Kinotayo 2017, partie 1 : LEE Sang-Il, l’oublié du cinéma japonais

Chaque année, le festival Kinotayo constitue un rendez-vous important pour l’amateur de cinéma nippon en France. Un rendez-vous que nous attendons autant avec impatience qu’avec appréhension : le Kinotayo est l’occasion de découvrir des films et des cinéastes souvent peu connus chez nous mais, dans le même temps, les films les plus mis en avant et récompensés au palmarès sont souvent (comme dans beaucoup de festivals de cinéma par ailleurs) des films qui nous ont laissé froids, là où nos coups de cœur sont totalement passés sous le radar du jury.

Un sentiment qui se confirme encore cette année avec des films comme Tokyo Night Sky is Always the Densest Shade of Blue ou Japanese Girls Never Die qui témoignent d’un vrai sens du montage et de la mise en image, avec un regard, là où certains auteurs japonais font montre d’un manque de rythme et d’un statisme souvent mépris pour de la contemplation.

Mais, surtout, le gros uppercut que nous avons reçu sans l’avoir vu venir : Rage (Ikari en VO), du réalisateur LEE Sang-Il, déjà connu au Japon pour 69, Akunin ou Hula Girl mais qui n’a encore jamais connu de distribution sous nos latitudes. Un film qui mériterait largement de figurer dans le top 5 de nos meilleurs sensations cinématographiques de l’année, toutes origines confondues.

Petit tour d’horizon en quelques articles sur la programmation du festival, les bonnes découvertes comme les déceptions.

 

Alley Cat : un coup pour rien

L’affiche de Alley Cat

Faisant partie de la sélection alternative KANATA, Alley Cat, réalisé par Hideo SAKAKI (acteur fidèle des débuts de Ryuhei KITAMURA) se présente comme un buddy movie classique mais au fort potentiel divertissant. Un film d’autant plus attendu qu’il permettait de retrouver Yosuke KUBOZUKA, inoubliable star de GO, d’Isao YUKISADA, revenu sur le devant de la scène depuis quelques années après une dommageable traversée du désert.
KOBOZUKA y incarne justement Hideaki, ancienne star de la boxe depuis déchue, qui vivote en tant que garde du corps. Embauché pour protéger Saeko de son ex-compagnon, il se retrouve à faire équipe avec Ikumi, un mécanicien avec qui la cohabitation n’est pas sans heurts. Mais ce boulot qui devait n’être qu’une simple affaire se révèle finalement bien plus dangereux quand le passé trouble de Saeko la rattrape.
Alley Cat est la preuve qu’un véritable regard de réalisateur est déterminant pour faire un bon film, et que des personnages attachants et bien interprétés ainsi qu’une histoire intéressante ne suffisent pas. Plombé par une mise en image plate (malgré une photo plutôt réussie), Alley Cat manque cruellement de rythme et désamorce toute la tension potentielle de son histoire, le film ne décolle jamais, et fini par lasser le spectateur. C’est bien dommage !

 

 

Tokyo Night Sky is Always the Densest Shade of Blue : un regard plein d’acuité sur la mégalopole

Les deux personnages principaux de Tokyo Night Sky Is Always The Densest Shade Of Blue

Mika et Shinji traînent leur solitude et leurs angoisses à travers Tokyo. Se croisant à plusieurs reprises, leurs chemins finiront par se rejoindre. Mais parviendront-ils à dépasser leur individualisme et leur fatalisme ?
Douzième long de Yuya ISHII, après Sawako Decides et The Great Passage déjà primés, Tokyo Night Sky permet au réalisateur de délaisser la comédie, pour livrer ici un film plus sensoriel, dans lequel on retrouve cependant ses interrogations sur la précarité, la difficulté à exprimer ses sentiments …
Le film constitue à la fois une très belle révélation et une légère déception. En effet, il démarre magnifiquement avec une mise en image superbe et pose un regard plein d’acuité sur Tokyo et sur ses personnages qui entretiennent un rapport ambivalent avec cette ville qui les fascine, en même temps qu’elle leur provoque un sentiment d’aliénation. Le début du film, qui n’est ainsi pas sans évoquer la manière dont WONG Kar-Wai filmait Hong Kong dans ses premières réalisations, témoigne d’un réel sens du cadrage et du montage qui sait ne pas s’attarder inutilement, chose fort rare dans le cinéma japonais d’auteur actuel. Néanmoins, le film fini par s’éterniser un peu dans son dernier tiers, retombant quelque peu dans les travers de la comédie dramatique et du mélo à la japonaise.
Mais il ne faudrait pas que ce léger coup de mou vienne occulter la réussite que constitue Tokyo Night Sky is Always the Densest Shade of Blue. On n’en attend qu’avec plus d’impatience le prochain film d’ISHII, afin de savoir s’il ne s’agissait là que d’une incartade vers d’autres territoires, ou bien d’un réel et profond changement dans son cinéma.

