Les enfants de la baleine : Une perle rare pleine de magie
Souvent confondu avec un shôjo en raison de son graphisme, Les enfants de la baleine a su conquérir un public fidèle et ainsi se faire une place parmi les meilleurs mangas seinen. Publié au Japon depuis 2013 par Akita Shoten et depuis 2016 en France par Glénat, la série a accueilli son tome 10, en ce 7 mars 2018, dans nos rayonnages.
A cette occasion, Journal du Japon vous invite à l’accompagner sur la mer de sable, à la rencontre de ses personnages empreints d’humanité et d’empathie.
Un scénario hors du commun
« Dans un monde où tout n’est plus que sable, un gigantesque vaisseau vogue à la surface d’un océan de dunes. Il abrite des hommes et des femmes capables pour beaucoup de manipuler le saimia, un pouvoir surnaturel qu’ils tirent de leurs émotions. Ce don, qui fait d’eux des « marqués », les condamne cependant à une mort précoce. À bord de la “Baleine de glaise”, ils vivent leur courte vie coupés du reste du monde. Jusqu’au jour où, sur un vaisseau à la dérive, le jeune Chakuro fait une étrange rencontre… »
Un plongeon dans l’histoire
Alors que le tome 1 s’ouvre sur des funérailles très particulières, nous sommes instantanément plongés dans le cœur même de l’histoire : les sentiments et la maîtrise de soi. C’est au travers du regard de Chakuro sur le monde que toute l’histoire de ce manga semble se vivre car s’il n’est pas forcément le véritable personnage principal du récit, il est tout aussi important. De part son rôle de scribe sur la Baleine de Glaise, Chakuro devient alors tout autant notre guide, à nous lecteurs, que le conteur au sein de cet univers unique. Unique est aussi son rôle sur l’île : seul marqué à occuper ce poste, Chakuro, atteint d’hypergraphie, retranscrit tout ce qu’il peut au sujet de l’île pour les futures générations, frustré lui-même de ne pas connaître le passé de son île adorée.
La différence au cœur du manga
Dès le début de la série, on comprend que les habitants de la Baleine de Glaise sont divisés en deux communautés : les marqués et les non marqués. Tandis que les non marqués vivent normalement et dirigent le navire, les marqués se voient dotés d’une vie beaucoup plus courte et meurent entre 20 et 30ans.
Néanmoins, ce n’est pas là la seule différence. Les marqués sont dotés d’une énergie vitale différente des non marqués, appelée le Saimia. Maîtrisée, celle-ci permet la réalisation de beaucoup d’actions comme la télékinésie ou même le lancement d’attaques. Cependant le Saimia est surtout sensible aux émotions ressenties par les marqués. Ainsi, doués d’hypersensibilité, les marqués se doivent de contrôler parfaitement leurs sentiments, sous peine d’être destructeurs à la fois pour eux et pour leur entourage. Mais cela leur permettra également, au cours de l’histoire, de relever des obstacles qui, tel un miroir, les mettront face aux choix faits par leurs anciens pour les préserver.
La Baleine de Glaise, une société onirique aux codes philanthropiques
Alors que les codes de vie sur l’île sont régis par l’entraide et la solidarité, certains personnages se démarquent de cette douce mansuétude qui frôle la candeur.
Ainsi, un petit groupe de rebelles, menés par un dénommé Ohni, se distingue de part les nombreux séjours en cachot qu’ils effectuent. Recherchant la liberté et la vérité, Ohni veut bousculer le peuple de la Baleine de Glaise tout en cherchant sa propre identité dont il ignore tout. Alors que l’île se fait attaquer sans raison apparente par des soldats inconnus et étranges, les Apathoïas de L’Empire le peuple se retrouve au pied d’un mur que la majorité des habitants ignoraient, un drame forgé par les choix des générations passés.
