Reno Lemaire, interview d’un pionnier du manga français
Lors de notre venue au TGS, nous avons pu interviewer un mangaka. Normalement, nous pensons, généralement, à un japonais lorsque le métier de mangaka est évoqué. Cependant, nous avons pu interviewer Reno Lemaire, l’un des pionniers du manga français.
Après notre rencontre avec des auteurs au succès plus récent comme Yami Shin ou Vinhnyu c’est au tour de ce Montpelliérain de 38 ans est connu depuis plus de 10 ans pour sa série Dreamland, série où le protagoniste combat sa peur et peut voyager dans les rêves. Lors de cette interview, l’auteur français nous a livré quelques-uns de ses secrets…
Journal du Japon : Bonjour Reno Lemaire… Cela a-t-il été dur de fonder Penmerry Studio? N’aviez-vous pas peur de devoir tout gérer tout seul ?
Reno Lemaire : Penmery est un délire parce que nous étions dans notre phase One Piece et avoir un crew. Je ne considère pas mes « assistants », mon meilleur ami et mon cousin, comme tels mais comme des amis qui m’aident. Je ne pourrais pas les trouver de remplaçants car nous sommes complémentaires et cela depuis bien avant Dreamland. Ils m’ont aidé car je me lançais dans le manga en France et parce qu’une personne seule ne pouvait produire 200 pages en 6 mois contre le format franco-belge qui est de 48 pages en quasiment un an. Comme j’étais un des premiers, mes amis m’ont proposé de m’aider en off, sans que je ne le dise à personne.
Dès le tome 1, ils ont alors fait les décors car, pour eux, les tuiles des maisons ou les poteaux électriques ne constituaient pas l’âme ou l’essence d’une série, contrairement aux personnages, ce qu’ils racontent, aux bulles et au texte. Le décor doit être bien dessiné aussi, sinon les dessins n’ont pas l’air professionnels mais ils souhaitaient que je puisse d’avantage me focaliser sur ma narration et sur les personnages. Ils m’ont également rassuré en me disant que le lecteur ne percevrait pas la différence de dessinateur entre les décors et le reste. Nous avons choisi de nous répartir les rôles de cette manière car nous lisons des mangas depuis que nous sommes petits.
Puisque mes amis m’aidaient, j’ai demandé, dès le début, à ce qu’ils soient rémunérés. S’est alors engagée une bataille de contrat et de vente : le tome 2 ne s’étant pas assez vendu, aucun salaire n’a pu leur être versé. Cela a continué jusqu’au tome 5 car, à l’époque, Soleil lançait Lanfeust en manga et ils avaient compris qu’il fallait des assistants pour aider l’auteur et ils ont cherché des personnes qui avaient le plus d’expérience. Mes amis ayant travaillé sur 4 tomes de Dreamland, ils les ont contactés. Personnellement, cela ne me dérangeait pas s’ils changeaient d’éditeur et après une discussion avec Pika, mon éditeur a pris en charge un assistant et j’ai pris en charge l’autre en baissant mon prix. C’est à partir de ce moment-là que nous avons dévoilé notre collaboration.
Cela a, également, été compliqué au niveau des contrats de travail. En effet, dans le domaine de la BD, soit tu es dessinateur, soit tu es coloriste, soit tu es scénariste. Le poste d’assistant n’existe donc pas. Nous avons été les pionniers à en créer un statut, ressemblant à du freelance, car Pôle Emploi leur demandaient ce qu’ils faisaient comme métier. A présent, je suis de nouveau tout seul car bien que cela faisait 8 ans que nous travaillons ensemble et que je nous considérais tous comme des auteurs, seulement moi était mis en avant tandis que leurs projets à eux stagnaient parce qu’ils étaient pris par Dreamland. Nous avons donc arrêté notre collaboration alors que nous nous entendions très bien.
Ainsi, avant de partir, ils m’ont formé car je n’ai pas plus le temps qu’avant de faire les décors et ils ont donc accepté de me laisser seul lorsque je suis arrivé à maîtriser des logiciels pour ne pas que la qualité des décors diminue car ils avaient peur que, s’ils me laissaient sans me former à la fin du treizième tome, les décors du tome 14 soient mauvais et que mes lecteurs me lâchent. Maintenant, ils évoluent chacun dans leur milieu, Romain a signé sa série qui va sortir bientôt, ce qui me rend heureux.