 

 

Rage – Ikari : le genre de film qui nous redonne espoir dans le cinéma nippon

l’idéogramme « Ikari » (Rage), peint en lettres de sang sur les lieux du crime, donne son nom au film

Véritable claque de la sélection régulière, injustement absent du palmarès, le film du réalisateur japonais d’origine coréenne LEE Sang-Il est maîtrisé de bout en bout, autant formellement que thématiquement et en terme de performance d’acteur.
Le réalisateur y dirige avec beaucoup de justesse une belle brochette d’acteurs, à commencer par Satoshi TSUMABUKI, qu’il avait déjà mis en scène dans le fort sympathique 69 et dans Akunin. Mais on y retrouve aussi Ken WATANABE, Aoi MIYAZAKI ou encore Kenichi MATSUYAMA, pour ne citer que les plus connus. Tous livrent ici des performances d’une très belle justesse, et qui ne sont pas pour rien dans la réussite du film. LEE Sang-il construit autour d’eux un film choral portant sur la question de la confiance, de la suspicion, de la nature humaine, et aussi, comme son nom l’indique, de la rage qui peut habiter l’être humain. Un programme que l’on pourrait craindre lourd et pontifiant sur le papier, mais il n’en est rien et le réalisateur en tire un vrai film de cinéma, à mille lieux d’un pensum moralisateur ou lénifiant.

Go AYANO et Satosi TSUMABUKI

LEE prend pour point de départ un crime atroce dont le coupable est en fuite. Un pitch classique similaire à Gukoroku – Traces of Sin, présent dans la sélection du festival, ou encore à Creepy de Kiyoshi KUROSAWA, sorti en France cette année. Mais le réalisateur en tire un traitement bien différent et la base de thriller n’est finalement qu’un prétexte sans importance, les avancées de l’enquête n’étant distillées que sporadiquement au court du film pour en faire avancer la trame et modifier la perception que les personnages ont de leur entourage, nourrissant ainsi leur suspicions. En effet, la narration se concentre en trois lieux différents et éloignés (Tokyo, Chiba et Okinawa) et porte sur des groupes de personnages voyant chacun un inconnu, suspect potentiel du crime, faire irruption dans leur quotidien.
Au final, le film est bien plus proche des films chorals comme Magnolia de Paul Thomas ANDERSON que des thrillers de Kiyoshi KUROSAWA.
Réalisateur de Hula Girl, 69 et Akunin (déjà adapté d’une œuvre de l’écrivain Shuichi YOSHIDA, aussi auteur de Rage) LEE Sang-Il signe ainsi un film intense et plein d’humanité sur un sujet pourtant très sombre, porté par une réalisation très élégante et qui tire pleinement partie de ses décors. Une réussite d’autant plus formidable qu’il parvient à maintenir cet équilibre potentiellement instable tout au long des 2h22 du film (une durée plus que conséquente) sans jamais tomber dans le pathos facile ou la noirceur gratuite. On reste les yeux rivés sur l’écran jusqu’à la dernière minute et on ressort estomaqué du film qui nous habite ensuite les jours suivant, chose assez rare pour être soulignée.
Un film fort différent de ce qui nous arrive généralement en terme de cinéma japonais et d’une véritable ampleur, dont on espère (avec peu d’espoir hélas) qu’il bénéficiera d’une véritable distribution française.

 

 

Gukoroku – Traces of sin : quelque chose de pourri au royaume de Tokyo

L’affiche de Gukoroku

TANAKA (Satoshi TSUMABUKI), un journaliste qui traverse une période difficile suite à l’internement de sa soeur, convainc son rédacteur en chef de le laisser enquêter sur une affaire de triple meurtre non-élucidée qui a défrayé la chronique un an avant. Il va rencontrer les proches des victimes et lever le voile sur des personnalités beaucoup plus sombres et complexes qu’il semblait.

Premier long métrage de Kei ISHIKAWA, Gukoroku est l’adaptation d’un roman de Tokuro NUKUI. Le réalisateur, présent lors du festival, qualifiait ses personnages comme constituant un portrait fidèle de la population tokyoïte. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il y porte un regard extrêmement noir et pessimiste sur ses contemporains.
Le film se présente ainsi comme un thriller à twists (au pluriel) dès une première scène très réussie qui présente le personnage de TANAKA.
L’esthétique du film – qui a remporté le prix de la meilleure image lors du festival – est soignée, dans un style sombre, mais sans atteindre l’originalité de Tokyo Night Sky is Always the Densest shade of blue, ou la maestria de Rage.
Au final, on a là un film extrêmement sombre et sans espoir (là ou Rage s’attachait à l’humanité de ses personnages). Il s’agit certes d’une adaptation, mais le réalisateur semble vouloir enfoncer le clou le plus profondément possible dans le glauque, ce qui n’est pas sans laisser un spectateur, qui n’a finalement aucun personnage auquel se rattacher, fort perplexe à l’issue de la projection. Le film reste intéressant, notamment dans la manière dont il révèle peu à peu la psychologie de ses personnages, mais in fine, un peu vain et gratuit.

