Jun, la voix du cœur : des mots, rien que des maux ?
Après s’être fait remarquer dans quelques festivals d’animation en 2016 et 2017, c’est en septembre dernier qu’arrivait enfin Jun, la voix du cœur, alias Kokoro ga sakebitagatterunda, en DVD et Blu Ray chez Kazé. Né du travail d’un trio talentueux composé d’un réalisateur, d’une scénariste et d’un chara-designer, voici un long métrage touchant sur les premiers amours adolescentes, faits de tourbillons d’émotions, de honte de soi et de la difficile communication avec les autres…
Focus sur cet anime à l’allure classique mais qui dévoile, avec sincérité, une agréable magie.
Une fillette qui par ses mots blessait les gens
Devint muette par l’oeuvre d’un faux prince charmant…
Jun NARUSE, jeune adolescente dans un lycée de Chichibu est muette depuis le jour où ses mots d’enfant ont par accident révélé à sa mère l’adultère de son père. Quand ce dernier, avant de partir, accuse sa fille de n’avoir pas su se taire, l’innocence de l’enfant se brise : un être magique de la forme d’un œuf lui apparaît et lui propose, pour ne plus jamais souffrir ou faire souffrir, de lui jeter un sort : la voilà désormais muette.
Des années plus tard, un imprévu met Jun à l’épreuve : la voilà choisie par son professeur principal pour créer le Comité Régional d’Échange et d’Amitié, qui a pour but de créer avec toute la classe un événement pour la fête annuelle de leur lycée. À ses côtés, l’intrigant professeur a nommé trois autres responsables : Takumi SAKAGAMI, adolescent gentil mais effacé, qui semble ne se lier à personne et qui vit depuis plusieurs années chez ses grands-parents, est accompagné de Natsuki NITOU, élève modèle et amie d’enfance de Takumi, qui semble cacher quelques regrets. A la surprise générale, c’est le peu sociable Daiki TASAKI qui complète ce quatuor : depuis son accident, ce joueur de base-ball sur lequel reposait de nombreux espoirs de victoires en championnat ne sait plus vraiment quoi faire de sa vie, et la frustration en a fait un adolescent pour le moins caractériel.
Cette assemblée hétéroclite risque d’avoir bien du mal à coexister, alors entraîner avec elle toute une classe pour un festival local, n’en parlons pas ! Mais Takumi et Jun vont finir par se rapprocher, et même trouver une faille dans le mutisme de la jeune fille : elle ne peut certes pas parler, sauf au prix d’énormes et douloureux maux de ventre, mais il semble que le chant soit dans ses cordes… Elle a même une très jolie voix ! Leur professeur principal, qui gère aussi les cours de musique, les emmène alors sur une voie inattendue : pourquoi ne pas réaliser une comédie musicale pour la fête de l’école ?
Est-ce que la classe sera d’accord pour s’investir dans un tel projet ? De quoi parlera cette comédie musicale ? Quelles sont les secrets et non-dits qui risquent de remonter à la surface à cause, ou grâce, au chant et à la collaboration forcée de ces quatre adolescents qui peinent à gérer leurs émotions ?
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Des sentiments sous la coquille
Tout part donc de cet œuf mystérieux qui a jeté une malédiction, de ce premier trauma de Jun qui brise son idéal : elle qui rêvait de princesse et de prince charmant comprend que le château en haut de la ville n’est pas celui d’un pays enchanté mais… un love hotel. Triste réalité qui la frappe de plein fouet lors de la séparation de ses parents et l’accusation de son père, son ancien héros, décidément lâche et abject. La culpabilité la pousse alors à l’enfermement, mais si Jun choisit le mutisme, il existe plus d’une façon de fuir ou de s’enfermer. Takumi continue ainsi de parler mais s’efforce toujours de ne se mêler de rien, de ne construire que des relations superficielles tandis que Daiki, le joueur blessé, a construit une autre barrière faite de colère et d’agressivité. La gentille et populaire Natsuki essaye quant à elle d’être la meilleure pour cacher le fait que, un beau jour, elle a été faible et a laissé tomber quelqu’un.
Jun la voix du cœur parle donc de ce premier choc qui finit inexorablement par arriver un jour où l’autre dans notre vie, qui brise notre monde jusqu’ici fait de rêves colorés et d’espoirs. Le film développe son histoire sur la façon de faire face à cette souffrance qui nous a empli de regrets : en ayant agit différemment, qui sait si le monde si chaleureux de notre jeune vie n’aurait pas, après tout, pu perdurer ? Une chose est sûre, il nous est impossible d’envisager un nouveau cataclysme et partager naïvement nos émotions est bien trop dangereux. Notre château enchanté ferme ses portes : plus personne n’entrera, plus personne ne sera blessé.