Quel logiciel utilisez-vous pour les décors du coup ?
Clip studio. Il y a aussi des petits logiciels qui gèrent la 3D comme Google SketchUp, qui aider pour la perspective. Ces logiciels aident à tracer les points de fuite : il faut seulement bouger la caméra et elle montre où tu dois tracer tes traits donc ça fait gagner du temps.
Le manga par des auteurs français est passé plusieurs phases : une première vague à ses débuts, puis une période très creuse et un retour au-devant de la scène avec des City Hall, Radiant ou le tremplin Ki-oon. Quel regard portez-vous sur ces évolutions ?
Je les analyse logiquement. Il y a 12 ans, je faisais partie des premiers tests et c’étaient vraiment des tests : on ne savait pas ce que ça aller donner et les contrats étaient bizarres parce que les éditeurs qui nous publiaient ne faisaient pas de la créa en général mais achetaient des licences de mangas japonais donc ils ne savaient pas ce que c’était qu’avoir un auteur. C’est aussi ce qui m’a plu : il y avait tout à faire et comme toutes les choses étaient nouvelles car on était dans les années 2000 et on créait une nouvelle mouvance.
C’est assez rare aujourd’hui car tout a été dit et tout a été inventé mais, comme dans toutes les nouvelles mouvances, beaucoup de choses ont été mal faites. Je suis le seul à avoir survécu de cette période, je ne sais pas trop pourquoi. IL faudrait demander aux lecteurs ou aux gens qui analysent comment Dreamland marche… dans tous les cas, les pionniers n’étaient pas bons, moi-même je n’étais pas très professionnel, le niveau était assez faible donc il fallait conquérir le public et faire accepter que nous n’étions pas moins bons que les japonais mais comme nous n’étions pas très bons, le public a assimilé les mangakas français à de mauvais mangas. Dreamland a réussi parce que je me remets en question tout le temps et les lecteurs voient mon évolution de tome en tome, ils voient que je ne stagne pas et c’est ce qui fait qu’ils me sont fidèles.
Je pense que j’ai fidélisé mon lectorat parce qu’il voyait que j’essayais de me dépasser et, par la suite est arrivée la mouvance avec City Hall, Radiant et Ankama, Ankama qui est le seul éditeur, aujourd’hui, de création. Pika, Kana, Glénat ont tous leurs mangas français à présent mais 70%-80% de leur catalogue reste du japonais. La créa c’est un petit test, encore aujourd’hui. Ankama n’a pas de licence au Japon et se positionne comme le Delcourt ou le Dupuis du manga français, comme un éditeur de création et a embauché des personnes avec 10 ans d’expérience. Le tome 1 de City Hall est beau, le tome 1 de Radiant est calé parce que ça fait 11-12 ans qu’ils bossent dans cet univers. Tony, Guillaume, je les connais bien donc je connais leur cursus et ça fait 12 ans qu’ils sont dans le métier, ils ont fait 3-4 séries donc c’est comme si je devais créer une nouvelle série après 10 ans d’expérience, ce n’est pas le même niveau que Dreamland. Ils ont eu l’idée intelligente de prendre des personnes de la franco-belge et qui avaient envie, Tony et Guillaume sont fans de manga et ont toujours voulu s’exprimer en manga donc, avec cette vague, le lecteur s’est dit que les français savaient dessiner. Au début, les auteurs n’étaient pas forcément bien choisis et je m’inclue dedans. J’ai eu la chance de progresser et d’arriver, aujourd’hui, au niveau d’un Guillaume et d’un Tony sans rougir. Tu as beau avoir 10 tomes d’avance, vu le niveau qu’ils ont, et si tu ne te remets pas en question et que tu ne boostes pas ton niveau en dessin, ils vont te passer devant, même si le but n’est pas de faire la course. C’est dommage car même si tu as 10 ans d’avance, ils arrivent avec un tome 1 du niveau de ton tome 11. On se tire tous vers le haut et le manga français commence à arriver à maturité : il y a des œuvres avec un bon niveau. Le niveau moyen aujourd’hui aurait été le niveau très bon il y a 10 ans.
