la côte de Kyushu, fut sécurisée. Celles-ci servirent de tremplin vers les plus grandes îles du Japon. Le 20 novembre 1274 ou vers cette date, les forces de Kubilaï Khan s’embarquèrent pour Kyushu et débarquèrent sans opposition dans la baie de Hakata.
Le premier jour des combats, l’armée d’invasion força les Japonais à se replier dans d’anciennes fortifications en pierre. À l’approche de la soirée, les Japonais demeuraient invaincus et dans une position défensive favorable. En revanche, les troupes de Kubilaï étaient exposées à l’ennemi et, craignant peut-être une contre-attaque de nuit, reçurent l’ordre de se retirer d’abord vers la côte, puis vers la sécurité apparente de leurs navires dans le port.
1281: D’abord, la plus petite flotte du Nord navigua vers la baie de Hakata. Arrivés à la fin de juin 1281, les envahisseurs se battirent avec acharnement, sans toutefois pouvoir submerger les fortes positions défensives japonaises. Après s’être retirés sur une île située juste au large pour se regrouper, les Mongols débarquèrent ensuite sur une autre plage voisine de Kyushu, mais ici aussi, ils furent repoussés pour finalement se retirer sur leurs navires.
À la mi-juillet, des navires amenèrent les premiers éléments de la plus grande force du Sud dans des îles situées au large des côtes et, début août, quelque 150 000 hommes furent rassemblés. Ces troupes furent ensuite débarquées dans la baie de Hakata et dans la baie d’Imari, à environ 50 km au sud-ouest. Les Japonais, cependant, ayant modifié les rituels du combat des samouraïs en faveur de tactiques de groupe efficaces, furent redoutables et féroces sur le champ de bataille. En conséquence, les généraux mongols, ayant peut-être l’intention d’attaquer ailleurs, ordonnèrent à leurs troupes de se retirer et de réembarquer les navires en attente.
Bonjour,
Je suis David Maingot, le responsable de la section Culture.
Merci pour ces précisions 🙂 Le but de cet article et de la série « L’épopée japonaise » est de faire une synthèse des différentes périodes historiques du Japon.
Pour approfondir le sujet des invasions mongoles au Japon, Le Sabre et le Typhon de Julien Peltier est très détaillé sur la question et est abordable et très didactique : https://www.economica.fr/livre-le-sabre-et-le-typhon-l-empire-mongol-a-l-assaut-du-japon-peltier-julien,fr,4,9782717864465.cfm