[Interview] Takuya WADA, de l’animation aux effets spéciaux
Si l’animation a énormément changé au fil de la seconde moitié du vingtième siècle, c’est aussi le cas du cinéma et c’est ce constat qui est au cœur de la carrière de Takuya WADA (Ken le Survivant, Cats Eye). Alors qu’il travaille dans l’animation depuis son plus jeune âge, il fait partie de ces rares personnes qui ont osé se plaindre de la délocalisation de l’animation. Son fort caractère lui vaudra par la suite un séjour en Corée du Sud chez un sous-traitant, deux mois au cours desquels il se découvrira, à travers Star Wars et Alien, une passion pour les effets spéciaux et le maquillage… Nous avons pu profiter de sa présence à Japan Expo pour revenir sur cette période charnière de sa carrière…
À peine âgé de 16 ans, Takuya WADA travaille déjà dans l’animation et vise déjà haut : « je voulais à tout prix devenir directeur de l’animation en moins de quatre ans. Je ne me gênais d’ailleurs pas pour le dire à tout le monde, je voulais que ça se sache. Finalement le studio Production Ashi (aujourd’hui Production Reed, ndlr) travaillait sur Powered Armored Dorvack, et c’est le chara-designer Osamu KAMIJÔ qui m’a proposé de prendre ce poste pour la première fois. J’étais très heureux et j’avais bien sûr un peu d’appréhension parce que c’était un travail difficile. Mais c’était une chance unique, c’est pourquoi je me suis dit que je devais faire de mon mieux et que j’ai fait mon maximum pour y arriver. Ça remonte à plus de 35 ans, et quand je regarde ce que je faisais à l’époque, des fois j’ai un peu honte (rires). »
Il faut dire que les conditions de travail étaient particulièrement dures dans le milieu de l’animation. Cela valait également pour WADA : « j’étais chez TMS Entertainment, et en même temps que je travaillais sur Dorvack, on m’avait chargé de faire la moitié des layouts de Cat’s Eye. Avec ce cumul de travail, j’ai enchaîné les nuits blanches. Je dormais une heure, puis je me réveillais pour retravailler… C’était physiquement assez difficile, mais le fait d’avoir 20 ans, ça aide ! »
Sa carrière dans l’animation a également été pour lui l’occasion de travailler avec un autre invité du salon, Masami SUDA, mais s’ils ont tous deux œuvré sur Ken le survivant, il avoue ne jamais l’avoir vraiment côtoyé : « Masami SUDA travaillait chez lui, et à moins qu’il n’ait une bonne raison de venir, on ne le voyait pas. Pour moi, il fait partie de ces aînés qui ont beaucoup de talent : il pouvait finir un dessin d’une qualité assez folle en moins de trente minutes. J’ai beaucoup de respect pour lui. »
Au bout de quinze ans dans l’animation, il avoue commencer à ressentir une certaine lassitude, et vouloir passer à autre chose : « j’ai touché à de nombreux postes, j’ai été réalisateur, chara-designer… J’avais le sentiment d’avoir un peu fait le tour. L’évolution du marché de l’animation n’y était pas pour rien non plus : avec le format VHS, on attendait une quantité d’animes de plus en plus grande, et la qualité baissait continuellement, ce qui ne me plaisait pas du tout. En plus, en tant que directeur de l’animation, c’était de plus en plus difficile d’obtenir le rendu final désiré, notamment parce qu’il y avait de plus en plus de sous-traitance à l’étranger, ce qui m’empêchait d’apporter des corrections efficaces. Les finitions également étaient faites à l’étranger afin de pouvoir produire plus de quantité. Pour couronner le tout, le timing était extrêmement serré, on avait très peu de temps pour finir chaque épisode. »
Doté d’un fort caractère, WADA n’a pas supporté cela bien longtemps : « À partir d’un certain point, je suis rentré en conflit avec mon producteur, et je lui ai dit, en plaisantant à moitié, que si c’était pour tout sous-traiter à l’étranger, j’irai moi-même en Corée du Sud… Finalement, le lendemain, on m’a tendu un billet d’avion pour la Corée ! (rires) Je suis parti pendant deux mois, c’était une période très stressante pour moi. C’est là que j’ai commencé à découvrir des œuvres cinématographiques comme Star Wars et Alien. À l’origine, j’aime l’animation parce que cela permet de mettre en scène des choses qu’on ne pourrait pas montrer autrement. En voyant ces films, j’ai découvert qu’il était maintenant possible de faire des choses fabuleuses avec les nouvelles techniques cinématographiques, et c’est ce qui m’a poussé vers les États-Unis, afin d’apprendre ces techniques. »
Curieux de découvrir ce que Hollywood pouvait offrir, il a alors passé deux ans à faire des allées et venues entre le Japon et l’Amérique du Nord : « Au départ, j’ai appris auprès de Screaming Mad George, un spécialiste des effets spéciaux japonais, puis avec Steve WANG, qui est capable de créer des créatures à l’apparence puissante, comme le Predator. J’ai beaucoup appris à leur contact. Malheureusement, je n’avais qu’un visa touriste et par conséquent je ne pouvais pas travailler, donc dès que je manquais d’argent, je revenais au Japon pour me remettre à flot et repartir ensuite. »
Takuya WADA était alors très frustré par ce que le Japon proposait en terme d’effets spéciaux : « J’exagère un petit peu, mais à l’époque il n’y avait au Japon que Kamen Rider et Ultraman. Pour le coup, ça m’a un peu déçu, et je me suis demandé pourquoi nous n’étions pas capables de produire des films de la même envergure que les États-Unis. J’ai eu l’occasion d’aller visiter les studios d’ILM, une des filiales de Lucas Film spécialisée dans les effets spéciaux. On aurait dit un monde de rêve, tout était en ordre, il y avait de grands dépôts avec des figurines R2D2, C3PO et plein d’autres choses ! Beaucoup de monde y travaillait, j’ai même pu y croiser Harrison FORD en plein tournage devant un fond vert, et c’est ce qui m’a fait me dire « ah, c’est ce que j’aimerais voir au Japon ». Finalement, je suis rentré, j’ai rassemblé des maquilleurs professionnels japonais et j’ai créé ma propre société d’effets spéciaux. »
Cela l’amènera à participer à des films très connus, comme les deux premiers opus de Ring ou encore Rasen, et quelques séries télévisées. En marge de tout cela, Takuya WADA a également trouvé le temps d’enseigner à l’Institut d’Animation de Yoyogi, qu’il a d’ailleurs dirigé pendant six ans. Mais sa volonté de toucher à tout ne s’arrête pas là, puisqu’il aurait également créé les costumes d’un certain nombre de catcheurs japonais assez célèbres. Une carrière bien remplie, donc, et qui ne semble pas prête de s’arrêter…
Remerciements à Takuya WADA pour sa passion et son énergie, ainsi qu’à son interprète.
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[…] de restituer à quasi l’identique la charge émotionnelle et la grandiloquence des combats du shônen pour ne citer que ce […]