PIFFF ♥ MANGA
L’année 2017 s’est révélée être un excellent cru pour le Paris International Fantastique Film Festival (PIFFF). Un événement dont les organisateurs affectionnent le Japon et l’animation et dont nous vous avions déjà parlé il y a 2 ans à l’occasion d’une délicieuse Nuit de l’Animation Japonaise. Pour cette édition, le PIFFF a déroulé le tapis rouge au cinéma du soleil levant puisque pas moins de 5 films et un anime (le franco-japonais Mutafukaz) étaient à l’affiche, et pas des moindres : avant la projection très attendue en clôture de l’inédit Shin Godzilla et de l’original Survival Familly, c’est pas moins de 3 adaptations de manga dont 2 réalisées par le stakhanoviste Takashi MIIKE (Blade of the Immortal et Jojo Bizarre Adventure, auxquels s’ajoute donc Ajin, réalisé par Motohiko MATSUYUKI) qui ont occupé les 3 premières soirées du festival.
L’occasion de revenir sur ces trois films inédits tout en faisant le bilan sur ce qui fonctionne ou pas dans les adaptations de manga (un sujet que nous avions déjà abordé, notamment à l’occasion de la sortie de la trilogie Kenshin) et aussi et surtout de prendre des nouvelles de Takashi MIIKE, grand absent du dernier Étrange Festival …
Ajin : réussite visuelle mais flop narratif
Adapté d’un manga de Gamon SAKURAI par Motohiro MATSUYUKI, déjà réalisateur de l’excellent Summer Time Machine Blues, Ajin s’intéresse à Kei NAGAI (Takeru SATO, aussi interprète de Kenshin) qui, à l’occasion d’un accident mortel, découvre qu’il fait partie d’une portion mutante extrêmement rare de la population humaine : les ajin, des êtres immortels. Séquestré par le gouvernement japonais qui le torture sans fin dans un but de recherches scientifiques, il est finalement libéré par deux autres ajin lancés dans une action terroriste contre les autorités, mettant à profit leurs pouvoirs : la matérialisation d’une entité anthropomorphique invisible à l’œil des humains normaux.
Fort d’une histoire dans laquelle on perçoit l’héritage de X-men et de Jojo Bizarre Adventure, agrémentée de thématiques plutôt d’actualité (terrorisme, droits des minorités …), Ajin constitue un matériau de base en or donc, pour produire un film à la lisière du fantastique, de l’action et du thriller politique. Reste encore à l’adapter avec efficacité tant au niveau de la direction artistique que du scénario.
Au final, on est assez frustré. Produit dynamique et attractif, très bien emballé visuellement, Ajin commet la même erreur que beaucoup d’adaptations un peu faiblardes : il oublie les spécificités de son nouveau support et s’abîme dans une narration totalement anti-cinématographique, plombée par des personnages qui soliloquent inlassablement pour faire rentrer au chausse-pied les informations d’une multitude de tomes dans un seul film. C’est d’autant plus dommage que le look du film et les séquences d’actions sont plutôt réussis et nerveuses.
Une adaptation qui pèche donc par son scénario malgré un visuel soigné.
2 MIIKE sinon rien : Takashi retrouve un peu de sa superbe.
Il était surprenant de constater l’absence de Takashi MIIKE lors du dernier Étrange Festival. Grand habitué de l’Étrange, la cuvée MIIKE de l’année constitue un rendez-vous autant attendu que redouté. Seul son compatriote Sion SONO (lui aussi abonné du festival) était présent. Même si l’on sait qu’on risque fortement de souffrir – Yakuza Apocalypse et Terraformars, les MIIKE des 2 précédentes éditions, étaient de véritables purges représentant les pires tendances du MIIKE de ces dernières années – le bougre continue de susciter la curiosité. Une absence d’autant plus surprenante que les 2 MIIKE de l’année avaient le mérite de provoquer une excitation certaine, balayant dans nos esprits la peur du désastre potentiel : deux adaptations d’énormes mangas, très attendus, dont l’un présenté au Festival de Cannes et l’autre au visuel tellement excentrique qu’on l’avait acquise comme absolument inadaptable en prises de vue réelle !
Jojo : Une adaptation au visuel travaillé mais qui échoue à retranscrire l’ambiance de Diamond is Unbreakable.
Jojo, la légendaire série de Hirohiko ARAKI n’est maintenant plus à présenter sous nos latitudes (et si besoin, jetez un coup d’œil à nos articles, ici). Cette série historique a eu une énorme influence et Ajin, qui s’inspire fortement du concept de Stands qui y est développé, en est un parfait exemple. Après avoir longtemps été ignoré chez nous, la série est maintenant bien diffusée en France, la majorité des mangas publiés, les animés officiellement distribués.