La découverte de Lycos, jeune soldat de l’Empire, sur une île dévastée, déclenche ensuite une course à la vérité, qui conduira Chakuro et le peuple de l’île à dépoussiérer leur passé et alors à découvrir que leur paix était, en réalité, basée sur un mensonge… et que des choix vont s’imposer. Une lutte pour la survie du peuple de l’île de la Baleine s’engage et il faudra à ce dernier affronter l’inconnu et cet océan de sable impénétrable.
Un scénario entouré d’un voile aussi mystique que magique
Ce scénario n’est pas simplement unique de part l’histoire qui s’y tisse mais également grâce à celle qu’Abi UMEDA entretient autour de son inspiration.
En effet, dans le post-face du tome 1, UMEDA revient sur les origines de la création du manga et nous raconte comment elle aurait découvert un scénario par hasard, au milieu de livres divers et variés, dans une boutique. Elle explique qu’au départ, ce document ne ressemblait ni plus ni moins qu’à un journal de bord et qu’elle n’y trouvait rien de réellement intéressant, le trouvant même totalement insipide. Puis, tout a changé sans forcément prévenir. Un véritable revirement.
Abi UMEDA voulu retourner à la boutique afin d’avoir des informations supplémentaires sur ce document qu’elle venait d’acquérir. Mais impossible pour elle de la retrouver. C’était comme si le scénario lui été destiné et devait lui parvenir par n’importe quel moyen. A la fin des trois premiers tomes, elle ajoute un petit post-scriptum où elle apporte des informations supplémentaires à l’histoire. Et à l’image des romanciers s’inspirant de faits réels, elle explique comment elle a choisi de broder certains détails et comment ils sont réellement décrits dans le document initial.
L’histoire de la série Les enfants de la Baleine est si intense et si importante pour Abi UMEDA, qu’au début du tome 9 elle écrit :
“L’autre jour, alors que je passais à côté d’une famille qui essayait de récupérer un cerf-volant coincé dans un arbre, j’ai très brièvement -mais très sérieusement- pensé les aider avec mon saimia…”
Un coup de crayon qui sort de l’ordinaire
Alors que les mangas plus traditionnels prônent certains codes de travail précis, le travail d’Abi UMEDA détonne.
Elle semble en effet s’inspirer des codes de la peinture aquarelle, offrant ainsi un travail aérien, frais et extrêmement fluide. Aucun détail ne semble être laissé de côté, pour notre plus grand bonheur.
Côté personnages, ceux-ci semblent empreints d’une humanité proche de la vie réelle. Leurs traits physiques sont suffisamment précis et fins pour nous laisser croire à leur possible existence. Et contrairement aux mangas traditionnels où les yeux exagérément grands sont monnaie courante, les personnages d’Abi UMEDA ont des yeux et des regards personnalisés, laissant transparaître leur caractère individuel. Pour continuer sur les personnages et leur humanité, la mangaka a su leur attribuer des traits très humains, construits par leur histoire… À l’image de Ohni, par exemple qui, tourmenté par sa recherche d’identité, incarne parfaitement l’adolescent attachant malgré son côté taciturne, parfois explosif mais toujours aimant.
Un manga aux traits fins qu’il faut apprivoiser
Derrière la finesse du trait d’Abi UMEDA, Les enfants de la baleine n’est pas un manga des plus classiques.
Abordant de nombreux thèmes sous différents angles de vues, cette série a les capacités de séduire un public extrêmement large, en mélangeant les codes sans qu’ils se gênent outre mesure. Par exemple, la façon dont est contée la relation entre Chakuro et Sami dans le tome 1, puis tout au long de l’histoire, pourrait rappeler les codes sentimentaux croisées dans les shôjo comme Fruits Baskets ou Card Captor Sakura. En effet, dans ces séries-là, les relations amoureuses semblent toujours à sens unique et n’évoluent que lorsque qu’un drame arrive. Ou, autre exemple, la mise en avant d’un héros, plus fort, plus puissant et plus mystérieux que l’on retrouve dans de nombreux shônen. Ohni ou même le commandant pourraient tout à fait coller aux héros que l’on peut rencontrer dans des séries comme Noragami ou Bleach.
