Le Pacte de la Mer : Le Manga selon Satoshi KON
Il y a quelques mois, nous nous replongions dans Perfect Blue, premier essai et premier coup de maître de Satoshi KON à la barre de ce long métrage d’animation. Si le médium animé s’est révélé être le parfait véhicule pour le génie de KON, ce n’est cependant pas le premier moyen de création auquel il s’est frotté, puisque qu’il avait auparavant pu se distinguer dans le manga.
La réédition de Kaikisen – Le Pacte de la mer par Pika, dans une très belle édition, est l’occasion de revenir sur la carrière de Satoshi KON en tant que mangaka. En effet, la majorité de son œuvre littéraire est maintenant disponible en France, à l’exception de World Apartment Horror. Il est donc plus que temps de revenir sur ce pan méconnu de son œuvre qui permet de jeter un nouvel éclairage sur la suite de sa carrière.
Fossiles de Rêves : les fondations d’un style
Aimant dessiner, KON se décida à suivre des études d’arts graphiques. Il dit s’être lancé dans le manga par hasard plus que par passion, participant en 1984 au prix Tetsuya CHIBA organisé par Young Magazine. Un prix qu’il va remporter grâce à l’histoire courte : Toriko – Prisonnier, ce qui lui permettra de débuter et de rencontrer Katsuhiro OTOMO, auteur star de la maison d’édition Kodansha et auprès de qui il travaillera comme assistant. Il continuera pendant cette période de publier quelques histoires courtes avant de lancer sa première sérialisation en 1990. L’ensemble de ses histoires courtes, Toriko incluse, sont rassemblées dans Fossiles de Rêves, déjà publié il y a quelques mois par Pika, dans la même collection que Kaikisen – Le pacte de la mer.
La lecture de Fossiles de Rêves révèle une grande variété (science fiction, aventure historique, tranche de vie, fantastique …). On y retrouve l’influence certaine de Katsuhiro OTOMO, et ce dès Toriko. Satoshi KON avait, en effet, été très impressionné par Domû et quelques-unes de ses histoires courtes reprennent l’approche de la science-fiction chère à OTOMO : future proche réaliste et enfants doués de pouvoirs extra-sensoriels.
Le design des personnages aussi rappelle le trait réaliste d’OTOMO. Cependant, ce en quoi Satoshi KON se démarque de son aîné, c’est par l’humanisme qui caractérise ses personnages et que l’on retrouvera par la suite dans les anime de l’auteur comme Millenium Actress et Tokyo Godfathers. Possédant un véritable talent pour rendre vivantes et touchantes les plus simples tranches de vie, KON apparâit comme le chaînon manquant entre un Katsuhiro OTOMO et un Frank CAPRA; talent, de plus, doublé chez lui d’une précision redoutable dans la mise en page/scène.
C’est finalement en 1990 qu’il obtient sa première sérialisation avec Kaikisen, traduite chez nous sous le nom du Pacte de la Mer et publié la forme d’un volume unique.
Le Pacte de la Mer : un aboutissement
La petite ville portuaire d’Amide est en effervescence. Alors que se rapproche la fête des sirènes, célébration censée renouveler la prospérité de la localité et de ses eaux poissonneuses, les esprits s’échauffent face à la modernisation et au bétonnage de la côte par un puissant et peu scrupuleux promoteur. Et si la légende voulant que cette prospérité trouve son origine dans un pacte ancestral noué avec une véritable sirène était vrai ? C’est la question que se pose Yôsuke, descendant de la lignée de prêtres Shinto chargés d’assurer la préservation de « l’oeuf de la sirène », une étrange relique qui attire toutes les attentions ; à commencer par celle du même promoteur dont le complexe touristique menace de rompre le pacte.
Kaikisen apparaît comme un premier aboutissement pour le style de KON, raffiné au fil des histoires courtes publiées pendant les 5 années précédentes. On y retrouve ce trait clair, simple, réaliste et efficace, ainsi que son sens du découpage qui sait jouer avec l’attention du lecteur, alternant rythme tantôt dynamique dans les séquences d’action et tantôt bucolique lors de phases plus contemplatives. On y suit une histoire fantastique mais ancrée dans un quotidien criant de vérité et d’humanisme. Le traitement de la thématique échappe ainsi au manichéisme et les personnages, y compris les antagonistes, sont construits avec un réel soin qui leur confère une profondeur psychologique dont ne s’embarrasse pas la plupart des auteurs. On pense notamment au personnage du Père de Yôsuke, prêtre Shinto hanté par la mort de son épouse, qui se bat pour apporter à la ville une modernité qu’il juge nécessaire, même si c’est au prix de l’âme de la petite ville portuaire et de ses traditions.
Le Pacte de la Mer est une vraie réussite et il n’est pas étonnant que sa publication ait été un succès. Mais tout a un prix et KON avoue lui même dans la postface de l’édition de Pika Graphic : le marathon qu’a constitué cette publication et les excès auxquels il s’est laissé aller ont eu un coup élevé sur sa santé puisqu’il a contracté une hépatite qui a nécessité son hospitalisation.
Suite au Pacte de la Mer, Satoshi KON se lance dans l’animation, travaillant d’abord à la direction artistique des décors de Roujin Z de Katsuhiro OTOMO. Un domaine qui lui permet de mettre à profit son sens du détail et du réalisme et d’acquérir une reconnaissance certaine dans le milieu.
