La saison japonaise du Centre Pompidou Metz, regard nouveau sur la création contemporaine
En cette année culturelle 2017-2018, le Centre Pompidou Metz a choisi de présenter une « saison japonaise » qui vient couronner le lien intime qui lie l’établissement avec l’archipel : le superbe bâtiment au toit devenu célèbre, situé juste derrière la gare de Metz au sein d’un nouveau quartier en pleine émergence, est en effet l’oeuvre de l’architecte nippon Shigeru BAN. Pas moins de trois expositions composent cette programmation visant à poser un regard renouvelé sur la création nipponne et son identité, agrémentées d’une dizaine de spectacles et d’ateliers. Nous avons visité pour vous les deux premières expos, à découvrir en images tout au long de cet article.
JAPAN-NESS – Architecture et urbanisme au Japon depuis 1945
Premier temps fort de cette saison japonaise à Pompidou Metz : JAPAN-NESS a pris fin le 8 janvier dernier après avoir, pendant quatre mois, occupé la Grande Nef du Musée avec de nombreuses maquettes, mais aussi des planches de dessin, des panneaux photos et des projections. La « japonité », concept théorisé par l’architecte Arata ISOZAKI, est au coeur de cette exposition qui retrace 70 ans d’une identité architecturale et urbaine par moments ouverte sur le monde et influencée par lui, et à d’autres totalement repliée sur elle-même.
L’exposition s’ouvre sur le discours historique de l’empereur Hirohito après la double peine atomique infligée à l’archipel en 1945. Dévastée, la société japonaise – coutumière des cycles de destruction et reconstruction imposés par les guerres et les catastrophes naturelles – doit à nouveau réinventer son habitat. Et son inspiration, elle la trouve en s’interrogeant sur la place de l’Homme dans la ville, embrassant la vision humaniste d’architectes de renom comme Le Corbusier. Le logement se collectivise et expérimente, grâce à la flexibilité du béton alors omniprésent.
Il faudra attendre quelques années pour assister à l’éclosion d’une architecture nippone moderne, reconnue par la communauté internationale, dont Kenzô TANGE sera la figure emblématique. Ses oeuvres sont d’ailleurs à l’honneur dans cette exposition, où l’innovation nippone est représentée sous la forme de maquettes de projets de plus ou moins vaste dimension, qu’ils aient ou non été réalisés. Parmi eux le mythique stade olympique de Yoyogi, ou encore les créations « métabolistes » tel que les célèbres Clusters in the Air imaginés par Arata ISOZAKI. Ces dernières présentent des capsules fixées comme des branches sur des troncs d’arbres qui n’ont certes pas été construites au final, mais ont sans nul doute inspiré la réalisation d’un autre élément très connu du paysage urbain tokyoïte : la Nakagin Capsule Tower dessinée par l’architecte Kisho KUROKAWA. Erigée au début des années 1970, celle-ci fait d’ailleurs l’objet d’une campagne visant à sa réhabilitation, la tour ayant particulièrement mal vieilli.
Après les constructions modulaires qui ont ébloui le monde en marge de l’Exposition Universelle d’Ôsaka en 1970, et les inspirations pop qui suivirent, JAPAN-NESS fait aussi la part belle aux architectures moins industrielles et idéalistes, plus light et conceptuelles, qui ont marqué les années 1975 à 1995. Le minimalisme à la japonaise joue avec la lumière et les nouveaux matériaux, et attire immédiatement l’attention à l’international, où à l’approche du XXIe siècle des architectes comme Shigeru BAN ou l’agence SANAA sont demandés dans le monde entier. De nos jours, l’identité architecturale nippone réinvente la ville en s’insérant entre les constructions existantes, ou en optant pour une vision plus symbolique ou géométrique du minimalisme qui reste de mise : une soixantaine de panneaux constitue ainsi le final de l’exposition en forme de promenade au cœur de la création nippone contemporaine.