 

 

En dehors de Gukoroku, le palmares de ce Kinotayo 2017 a récompensé le documentaire Trace of Breath, sur un semencier de Fukushima (prix du jury) et, ex-æquo du prix Soleil d’Or du meilleur long métrage, The Long Excuse, Close-Knit et Oh Lucy !, trois films que nous aborderons dans la seconde partie de ce retour sur le Kinotayo.

Globalement, le festival aura permis de belles découvertes, d’autant plus qu’on constate depuis quelques années que la direction d’acteur, souvent parent pauvre des films japonais grand public produits par les chaines de TV, est beaucoup plus soignée dans ce qui nous est amené de voir ici. Reste la question des attentes de la critique et du public français (pour ne pas dire de l’intelligentsia), qui plébiscite souvent des films qui le conforte dans son image du Japon. Un japon de carte postale, et où l’on identifie comme un cinéma contemplatif héritier d’Ozu des films qui manquent parfois simplement de sens cinématographique. C’est fort dommage, car, comme le montre la sélection de ce festival et d’autres, le paysage cinématographique japonais est beaucoup plus varié que cela et recèle de quelques talents qui gagneraient à être diffusés plus largement.

7 réponses

  1. Nill Newt dit :

    Le quasi torpillage du petit joyau noir qu’est Traces of sin mériterait bien une contre critique. Un peu vain et gratuit? Pourquoi? Parce qu’il n’y a pas de gentil à la fin? Parce qu’on ne sort pas émerveillé par les ressorts de bonté et d’humanité que l’on peut recevoir dans d’autres oeuvres? Je m’interroge sur la portée d’une telle phrase « ce qui n’est pas sans laisser un spectateur, qui n’a finalement aucun personnage auquel se rattacher, fort perplexe à l’issue de la projection » un spectateur = vous, j’espère, vous n’avez pas la prétention de donner à ce ‘un’ une valeur générique, si?

    • Pierre G. dit :

      Tu ne peux pas nier que la tentative de faire du Kyoshi Kurosawa est assez dommageable. D’autant que si Hikari Mitsushima est une très grande actrice elle sauve et détruit le film a elle seule. Le sauve puisque c’est le point le plus positif du film, mais le détruit car son personnage est terriblement raté trop absent au début pour que son interprète ne nous mette pas la puce à l’oreille quant à son rôle à venir, mais du coup trop absente aussi pour que ce rôle ai du sens et ne sonne pas comme une piètre tentative de nous surprendre avec un twist que, Mitsushima obligé, on avait vu venir.
      Je t’accorde qu’il s’agit là d’un des meilleurs film du kinotayo… Mais enfin ça ne veux pas dire grand chose.

      • Nill Newt dit :

        « Tu ne peux pas nier que la tentative de faire du Kyoshi Kurosawa » ça vraiment, je ne l’avais pas vu venir :-O A quel film de Kiyoshi Kurosawa faites-vous allusion? Pour les avoir presque tous vus, je n’en vois aucun qui lui ressemble. Tout ça parce qu’il y a deux ou trois plans oniriques (cauchemardesques) avec les mains? Ca fait un peu léger pour dire que ça fait du Kurosawa, non? Par ailleurs je trouve la critique sociale assez aigüe dans ce film, l’article fait l’impasse totale sur cette dimension. Je ne vois pas non plus en quoi Mitsuhima détruit le film, on sent venir un twist mais de quelle nature? Vous aviez deviné, vous? Bravo vous êtes fort.

        • Pierre G. dit :

          Je dirais au contraire que les scènes des mains font partie des rares scènes vraiment intéressantes du film.

          Je vous invite à revoir lesdits films de Kurosawa, car si le film certes ne reproduit pas la mise en scène de kurosawa et ne parvient pas à émuler son talent pour l’éclairage, il essaie quand même extrêmement fort.
          J’ai bien aimé le film, si le rédacteur a choisi de faire l’impasse sur certains de ses aspects c’est aussi une contrainte technique. D’autant que si la critique est présente, il s’agit plus d’un constat relativement appuyé qu’une critique.

          Ce n’est pas ce que je cherchais à dire. Le problème est un problème d’écriture, à trop vouloir camoufler son piètre Twist, le réalisateur créé deux histoire parallèles, dont une n’as absolument aucune raison d’exister si ce n’est pour resurgir au sein de l’intrigue principale et de mettre en valeur le personnage de Mitsushima. Un bon polar aurait lié les deux intrigues plus tôt et de façon plus discrète afin de ne pas produire un « film à sketch ». Imaginez 6ème sens (qui n’est pas un polar ni un très bon twist, mais au moins c’est connu) où Bruce Willis mènerais sa petite vie de détective décédé tandis que le gamin se ballade en regardants des fantômes, les deux ne se rencontrant qu’à la fin, histoire de nous dire que, oh grand dieu, le détective était mort, fin.
          La question n’est pas de savoir si le twist est facile à deviner, mais si il est en accord avec une structure qui se tient, et si il est possible de le deviner en se basant simplement sur cette structure (ici, Mitsushima ne peux pas tenir un rôle aussi mineur, donc le rôle sera amené à gagner en importance). Un twist n’a pas vocation, du moins dans ce film, à être révélé par des réflexions méta, tout simplement.

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