Les années suivantes, il alternera ainsi entre les deux domaines, dessinant en 1991 l’adaptation en manga du film live d’OTOMO : World Apartment Horror (non publiée en France à ce jour). En 1993, il est en charge des décors du long métrage Patlabor 2, réalisé par Mamoru OSHII, une collaboration qui préfigurait son prochain manga.
Seraphim : le choc des ego
Publié de mai 1994 à novembre 1995 dans le magazine Animage, Seraphim est le fruit de la collaboration entre Satoshi KON et Mamoru OSHII.
Dans un futur post-apocalyptique où la population mondiale vit dans la peur d’une étrange épidémie dont l’un des symptômes est l’apparition d’aîles, des mages de l’organisation mondiale de la santé sont envoyés en Asie centrale pour tenter de déterminer les cause de la mystérieuse affliction et l’endiguer.
Sur le papier, Seraphim s’annonçait comme un chef d’oeuvre potentiel avec la mise en scène efficace et les dessins fins et détaillés de Satoshi KON d’un côté, alliés aux thématiques autant politiques que philosophiques et poétiques de Mamoru OSHII de l’autre. La collaboration ne fut hélas pas sans difficulté, les deux auteurs ayant des conceptions radicalement différentes quant à la manière de mener une histoire. KON reproche ainsi au scénario d’OSHII de ne mener nulle part et de n’être qu’une succession sans fin d’expositions sans conclusion.
La série sera finalement suspendue au bout de 16 chapitres et il faudra attendre 2010 pour les voir rassemblés en un volume relié. Seraphim est cependant loin d’être un ratage et il suffit de jeter un œil sur l’édition publiée chez nous par IMHO en 2013 pour s’en assurer. Tant au niveau des dessins que de l’ambiance, l’histoire avait beaucoup de potentiel. Après des débuts plutôt lents, au fur et à mesure des épisodes, KON se réapproprie les idées de OSHII pour les faire siennes et l’histoire commence à décoller.
Une interruption fort triste donc, mais qui allait permettre à l’auteur de se lancer dans son manga le plus ambitieux : OPUS.
Magnum OPUS Interruptus
Satoshi KON étant grand amateur de cinéma, l’un des élément qui l’intéresse le plus dans le medium manga, c’est la manière dont l’assemblage des cases permet de diriger le regard du lecteur vers un climax, en quelque sorte d’en faire le montage à la manière d’un film. Ceux qui lisent l’anglais et veulent en savoir plus sur sa vision du découpage du récit, peuvent consulter le livre Satoshi KON : The Illusionist, par Andrew OSMOND, une passionnante étude de l’oeuvre du maître et de son parcours, parue chez Stone Bridge Press ! C’est sans aucun doute dans Opus que KON fait montre de toute sa maestria en ce qui concerne l’art de la mise en page. Son style y explose totalement, annonçant ce qui constituera sa filmographie.
Le mangaka se lance dans cette nouvelle série avant même la fin de Seraphim, puisque la publication commence dès octobre 95 dans la revue Comic Guys. Il s’agit là d’une authentique mise en abîme dont le personnage principal est un dessinateur de manga quasi alter ego de Satoshi KON.
Chikara Nagai, mangaka de profession, se retrouve propulsé dans sa propre œuvre, à la poursuite d’une planche volée par un de ses propres personnages car celui-ci refuse le sort funeste que lui destine son créateur.
Cette histoire folle est l’occasion pour KON de parler de sa profession, mais aussi d’aborder la confusion entre l’imaginaire et la réalité à travers de magnifiques expérimentations graphiques dans ses planches mettant elles-mêmes en scène des planches qui prennent vie. Des visions et des thématiques qui ne sont pas sans évoquer celles qu’on retrouvera plus tard dans sa filmographie et tout particulièrement dans Paprika. On y retrouve des effets de montages annonciateurs du style qui fera sa réputation.
On tient donc là un méta-manga dont la mise en page vertigineuse, en adéquation totale avec le scénario, constitue une des grandes réussites de KON, qui atteint là une maîtrise impressionnante de son medium. Malheureusement, le titre se voit interrompu en juin 1996 au bout de 19 chapitres, contraint et forcé par l’arrêt pur et simple du magazine qui le publiait. Avant ça, Satoshi KON pourra livrer un dernier chapitre dans lequel il rajoute un troisième niveau à sa mise en abîme; closant ainsi son histoire de manière abrupte mais jubilatoire il se met cette fois littéralement en scène dans son œuvre.
Les 19 chapitres seront rassemblés dans 2 très beaux volumes reliés, édités chez nous par IMHO.
Suite à ces deux beaux projets malheureusement interrompus alors qu’il avait atteint une impressionnante maturité, Satoshi KON laissera de côté le manga. Il participera en 1995 au magnifique segment Magnetic Rose de l’anime omnibus Memories d’OTOMO avant de se retrouver à la barre de Perfect Blue, entamant-là une fulgurante carrière de réalisateur avec le succès que l’on sait.
Il serait cependant dommage de laisser de côté tout ce pan manga de son œuvre qui apporte une dimension complémentaire à son univers, aussi bien dans ses histoires courtes que dans ses séries, achevées ou non. On ne saurait donc trop vous conseiller de vous y pencher. On espère d’ailleurs que World Apartment Horror, dernière pièce du puzzle (avec Yume Miru Kikai, son dernier film laissé en suspens à sa mort), recevra bientôt lui aussi les honneurs d’une édition française.
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[…] récurent chez KON, puisqu’on le retrouve dans Millenium Actress, Paprika et dans le manga Opus). Il ajoute aussi la présence du site internet La Chambre de […]