Assez pointue dans l’ensemble, l’exposition JAPAN-NESS n’était certainement pleinement accessible qu’aux passionnés d’architecture. Mais quiconque connaît un peu Tôkyô, Ôsaka ou d’autres villes japonaises, pour les avoir visitées ou aperçues sur support audiovisuel par exemple, aura pu y reconnaître quelques bâtiments emblématiques, et cette expo aura eu le mérite de replacer ces créations dans un contexte historique et culturel, tout en donnant à chacun les clés pour en percer quelques secrets. Rien que pour cela, c’est une belle réussite !
JAPANORAMA – Nouveau regard sur la création contemporaine
Jusqu’au 5 mars 2018, le Centre Pompidou Metz propose une seconde exposition, peut-être plus facile d’accès au grand public, qui occupe pas moins de deux des trois galeries transversales du bâtiment. Cette manifestation offre un panorama élargi de l’art contemporain japonais, mis en perspective avec les bouleversements socio-économiques et culturels de l’époque. Le rapport au corps, la culture pop, la dichotomie permanente entre conscience collective et subjectivité, ou encore le minimalisme sont autant de notions abordées dans le cadre d’un parcours dont la cohérence n’a rien d’évident de prime abord, il faut l’avouer.
Une première partie de l’expo évoque la redéfinition du rapport au corps après-guerre, au travers de la danse mais aussi de modes d’expressions immatériels ou ludiques comme la video, la mode, la musique techno-pop, le tout sur fond de modernisation où le corps se mue progressivement en produit pleinement impacté par les évolutions technologiques.
La culture pop telle qu’on la connaît est bien sûr elle aussi abordée, au travers de ses messages politiques ou contre-culturels, de ses identités visuelles, et bien sûr du phénomène otaku. Des manga comme Akira ou River’s Edge, mais aussi le mythique groupe Yellow Magic Orchestra sont notamment mis à l’honneur.
A l’étage inférieur, on aborde la notion de collaboration et de partage, renforcée par les catastrophes de mars 2011. On revient aussi aux origines du kawaii, du surréalisme poétique de la fin du XIXe siècle jusqu’aux expressions plus immatures et innocentes d’aujourd’hui en passant par une certaine forme de critique sociale allégorique. La photo et la vidéo servent la cause du « je », de l’expression individuelle dans une société où la ligne de démarcation entre l’individu et la société n’est pas clairement définie.
Jusque là un peu fourre-tout et manquant de pièces captivantes, JAPANORAMA se rattrape magistralement avec son final sur le thème de la matérialité et du minimalisme. En point d’orgue, une installation monumentale incroyable, hypnotisante, d’une puissance phénoménale : Force de l’artiste Kohei NAWA, une pluie noire faite d’huile de silicone à l’aspect demi-solide, sorte de code-barre liquide dont le mouvement vertical offre un rendu tellement parfait que toute tentative de prendre l’oeuvre en photo aboutit irrémédiablement à l’impression d’une modélisation 3D. Cette oeuvre à elle seule vaut la visite, en témoignent d’ailleurs les nombreux visiteurs qui s’installent sur les bancs devant cette pièce pour la contempler pendant de longues minutes dans un silence qui impose le respect.
A noter que le 20 janvier démarrera une troisième exposition consacrée au collectif Dumb Type (déjà représenté au sein de JAPANORAMA) qui mêlera multimedia et spectacle vivant dans une oeuvre qui, comme toujours chez Dumb Type, ne manquera pas d’évoquer la saturation d’information et les dérives de la société de consommation.
Et puis la saison japonaise de Pompidou Metz, c’est aussi une dizaine de soirées parmi lesquelles plusieurs spectacles encore à venir. De la danse notamment, mais aussi et surtout un final qui s’annonce exceptionnel avec le musicien et compositeur Ryuichi SAKAMOTO, lequel proposera, sur des titres majoritairement issus de son dernier album en date async, une création augmentée d’une installation acoustique et visuelle originale spécialement conçue pour cette performance en collaboration avec le collectif Dumb Type. Rendez-vous pour cela les 3 et 4 mars prochains !
Pour en savoir plus : Site du Centre Pompidou Metz – Photos par Kigen Studio pour Journal du Japon
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