Takuboku : le Rimbaud japonais
Journal du Japon vous emmène aujourd’hui à la découverte d’un grand poète du début du XXème siècle, Ishikawa TAKUBOKU, mort de la tuberculose à vingt-six ans, souvent qualifié de Rimbaud japonais.
Une vie brève, des poèmes par centaines
Ishikawa TAKUBOKU est né en 1886 dans la province d’Iwate. Son père est moine bouddhiste et prend la charge d’un temple d’un petit village, où il restera pendant vingt ans. Le jeune garçon, après de brillants résultats scolaires, se détourne vite des études, préférant les mouvements contestataires.
Il ne poursuit pas ses études mais fréquente des groupes de poésie. Alors qu’il n’a que dix-sept ans, il écrit des tankas prometteurs, avant que la maladie ne le contraigne à rentrer pour un temps au pays.
Puis son père est démis de ses fonctions (accusé de détournement d’argent, a priori plus de la légèreté que de la malhonnêteté) et le jeune homme devient soutien de famille. Il se marie et prend un poste d’instituteur à vingt ans.
Malgré une santé toujours fragile, il décide de retourner à Tokyo et d’écrire encore et toujours. En 1910, le Asahi Shimbun lui confie la responsabilité de sa rubrique poétique, et son recueil Une poignée de sable est publié. Son état de santé se dégrade et l’oblige à être hospitalisé en 1911. La tuberculose l’emporte en 1912, peu de temps après sa mère. Son ami publiera la même année son dernier recueil de tankas, Le Jouet triste, dont il lui avait confié les manuscrits avant de mourir.
Son œuvre est à découvrir en édition bilingue aux éditions Arfuyen. Il y a différents recueils à lire en fonction de votre humeur et de vos envies.
L’Amour de moi : écrire le moi
Ce livre est en fait la première partie du premier grand recueil de tankas de Takuboku, Ichiaku no suna (Une poignée de sable), paru en 1910 et comprenant plus de cinq cents poèmes. Ils sont le résultat d’une période de créativité intense alors que l’auteur n’a que vingt-deux ans.
Il décrit sa furieuse envie d’écrire dans son journal en juin 1908 : « La nuit dernière, j’ai commencé d’écrire des tankas avant d’aller me coucher. Mon enthousiasme s’est accru d’heure en heure et j’ai écrit toute la nuit. À l’aube j’ai été me promener dans le cimetière du temple d’Honmyoji, ce qui m’a beaucoup rafraîchi. Mon enthousiasme a continué, et j’ai composé plus de cent vingts tankas depuis hier soir jusqu’à onze heures ce matin. »
Il écrit dans ses poèmes l’intensité de la vie, la jeunesse révoltée, la mort qui rôde et emporte nombre de ses amis. C’est également la modernité de ce début de siècle : tramway, téléphone, lampes qui remplacent les bougies etc.
Introspection :
La sensation que mon cœur est aspiré
au fond d’un gouffre obscur
je m’endors épuisé
Avoir un travail à faire
mourir en l’ayant accompli
comme ce serait doux
Fulgurances :
Sortir de la maison à tout prix
respirer profondément
la chaleur du soleil
N’existe-t-il pas
ce médicament vert pâle
qui rendra mon corps transparent comme l’eau
Fumées : volutes de nostalgie
Cette deuxième partie du recueil (qui vient d’être publiée avec Ceux que l’on oublie difficilement dans un même ouvrage) est consacrée aux souvenirs d’enfance et à la nostalgie qui parfois le submerge : l’école, les amis, les professeurs, les premiers amours, sa sœur, ses parents … et surtout son pays qu’il aime profondément.