Les enfants de la baleine est un manga qui peut donc demander un certain temps d’adaptation, tant la série peut déstabiliser si l’on cherche à la faire entrer dans une case. Pourtant, si on prend le temps de s’y attarder, elle réserve d’excellentes surprises.
Un succès grandissant
Comme chaque année, Japan Expo organise les Japan Expo Awards qui récompensent les mangas selon plusieurs catégories. En 2017, soit un an après la première publication française, la série Les enfants de la baleine se voit récompensée du Daruma du Meilleur Seinen. C’est également à ce moment-là qu’un premier trailer, annonçant la venue d’une adaptation animée, est présenté (Ndrl : voir ci-dessous). Diffusée à partir d’octobre 2017 au Japon et prévue à partir de mars 2018 sur Netflix, l’adaptation animée promet déjà de belles choses. En effet, si vous avez vu Your lie in April, vous reconnaîtrez aisément la patte du réalisateur Kyôhei ISHIGURO, qui sera justement aux commandes chez J.C Staff. D’autres grands noms du milieu ont également été annoncés comme Michiko YOKOTE, scénariste de RE:Life, ou encore Haruko IZUKA, en charge du character design. Le succès ne s’arrête pas là puisqu’au Japon, la série a également été adaptée en pièce de théâtre au cours du printemps 2016 et au début de l’année 2018.
Au-delà des récompenses et des différentes adaptations, qui prouvent bien l’engouement du public japonais pour cette série, Abi UMEDA a su faire en sorte que Les enfants de la baleine puisse, grâce à un graphisme faisant penser à l’univers d’Hayao MIYAZAKI, trouver un certain succès auprès du public français. Une référence qui ne doit rien au hasard, puisque la mangaka a été assistante du maître avant de se lancer dans sa carrière de mangaka en 2005.
Jouissant d’un grand talent en tant que dessinatrice mais également en tant que scénariste, elle a réussi à adapter des sujets universels comme la vérité, l’exil, la peur de l’autre et de la différence dans l’univers de son manga, un media qui pourtant en Europe a davantage la réputation de n’être qu’un hobby plutôt qu’un véritable support à la réflexion. En effet, lorsque vous avancerez dans l’histoire de la baleine de glaise, Phaleina, et de ses habitants, vous réaliserez rapidement que deux questions englobent toute la série :
- La vérité est-elle réellement unique et celle que l’on croit ?
- Dépendons-nous des gênes de nos ancêtres et des choix qu’ils ont fait durant leur vie ?
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Tissant son manga autour de ces questions et d’autres, qui mettent en lumière le libre arbitre et son existence, Abi UMEDA continuera, on l’espère, à développer ses personnages et leur humanité, qui semblent devenir peu à peu le reflet de notre propre société et de la perception que nous en avons.
Une série à suivre de près !
Il est peut-être classé comme seinen en France mais au Japon c’est un shojo. Il est pré-publié dans le magazine Mystery Bonita, qui est un magazine shojo, qui est édité par Akita Shoten.
Bonjour Shosho,
Je suis Juliet, la rédactrice de cet article.
Il est vrai que ce manga a été pré-publié par Mystery Bonita, réputé pour être spécialisé en Shojo. Néanmoins, Aktia Shoten, propriétaire du magazine et d’autres et également éditeur de la série, est réputé pour être spécialisé en Shonen.
De plus, et ce n’est là que mon avis personnel, j’estime que ce n’est pas parce qu’un manga est pré-publié sous le couvert d’un magazine spécialisé qu’il est lié à cette spécialité.
Comme je l’ai expliqué au cours de mon article, Les enfants de la baleine regroupe les caractéristiques à la fois du shojo, du shonen et du seinen mais possède un développement beaucoup plus proche du seinen selon moi.
