.ekotumi. la chanteuse Jpop qui s’inspire de la mythologie japonaise
On ne le dira jamais assez mais il y a toujours de jolies découvertes à faire à la Japan Expo, surtout du côté des scènes Sakura et Wabi Sabi dédiées plus particulièrement aux arts et traditions et japonaises. Lors de cette édition 2017, la rencontre fut toute musicale avec .ekotumi., chanteuse et compositrice, qui a su saisir une direction artistique dans le vent, moderne et facile d’accès dès la première écoute.
Le chant moderne des arts anciens
La palette artistique de .ekotumi. est large. Elle s’attache à créer des poèmes et des mélodies uniques, en lien avec le sens étymologique des mots, et se produit en concert où chant, danse et parfois théâtre se mêlent. L’artiste melange un son et des arrangements pop avec les instruments traditionnels comme le Kyoto. Elle adapte les récits anciens du kojiki, issus de la mythologie et du folklore japonais, en textes pleins d’émotions portés par une mélodie vocale tantôt entraînante tantôt plus sensible.
.ekotumi. a déjà sorti déjà 4 CD singles et 1 mini-album, et s’est produite au World Art de Dubaï, à Paris avec son spectacle « Amaterasu », au premier festival du film japonais de Florence, à différents salons comme la Japan Expo à Paris et l’Hyper Japan à Londres, au planetarium du temple Tôgan-ji à Nagoya, ou encore lors de la consécration aux dieux dans divers temples shinto comme celui deTsubaki-kishi dans la préfecture de Mie ou au sanctuaire Tenso à Tokyo. Sur la scène Sakura, .ekotumi. offre au public une performance pleine de fraîcheur mais aux accents connus, aidée dans cela par Tsugumi YAMAMOTO au koto, Keita KANAZASHI au taiko et Yasunori KAJINON à la mise en scène.
Rencontre avec .ekotumi.
Pourriez-vous vous présenter à nos lecteurs, et décrire votre carrière à ceux qui ne la connaîtraient pas ?
Je m’appelle .ekotumi. et je chante la mythologie japonaise. Au début, par le passé, j’étais une actrice musicale, et passais des auditions pour des chansons de thèmes de films. Puis pour la première fois, j’ai commencé à penser à m’orienter vers la musique pop et écrire des paroles moi-même. J’ai réfléchi à ce que je voudrais composer et chanter car, je pense, que le chemin le plus simple n’est pas pour moi, même s’il aurait été plus sûr puisque garant d’un certaine popularité. J’ai alors essayé de composer et d’écrire des paroles sur la langue originelle japonaise. Après cela, j’en suis venue à penser à la mythologie, un thème qui même au Japon n’est pas forcément très populaire. J’ai lu le récit du kojiki qui est trop difficile à comprendre à moins de ne pas le lire en détails. Finalement, au fil des phrases, ce que j’en ai ressorti, c’est surtout le côté très humain des dieux, les sentiments et les émotions qui se dégagent de leurs histoires. Je me suis dit que c’est ça que je voulais faire connaître à tout le monde, et c’est pourquoi maintenant je chante de la mythologie japonaise.
Pourquoi choisir le Kojiki parmi les textes fondateurs de la mythologie et du folklore japonais ?
Parce que le kojiki est le plus important et le plus célèbre livre sur la mythologie du Japon. Il en existe d’autres sur les temps anciens, mais c’est le seul qui nous soit parvenu aussi complet, avec tous ces épisodes, là où les autres sont fragmentaires. C’est pour cela que je l’ai choisi. En plus, bien sûr, du fait qu’ayant été écrit il y a 13 siècles environ, ce n’est pas un style moderne, donc tout est très difficile à lire. J’ai alors rapidement choisi de ne me concentre sur un des livres, le plus populaire et le plus facile à comprendre, même si bien sûr j’ai aussi lu les autres.
NDLR : Le Kojiki (« Chronique des faits anciens ») est un recueil de mythes concernant l’origine des îles formant le Japon et des kami, les dieux. Avec le Nihon Shoki, les légendes contenues dans le Kojiki ont inspiré beaucoup de pratiques et de croyances du shintoïsme. Il est généralement considéré comme le plus ancien écrit japonais existant encore de nos jours et est entièrement écrit en langue japonaise (kanjis).
Le Kojiki est une compilation des récits du conteur Hieda no Are par le chroniqueur O no Yasumaro sur l’ordre de l’impératrice Gemmei. Il lui fut offert en 712.
Où puisez-vous vos inspirations ?
A part les mélodies musicales elles-mêmes, que ce soit en peinture ou en sculpture, j’apprécie la créativité, comme à travers les oeuvres de certains artistes très célèbres et respectables. Je pense aussi à la chanteuse et compositrice formidable Akiko YANO et son époux, Ryuichi SAKAMOTO. C’est fou ce qu’ils font !
