[Danse, arts numériques] Hiroaki UMEDA, le réveil des sens

Fin septembre dernier, le Festival BEAU : les équinoxes numériques accueillait à Lille le danseur et chorégraphe Hiroaki UMEDA pour une représentation de deux de ses pièces : Split flow et Holistic strata. Seul en scène, UMEDA livre une véritable performance où il ne cesse de défier les règles élémentaires de la représentation scénique.

Journal Du Japon a assisté à ce spectacle, véritable expérience sensorielle, et a rencontré l’artiste.

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Split Flow ©S20 Hiroaki Umeda official

Sortie de zone de confort

S’asseoir dans une salle de spectacle pour assister à une performance de Hiroaki UMEDA c’est accepter de détacher sa ceinture de sécurité de spectateur lambda, pépère dans son fauteuil où il attend la becquée d’une belle et jolie émotion. Dès les premières secondes, vous êtes rappelé à l’ordre, assistant à la désintégration de cette passivité que vous pensiez, même à votre insu, logiquement acquise, voire due et entretenue.  

Danse, lumière, vidéoprojection et son s’associent parfaitement dans une illusion optique et sonore d’une précision d’horloger et qui vous aspire à l’orée de la transe. Si on ne peut parler d’immersion physique pour nous spectateurs, la fascination opère quand même : le cœur bat plus vite, le yeux s’agrandissent et les oreilles s’ouvrent à un assemblage de sons uniformes tout droit sortis de machines informatiques et industrielles. Si ces quatre éléments – la danse, la lumière, la vidéoprojection et la bande sonore – étaient séparés, ils seraient chacun dans leur coin totalement insupportables, inaudibles, incohérents. Mal calés et mal dosés, ils écraseraient l’audience lui faisant subir un supplice. Ensemble et parfaitement réglés, ils sont d’une force stupéfiante, preuve éclatante de ce qu’est le travail d’artiste.

En ce qui concerne UMEDA, on se demande où se trouvent ses repères parmi ce flot incessant de lumières et de sons : comment compte-t-il ses temps? Comment conserve-t-il l’équilibre?

Quand Split flow, première partie du spectacle, se termine, bousculé dans vos habitudes de spectateur, vous avez cependant l’impression d’avoir acquis une meilleure compréhension du véritable sens du mot performance.

 

Corps et abstraction dans une même danse

Le travail d’Hiroaki UMEDA se situe au croisement de deux mondes : entre danse et art conceptuel, matière et abstraction. Son corps, tantôt mobile, tantôt immobile, tantôt visible, tantôt absorbé dans le décor, matérialise les émotions qu’il désire faire passer à travers l’utilisation du plurimédia. Comme lui est là, le spectateur ne perd pas pied face à ce décor dématérialisé fait d’un assemblage d’éléments abstraits que sont la lumière, la vidéoprojection et le son. Le choc aurait pu être violent et l’objectif du spectacle complètement raté mais le corps, véritable vecteur de sens, axe de liens entre toutes ces composantes, repousse splendidement le désastre.

Car oui, il y a beaucoup de subtilité dans cet environnement froid et brutal. Le corps d’abord qui ondule magnifiquement, presque comme une seconde nature, et qui habille de gestes la lumière, le son et l’espace ou qui s’efface presque pour laisser l’oeuvre dans son entièreté délivrer son impact sur le spectateur. Puis, les détails petit-à-petit sautent aux yeux et aux oreilles. L’espace fermé parfaitement délimité dans Split flow, les jeux de contrastes dans Hollistic strata, entre mobilité et immobilité et ombre et particules de lumière, les bips plus dissonants au milieu de la dissonance sonore. Et les périodes de silence, très présentes dans Split flow (de mémoire), qui si elles détonnent complètement dans un spectacle de danse, nous ramène également à l’instant présent, à la réalité. Elles agissent comme des respirations où paradoxalement, le malaise n’a juste pas assez de temps pour se déployer entièrement. Encore une fois, quel travail de précision.

L’expérience de tels spectacles est des plus sensorielles et ce malgré cette utilisation extrêmement poussée d’éléments abstraits et dématérialisés à l’extrême : on voit, on regarde, on entend, on écoute, on ressent, on sent. C’est à se demander comment ce corps si gracile et si vif à la fois possède un tel pouvoir d’incarnation.