Bonne journée 🙂
Juliet
Certains mangas ne correspondent pas au genre du magazine, c’est vrai, mais si le magazine l’accepte c’est qu’il peut être apprécié des lecteurs, sinon, il l’aurait publié dans un autre magazine de la maison d’édition. Mais en France, on ne respecte pas tellement le genre, comme pour Adekan qui est un manga shojo mais édité en France en seinen. De plus Akita shoten, je m’appuie sur ce que vous avez dit, est connue pour des shonen, pas des seinen, même si ils sont proches, ils ne sont pas destiné au même âge.
J’espère que c’est réellement votre avis et que vous ne suivez pas la direction des maisons d’éditions françaises. Mais les shojo d’action, d’aventure et de drame existent, ils ne parlent pas tous de romance et ne sont pas non plus des josei.
Plaire à un public et correspondre à une étiquette sont deux choses à différencier comme vous le faites.
Comme je l’ai dit au cours de mon article, Les enfants de la baleine possèdent des codes de ces trois genres. De fait, il est d’autant plus difficile de le ranger dans une catégorie plutôt qu’un autre.
A mon sens, les shonen que nous pouvons connaître ne proposent pas la même maturité que celle apportée par Abi UMEDA.
Je peux vous garantir qu’il s’agit effectivement de mon avis personnel.
Pour deux raisons : j’ai choisi d’écrire sur ce manga, personne ne me l’a imposé, et je ne suis pas rémunérée. De fait, je n’ai rien à gagner financièrement parlant.
De plus, je ne suis pas suffisamment en relation avec les maisons d’éditions manga pour pouvoir prétendre parler en leur nom.
Bonne soirée 🙂
Bonjour Shosho,
Paul OZOUF, rédacteur en chef. Merci de nous avoir lu et merci pour votre commentaire.
Ça me donne l’occasion de préciser la politique éditoriale de Journal du Japon sur la classification shônen, shôjo, etc. Cette dernière est une classification réalisée d’après le public ou lectorat que l’éditeur veut cibler. Or les publics français ou japonais sont différents et il se peut que l’éditeur français pense qu’un titre n’est pas destiné à ce qu’en France shônen, seinen ou shôjo veut dire. Les publics diffèrent, les classifications aussi donc, même avec un même nom, donc comment choisir me direz-vous ?
En cas de doute, je dis la chose suivante aux rédacteurs : si les éditeurs jap et fr sont sur la même longueur d’onde on la suit. Si ce n’est pas le cas, au rédacteur de trancher d’après des critères de bases comme le héros, son sexe et son âge par exemple, l’univers, les rapports entre personnage, etc.
Je sais que certaines personnes suivent le magazine de prépublication japonais comme référence. Je considère en effet que ce dernier fait loi, mais au Japon et pour le public japonais. Au-delà il devient une indication. Importante certes mais une indication only.
Voilà !
Vous vous défendez bien et vous avez raison de vous épauler. Sincèrement.
Cependant Les enfants de la baleine est un shojo et une bd japonaise. Qu’importe ce que font les éditeurs français, américains ou autres des classifications de base pour séduire ou convaincre son lectorat, ou le public d’une manière générale.
C’est un SHOJO ! 🙂
Bonjour je suis une simple amatrice de mangas. Et une Grande fan des Enfants de la Baleine.
Je rejoins la personne ayant écris cet article. J’ai lu beaucoup d’article sur le sujet et il est vrai que sur les sites Français la classification « shojo » est récurrente. Cela m’a assez perturbé dans le sens ou je suis une grande amatrice de seinen… et ce n’est que mon point de vue mais malgres le style « kawai » des chara l’histoire est tres tres sombre. Beaucoup de personnage meurent et pour couronner le tout le 3/4 etant des enfants…..
Pour moi on est loin du Shojo. Tres loin. Le côté mature de l’histoire est trop complexe pour être un shonen. Et je pense qu’un enfant aura du mal a en apprécier toute la subtilité. Voila ce n’est que mon avis. Et c’est le meilleur article français que j’ai lu sur les enfants de la Baleine !