Le Kojiki est-il célèbre au Japon ?
Non pas vraiment. Toutefois, il y a cinq ans, on en a beaucoup parlé à l’occasion de ses 1300 ans.
Ce n’est pas étudié à l’école ?
Non pas vraiment, car ce texte est entre le mythe, la religion et une essence un peu politique, même si pour ma part je le perçois plus comme de la fantasy. Après la seconde guerre mondiale, le gouvernement japonais a donc décidé de ne plus faire étudier la mythologie japonaise et le kojiki à l’école. On peut en parler un peu avec nos parents, mais pas plus que cela. Franchement, même à l’université, on n’en parle pas tellement je crois. En dehors du titre lui-même qu’on retrouve dans les tests QCM des livres d’histoire, peu de gens savent vraiment dire de quoi ça parle (rires). Comme j’ai fréquenté une école catholique de la maternelle jusqu’au lycée, je ne savais donc pas vraiment que le Japon avait une certaine mythologie. Après cela, des amis m’ont conseillée le kojiki. Et après l’avoir lu, je me suis dit qu’on devrait plus le lire pour étudier la langue japonaise et puis, le kojiki a tellement d’épisodes sur l’ancienne foi du Japon. C’était formidable de voir qu’il y avait tellement d’histoires mythologiques que je ne connaissais pas, mais pas seulement moi, presque tout le monde ignore. Alors, je me suis dit que les gens devraient savoir cela, parce que l’histoire est fantastique, avec ces divinités si humaines, et possède même une touche un peu « kawaii » (mignonne) (rires).
Etait-ce difficile d’extraire les émotions du kojiki pour les transformer en chansons pop ?
Vous aviez dit que vous n’étiez pas habituée à écrire des paroles de chanson auparavant, comment en écrire à partir d’un texte aussi ardu ?
Je n’utilise pas les phrases mêmes du kojiki, j’écris juste avec les sentiments que m’inspirent le kojiki. Ce n’est pas très difficile pour moi. Après juste une lecture, ce n’est pas évident, mais après trois ou quatre lectures, cela me vient plus naturellement à présent, et je m’attache surtout aux sentiments plus qu’aux phrases elles-mêmes.
Nous avons remarqué que pendant votre concert, il y avait une traduction des paroles sur l’écran. Faites-vous cela à chaque performance à l’étranger ?
Oui, j’essaie de le faire dès que je peux. Parfois ce n’est pas possible car il n’y a pas d’écran ou aucun moyen de distribuer des flyers. Alors, je parle beaucoup pour expliquer (rires).
C’était intéressant pour le public français en tout cas, qui bien souvent ne comprend pas le japonais, de saisir le sens des paroles et des émotions que vous vouliez partager avec nous !
Oui bien sûr, j’essaie de faire en sorte que le public apprécie l’atmosphère elle-même et le son mais en même temps, j’ai envie que les spectateurs puissent partager ce que je ressens, ce que je pense, à propos des paroles.
Avant de venir en France, avez-vous joué dans d’autres pays ?
En avril, j’étais à Dubaï, et jeudi prochain, je serai à New York !
Oh ! Et il y avait beaucoup de monde à Dubaï ?
C’était pour le World Art de Dubaï où je faisais juste une sorte de première partie avec, sur la scène principale, des sculpteurs et des peintres. Mais j’espère que le public a apprécié mon concert.
Jouez-vous toujours avec les mêmes musiciens ?
Pour cette Japan Expo, c’était la première fois que je jouais avec ces musiciens. A Dubaï, par contre j’étais seule (rires).
Est-ce la première fois que vous venez en France ?
C’est ma troisième Japan Expo, et la sixième visite que je fais en France !
Avez-vous beaucoup de fans ici, de gens qui vous reconnaissent ?
Oh, j’espère ! (rires) Je n’ai pas un groupe de fans si étendu que cela, mais à chaque fois j’essaie de faire de mon mieux, que ce soit pour le chant ou pour profiter de chaque rencontre.
Sur votre stand dans l’espace Wabi Sabi, vous vendez toute sorte d’accessoires comme des éventails ou des cartes postales. Est-ce que ce sont des objets que vous réalisez vous-même ?
Non je collabore avec ma designer. Pour leur solidité, les cordes Sanada Himo que nous avons choisies, étaient utilisées à l’origine par les samouraïs pour les fourreaux de leurs épées katana. Habituellement, elles servent comme de simples cordes pour fabriquer des chaussures par exemple, mais mon amie a voulu étendre leur utilisation à d’autres accessoires comme des bracelets, ou d’autres accessoires pour les cheveux, comme vous pouvez le voir sur mon stand. Habituellement, les éventails japonais sont plus petits, mais grâce à un de mes contacts, j’en ai des plus grands, que j’utilise notamment pour la danse.