 

 

En marge du festival BEAU : les équinoxes numériques, Hiroaki UMEDA a accepté de répondre à quelques questions.

Journal Du Japon : quand et comment avez-vous débuté dans la danse ?

Hiroaki-Umeda @Shin-Yamagata

Hiroaki-Umeda © Shin-Yamagata

Hiroaki UMEDA : J’ai commencé la danse à 20 ans alors que j’étais étudiant en photographie. J’ai réalisé que la photographie ne me permettrait pas de m’exprimer artistiquement comme je le désirais et cela me frustrait énormément. J’ai alors cherché d’autres formes d’arts pour pouvoir m’exprimer et j’ai commencé la danse.

À quel moment avez-vous croisé la danse et la technologie ?

J’ai commencé la danse au moment où chacun commençait à posséder son propre ordinateur. J’ai donc moi aussi commencé à utiliser mon propre ordinateur pour créer. Cela me semblait la chose à faire, comme une évidence.

 

Un petit mot sur la place du théâtre Nô dans votre processus créatif ?

Il n’y a pas de lien entre mon travail artistique et la culture traditionnelle japonaise. J’ai grandi à Tokyo qui possède sa propre culture, très urbaine et moderne. Et de plus, je ne connais pas la culture traditionnelle, je n’y ai pas été formé. La danse, c’est avant tout de l’expression corporelle et comment exprimer des choses en utilisant le corps comme vecteur.

Split Flow ©S20 Hiroaki Umeda

Split Flow ©S20 Hiroaki Umeda

 

Justement quelle est la place du corps du danseur au milieu de toute la technologie que vous utilisez ?

Dans mon travail, je considère le corps humain comme un objet comme un autre. Il n’est pas, pour moi, l’élément le plus important dans mon travail et il a la même valeur à mes yeux que les autres matériaux que j’utilise tels que la lumière, le son ou la vidéo. Néanmoins, le corps humain utilisé dans une oeuvre artistique possède cette suprême qualité qu’il permet de communiquer directement avec les autres, comme les spectateurs, par exemple.  

Comment travaillez-vous ? Est-ce d’abord la création de la danse puis le travail sur la technologie ensuite ou les deux en même temps ?

J’ai d’abord des images de l’espace. Je dirais que ce sont des images de la tension et de la sensation de l’espace. À partir de cela, je commence le travail de recherche de matériaux, de chorégraphie, celui du son, de la lumière, etc, le tout en même temps. Mais de manière plus pragmatique, c’est le travail sur la composition sonore qui se développe en premier car cette dernière exige un travail de composition et un tempo précis.

Holistic Strata ©S20 Hiroaki Umeda

Holistic Strata ©S20 Hiroaki Umeda

Votre style est très singulier et donne l’impression que vous ne faites aucune concession dessus, un peu comme si vous obligiez le spectateur à quitter sa zone de confort. Justement, quel est la place du spectateur pour vous ?

Ce qui est primordial dans mon travail, c’est de procurer des sensations aux spectateurs à travers leur corps. Et quand je conçois quoique ce soit, tout ce que j’utilise dans mon travail, tous les matériaux, sont là pour stimuler les spectateurs à travers leur corps.

J’ai l’impression que nos sens sont toujours stimulés de manière très classique, très confortable. Moi, je veux casser ces habitudes et briser ce confort offert à nos sens. Je suis convaincu qu’en stimulant un peu plus et plus fortement les sens cela brise cette zone de  confort et ouvre de nouvelles perspectives à nos corps. Je pense que c’est ce que vous avez perçu à travers la description que vous en faites dans votre question.

 

Quelle réception a votre travail au Japon ?

Mon travail n’est pas très connu au Japon, notamment dans le monde de la danse. Le public japonais, dans sa majorité, serait assez perplexe et confus face à mes spectacles qui sont trop expérimentaux, trop éloignés du format classique du spectacle de danse. Le public français, lui, est plus ouvert aux différents formes et styles d’arts en général.

Et si votre danse était un tableau ?

Ce serait une peinture abstraite et non pas une toile figurative.

 

Retrouvez Hiroaki UMEDA via son site officiel.

Nous tenons à remercier Hiroaki UMEDA et son équipe ainsi que l’équipe du Festival BEAU: les équinoxes numériques.

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