Vous dites que les jeunes ont un bon niveau global maintenant. Comment pensez-vous qu’ils y soient arrivés ? Grâce à des formations ?
Non parce que ça se saurait s’il y avait des formations qui tireraient vers le haut. J’ai tendance à dire que certaines écoles sont plutôt sur l’appât du gain et que tout le monde veut être mangaka mais non, tous les jeunes que je connais qui ont ou vont signer ne sortent pas d’école mais ils vont partie de la génération internet, réseaux sociaux : tu publies tes dessins, tu vois qu’un ami a fait des dessins plus jolis, tu prends ta tablette graphique… ils se tirent vers le haut. C’est l’époque qui veut ça, c’est générationnel.
Dans tous les milieux, les générations futures sont globalement plus douées mais auront-elles le même succès ? Ils sont meilleurs que moi à l’époque en terme de dessin mais est-ce qu’ils feront mieux que Dreamland ? Je ne pense pas. Moi je suis de la génération Dragon Ball donc c’est comme quand tu vois Son Goku a des difficultés pour se transformer et il a fallu que Krilin pour qu’il y arrive et que tu le compares à la nouvelle génération Son Goten : il a 6 ans et arrive à se transformer. C’est pour dire que nous nous sommes arrivés, avec difficulté, à un niveau qu’eux ont déjà.
C’est ce qu’on appelle l’expérience : aujourd’hui ils n’ont que 25 ans et ils ont un super trait de mais est-ce que cela veut dire qu’ils vont faire mieux que nous, ce n’est pas sûr. Ils ont ce niveau car c’est la génération internet : tout est partagé, il y a beaucoup de tutos. Moi, pour apprendre à dessiner des pieds quand j’avais 15 ans, il fallait que j’aille à la bibliothèque et que je trouve une encyclopédie sur le corps humain. Aujourd’hui, quand tu ne sais pas faire une cheville ou que tu cherches une pose pour ta case, tu peux utiliser Google images.
Je suis content de passer le flambeau, qu’il y ait de la place pour tout le monde et qu’ils se tirent encore vers le haut, c’est le but.
Une question à côté de cette thématique pour finir : que vous a apporté le projet Saska pour le magazine japonais Morning Jump hors-série qui avait pour thème les mangakas étrangers ?
Je ne sais pas d’où vient ce faux buzz et cette mauvaise information, tout le monde parle de ça mais ça n’a jamais été publié dans le Morning Jump. C’était Pika qui, à l’époque, m’a dit qu’il y avait un concours dans le magazine japonais, ouvert aux étrangers, et que ce serait bien si je faisais un petit one-shot. Ils m’ont donc appelé le 5 Octobre pour rendre les pages le 16 Octobre. Les autres ont 6 mois et moi, parce que l’information est arrivée à mon éditeur tardivement, je n’ai eu que 10 jours. Je leur ai demandé si je devais revendiquer mon côté français et non japonais en mettant de la couleur ou l’accent sur mon style et ils m’ont dit que non, que c’était pour un public japonais donc il fallait essayer de coller au mieux aux japonais. En fait, j’ai suivi leurs directives mais ce n’était pas du tout les règles : le gagnant avait mis de la couleur donc j’avais eu le mauvais intitulé, je ne sais même pas si ce que j’ai fait a été envoyé.
Ça a été un défi : j’ai eu 10 jours pour faire 15 pages, encrées et tramées. Je l’ai pris comme un défi, pas pour être publié au Japon, j’ai envoyé à l’éditeur, j’ai fait un truc un peu japonais dans le temps imparti, je n’ai jamais gagné sauf qu’à l’époque, je faisais mon tome 3 et comme l’histoire était pas mal, elle a été publiée dans Dreamland donc les japonais n’ont jamais lu cette histoire selon moi.
La rumeur est corrigée donc !
Merci Reno Lemaire et longue vie à Dreamland !
Dreamland est disponible aux éditions Pika. Plus d’informations sur leur site internet, et vous pouvez suivez Reno Lemaire via sa page Facebook ou son compte Twitter.
1 réponse
[…] le cousin du mangaka français à l’origine de Dreamland (interview du premier ici, du second là !). Ce nouveau titre apporte une nouvelle mythologie et promet des combats […]