Stand de .ekotumi. à Japan Expo
Est-ce que vous prévoyez d’utiliser d’autres textes classiques, comme le Nihon Shoki ?
Oh vous connaissez ce texte ? (rires). Il y a quelques différences, mais aussi quelques histoires et personnages en commun avec le kojiki. J’aime les deux histoires. Il y a deux ambiances différentes, le kojiki n’a qu’une histoire tandis que le nihon shoki en a plusieurs. Il est parfois difficile de traduire cela en chanson, car il y a beaucoup d’informations (rires). Le nihon shoki m’a tout de même aussi inspirée et marquée à sa façon.
Pensez-vous que grâce à vos chansons, les japonais vont plus s’intéresser à ces écrits ?
Certaines personnes disent qu’après le concert, elles s’y sont intéressées, d’autres, après avoir essayé, disent que ça reste très compliqué à lire. Certains parents aimeraient pouvoir en parler à leurs enfants, mais ne s’y connaissent pas eux-mêmes pour cela. J’aimerais écrire des livres pour enfant, un jour !
Oh vous avez prévu d’écrire des livres pour enfant à ce sujet ?
Oui, mais ça aurait peu de succès peut-être ? (rires)
A la Japan Expo, je chante à propos du sentiment et de la pensée elle-même. Au-delà d’écrire des paroles pour les chansons, j’aimerais écrire une histoire plus facile à comprendre pour les enfants. Ainsi, si cela leur plaît, peut-être auront-ils envie d’aller lire un jour l’original. Un enfant ne peut pas décider par lui-même d’aller lire un livre s’il n’en voit pas l’intérêt ou si ses parents lui disent que ça ne sert à rien. Alors j’aimerais que les paroles de mes chansons aident à rendre cela plus accessible, du moins c’est ce que j’essaie de faire.
Que signifie votre nom, et pourquoi l’entourer de points ?
Premièrement, « Ekotsumi » vient du grec. A l’époque où j’ai choisi mon nom, je ne savais pas que je parlerai un jour de mythologie japonaise, mais j’aime tellement les différentes mythologies ! Alors, j’ai choisi le grec de la fée « écho » (NDLR : une nymphe très prolixe !), qui se dit de la même façon en japonais. Et le japonais « koe » qui signifie « voix » peut aussi être retourné pour donner le mot « eko ». C’est ainsi que s’est formée la première partie de mon nom.
Ensuite, en japonais, « tsumi ageru » signifie « faire un progrès », mais aussi, écrit autrement, il peut signifier le « péché de l’homme», au sens biblique. Je n’ai pas d’intérêt pour les gens parfaits, car chacun a ses propres défauts et péchés, c’est pourquoi j’aime ce mot.
De plus, le mot « tsumi », à l’envers, se dit « mitsu », qui veut dire « miel ».
Donc « ekotumi » peut aussi vouloir dire « voix de miel » ou « miel dans la voix ».
Après, j’ai commencé à chanter la mythologie japonaise, où certains dieux se nomment Wadatsumi (dieu des mers) ou Yamatsumi (dieu de la montagne), et comme le mot « tsumi » revient à chaque fois, je me suis dit que « ekotsumi » pouvait aussi être la voix des dieux ! (rires)
Enfin, au Japon, on compte les traits des kanjis ou des kana. Et « ekotumi », en katakana, nécessite 11 traits (エコツミ), ce qui signifie « progrès ». Je me suis dit que c’était bien, et un professeur des nombres m’a dit que pour un artiste, 13 était le meilleur des nombres. C’est pourquoi, je devais en rajouter deux ! Quelque chose comme « ekotsumiko » (エコツミコ). Ce n’était pas possible, alors j’ai plutôt ajouté deux points (rires).
Qu’avez-vous pensé de cette édition Japan Expo ?
Il y a de plus en plus de monde je trouve, et les spectateurs s’intéressent non seulement à la musique, mais aussi à la mythologie japonaise, alors c’est un bon public pour moi !
Avez-vous d’autres projets à venir ?
J’aimerais créer de nouveaux instruments, inspirés des Haniwa. Je ne sais pas si vous connaissez les Haniwa, ce sont des objets funéraires en terre-cuite qui ont des formes de chevaux ou de personnes souvent et qu’on plaçait dans les tombes, un peu comme les objets funéraires des pyramides égyptiennes.
Merci pour cette interview !
Merci à vous.
Site officiel : https://www.ekotumi.jp/
Interview réalisée avec Jean-Baptiste Bondis, également crédité pour les photos.
Merci à .ekotumi. pour cette jolie rencontre !