Il évoque d’ailleurs dans son journal l’émotion que provoque en lui l’écriture de ces souvenirs : « Dans ma tête tout est tanka. Tout ce que je vois et tout ce que j’entends devient tanka. Aujourd’hui j’ai composé cent quarante et un tankas jusqu’à deux heures du matin. Quarante d’entre eux concernent mes parents. En les écrivant, j’étais en larmes. »
Comme une douleur
revient un jour le souvenir du pays
tristes les fumées qui montent dans le ciel
Le patois de mon pays
– parmi la foule de la gare
je m’en vais l’entendre
L’ample veste à fleurs rouges
je la revois encore
l’amour de mes six ans
Ceux que l’on oublie difficilement :
Cet autre recueil aborde différents thèmes chers à l’auteur : le voyage en train, la séparation (il travaille pendant un moment comme rédacteur dans un journal local dans le nord du Japon, séparé de sa famille), le froid très dur dans cette région, l’ivresse, mais également les femmes (il fréquente Koyakko, une geisha de dix-huit ans à laquelle il consacre plusieurs tankas), sans oublier un portrait de la société japonaise de ce début de siècle, entre mendiants, ermites, marchands, religion et communisme.
Faiblement murmurant
des paroles de vénération
le mendiant marchait
Là où les hommes sans volonté
se rassemblent pour boire
voilà mon foyer
Descendu à la gare au bout de la ligne
la neige brillait
Je me suis avancé dans une ville désolée
Au lobe de l’oreille si douce
cette femme qu’on appelait Koyakko
je l’oublie difficilement
Le Jouet triste : son dernier recueil
Les tankas de ce dernier recueil ont été écrits entre novembre 1910 et sa mort en avril 1912. Il y livre son expérience du quotidien, entre santé défaillante, difficultés familiales et financières, trajets dans Tokyo, déménagement, ivresse, déroulement du Nouvel An 1911. Il y raconte longuement son hospitalisation (pour une péritonite chronique liée à la tuberculose qui l’emportera) puis son retour chez lui à l’automne.
« J’écris des tankas parce que j’aime la vie. J’écris des tankas parce que je m’aime plus que toute chose. Certes le tanka mourra. Je ne veux pas faire de la théorie, il s’effondrera de l’intérieur. Mais il ne mourra pas d’ici longtemps encore. »
C’est une fois de plus pour lui l’occasion d’observer le surgissement temporel des pensées et d’écrire ainsi ce qu’il aime appeler son « journal du mental ».
L’auteur y utilise avec bonheur la ponctuation venue d’occident : points, virgules et longs tirets comme des points de suspension. Une modernité de la forme autant que du fond.
Lors de la lecture, chacun sent la souffrance immense qui lui écrase la poitrine, qui l’épuise :
Quand je respire,
ce son rauque dans ma poitrine.
plus désolé que la dernière bise d’automne.
Le poids de ce livre que je lisais allongé,
fatiguées
je reposai mes mains, et pensai à des choses.
J’ai tenté de me lever,
aussitôt j’ai voulu me rallonger
Mes yeux sans force adoraient cette tulipe !
Mais le bonheur semble parfois surgir du quotidien en famille :
Clappement d’un jeu de volant devant la porte.
Des rires.
L’impression de revenir au dernier jour de l’an.
Appuyé contre ce brasero à l’émail bleu,
je ferme les yeux, j’ouvre les yeux,
et prends soin du temps.
Oubliant l’heure de son gâteau,
du premier étage,
mon enfant observe le va-et-vient de la rue.
Ce recueil est complété par Diverses choses sur la poésie. L’auteur y explique qu’il faut oser transgresser la règle stricte des trente et une syllabes du tanka. « Nous pouvons ainsi contenter la tendresse de ce cœur pour une vie faite d’instants. »
Une poésie touchante, entre révolte, maladie et nostalgie. Un grand poète disparu bien trop jeune !
Plus d’informations sur l’auteur et son oeuvre sur le site de l’éditeur français, Arfuyen, qui le publie.
Wonderful ! A beautiful panel of multi faces of Japan. We can feel many atmospheres by these scenes.
Thank you ! You’re true, we can feel many feelings in his poems.
Alice MONARD