Fort d’une longévité hors norme et d’une variété inégalable, Jojo se divise (pour l’instant) en 8 parties différentes reliés entre elles par la famille Joestar et par la présence des stands (à compter de la troisième partie). Chaque arc narratif a sa spécificité, tant au niveau de son cadre géographique et temporel (même si la ville de Morio revient à plusieurs reprises) qu’au niveau du ton et du genre auquel elle se consacre : histoire de vampire victorien, dantesque manga de baston, road movie shonen, histoire de serial-killer surréaliste dans un cadre japonais on ne peut plus quotidien, polar mafieux italien, film carcéral futuriste, improbable croisement entre le western, l’épopée sportive, le fantastique politique à la Dan Brown …
Ainsi, c’est la quatrième partie : Diamond is Unbreakable, qui est choisie pour cette première transposition live dont le présent film constitue l’introduction. Elle est centrée sur Josuke HIGASHIKATA, jeune lycéen dans la petite ville côtière de Morio et descendant de la famille Joestar. Le jeune homme, puissant manieur de stand (un pouvoir psychique se matérialisant visuellement sous la forme d’un personnage), va devoir faire face à la multiplication d’étranges événements impliquant d’autres personnes aux pouvoirs similaires.
Avec son univers surréaliste haut en couleur, adapter Jojo en prise de vue réelle relevait de la gageure. C’est pourtant sur ce point là que la transposition de MIIKE touche juste ! Tourné en Espagne, près de Sitges, la ville de Morio gagne en originalité et en présence de manière surprenante. Il faut dire que déjà sur papier, elle s’éloignait de la petite ville japonaise typique pour lorgner sur l’occident. Les costumes et look des personnages aussi sont extrêmement proches de l’anime, de même que la mise en image des stands en effets spéciaux numériques. Certains jugeront peut-être cette adaptation visuelle trop littérale et criarde, voir kitch, mais en tant que fan du manga et du style visuel de ARAKI, il y a une jubilation certaine à voir ses personnages s’animer (mention spéciale à Bad Company), d’autant plus que MIIKE sait mettre ses décors en lumière à travers de très beaux plans qui tirent pleinement parti du choix de Sitges.
Là ou le bas blesse, c’est dans la retranscription d’un quotidien proche de celui du lecteur/spectateur, qui s’écoule doucement, entre lycée et sorties entre potes, simplement perturbé par l’irruption de l’étrange, un peu à la manière d’un Twin Peaks (par ailleurs diffusée dans les deux années précédant le début de la publication originale de Diamond is Unbreakable). On s’attachait ainsi à ces personnages que l’on suivait. Un sentiment que l’adaptation animée sortie l’an passé avait parfaitement réussi à retranscrire.
On se retrouve finalement encore une fois avec un problème de narration, dû à un scénario un peu bâclé qui cherche à trop concentrer la trame du manga, au détriment de son ambiance. Au final, si les fans de Jojo pourront tout de même apprécier le film malgré ses défauts en l’envisageant comme un complément visuel au manga, cette adaptation risque fortement de laisser les non-initiés sur le carreau.
Blade of the Immortal : le retour du Japonais violent.
L’Habitant de l’infini : c’est le nom sous lequel est plus connu chez nous le manga à l’origine de Blade of the Immortal (Mugen no Jûnin). Un manga fleuve de Hiroaki SAMURA qui narre sur 30 tomes le calvaire de Manji (interprété par ni plus ni moins que Takuya KIMURA). Ce rônin immortel qui n’en peut plus de vivre va retrouver un sens à sa vie en rencontrant la jeune Rin, qu’il va assister dans sa vengeance contre l’école de sabre Ittô-ryû.
Mené par Takashi MIIKE, dont il s’agit du centième film, ce chambara violent dans la lignée des Baby-cart marque un retour du réalisateur au film de sabre ; retour en grande pompe puisque présenté hors compétition au Festival de Cannes. Et force est de constater qu’après Terraformars et Yakuza Apocalypse, Blade of the Immortal a réussi à nous redonner un peu d’espoir en le cinéma de MIIKE, ce qui n’était pas une mince affaire !
Le film n’est pas exempt de défauts. D’une durée bien trop longue de 2h20, il se repose parfois trop sur les dialogues, comme Ajin ; les personnages exprimant dans de grandiloquents monologues leurs motivations ou les atermoiements qui agitent leur âme torturée là ou les images se suffiraient à elles-même pour faire passer le message.
Cependant, on y retrouve la maestria visuelle de Takashi MIIKE, son sens de la sauvagerie et surtout cet humour gore dont il a le secret et qui faisait le sel d’un film comme Ichi the Killer. Les membres volent, le sang gicle, mais la jubilation du réalisateur est palpable et cela fait plaisir de le voir s’impliquer un peu dans ce qu’il raconte.
Lorsque l’on fait le bilan de cette fournée d’adaptation, on se rend compte que si de beaux efforts sont fait à chaque fois concernant la direction artistique, l’aspect scénaristique est par contre souvent pris par dessus la jambe. Ce n’est pourtant pas une fatalité, et de temps à autre un miracle vient prouver qu’il est possible de réussir le passage du manga au cinéma. Des films comme Tokyo Tribe, et plus anciennement Ping Pong, Beck ou Ashita no Joe pour ne citer qu’eux, l’ont prouvé. Takashi MIIKE lui-même a été capable du pire (Terraformars) comme du meilleur (Crows Zero).
On peut cependant être heureux de le voir en bien meilleur forme que les deux années précédentes. Espérons maintenant qu’il ne s’agit pas d’un accident mais bien d’une résurgence durable d’un MIIKE qui a souvent eu le travers de privilégier la quantité sur la qualité.