Mais ne pas partager nos émotions n’est possible que si l’on n’en éprouve pas. Or, l’adolescence c’est tout le contraire ! Dès lors, à la première fissure, des torrents de sentiments refoulés veulent briser notre coquille pour en sortir tous azimuts. Il devient très difficile de ne pas s’emmêler les pinceaux car ils nous entraînent vers les autres, et donc précisément là ou l’on s’était juré de ne plus jamais mettre les pieds. Moins on communique avec les autres, plus il est difficile de communiquer avec eux et donc moins on communique : comment sortir de ce cercle infernal, que l’on met en place pour ne plus souffrir mais qui finit justement par être notre fardeau ?
En poussant ces quatre jeunes gens à diriger un Comité responsable du spectacle de toute une classe, l’enseignant clairvoyant , et un peu joueur, met les étudiants au pied du mur et tente le tout pour le tout pour briser leur solitude respective. Les coquilles ne se briseront pas sans éclats et sans faire quelques œufs brouillés, mais ce chemin chaotique fait partie de la vie et réservera bien des surprises à nos héros… Et autant de rebondissements riches en émotions pour le spectateur.
Jun, la voix du cœur : une comédie musicale
Les amours et amitiés à l’adolescence sont tout sauf un sujet nouveau et tout l’intérêt de ce genre d’œuvre vient donc de la façon de les présenter et de les représenter. À ce jeu, le réalisateur Tatsuyuki NAGAI, la scénariste Mari OKADA et le character designer Masayoshi TANAKA ont fait un excellent travail. Ils s’étaient déjà fait remarquer ensemble, de 2011 à 2013, sur la série puis le film Anohana : The Flower we saw that day, et il semble que ces jeunes quarantenaires ont encore de biens jolies choses à nous montrer.
Dans Jun la voix du cœur, ils proposent une comédie très bien équilibrée et avec plusieurs atouts. La rythmique du scénario est parfaitement travaillée et apporte via une narration prenante ses révélations ou ses revirements. Comme le dit NAGAI : « J’ai trouvé que les événements dans l’histoire de Mme OKADA s’enchaînaient très naturellement.[…] Cette fois, la difficulté a été de faire tenir en deux heures tout le script et ce qui se trouvait entre les lignes. ».
Le choix d’incorporer la musique au récit est également plus complexe qu’il n’y parait, comme l’explique parfaitement la scénariste : « Comme il ne s’agit pas d’une comédie musicale mais d’une histoire où des lycéens en montent une, j’ai cru que la difficulté serait moindre… J’ai été un peu trop optimiste (rires). […] Comme ces sentiments (ceux des personnages, NDLR) déferlent d’un coup dans les scènes chantées, sans lien avec l’ordre chronologique des choses, la plus grande difficulté a été de structurer l’ensemble de l’histoire.»
La musique est en effet un véhicule parfait pour les émotions et elle enrichit à merveille les séquences, en en faisant des moments clés. Pour cela, aussi a-t-il fallu bien choisir les morceaux, mais qui de mieux qu’un amoureux des comédies musicales, dont les parents étaient musiciens et tenait une boutique spécialisée dans le domaine, pour cette tâche ? Riche d’une enfance passée dans cet univers, le musicien MITO du trio CLAMMBON a donc apporté quelques grands classiques du genre : Over The Rainbow, Around The World, La Pathétique, … le spectateur est en terrain connu et fredonnera avec plaisir un morceau ou deux, même après le film.
Enfin, impossible de ne pas évoquer les moments plus comiques ainsi que les touches d’humour qui complètent la palette de couleurs de ce film, le rafraîchissant au passage agréablement. Derrière son mutisme, la craquante Jun exprime énormément à travers son visage et son langage corporel, parfois dans une panique totale mais résolument comique. Leur maladresse et le contraste des caractères, parfaitement incarnés par l’excellent chara-design de TANAKA, font le reste et permettent d’obtenir 120 minutes qui passent sans que l’on s’en aperçoive, et sans qu’aucune scène d’action ne soit nécessaire pour garder le spectateur captif.
À partir d’une thématique classique, Jun, la voix du cœur traite d’un sujet éternel et quasi-universel sans lasser un seul instant. Bien au contraire : la qualité de son scénario, avec juste ce qu’il faut de poésie, sa narration soignée, ses personnages fragilisés mais qui vont toujours de l’avant et enfin sa réalisation sans fausse note notable en font un très agréable moment d’animation. En ces vacances de la Toussaint, si vous cherchez une jolie comédie romantique pour passer un bon moment, n’allez pas plus loin !
Toutes les infos sur le site de l’éditeur Kazé.
3 réponses
[…] Anohana : The Flower We Saw That Day ? Vous allez adorer ce film (qu’on a présenté dans un précédent article) ! Derrière celui-ci, on retrouve une nouvelle fois le studio A-1 Picture, et on n’est pas […]
[…] Je vous remercie d’avoir lu jusqu’au bout et je vous invite à lire cette article du Journal du Japon sur Jun. […]
[…] de Mamoru HOSODA, Mai, mai miracle de Sunao KATABUCHI, Perfect blue de Satoshi KON, ou encore Jun la voix du cœur et L’île de Giovanni sur l’occupation russe d’une île japonaise durant la guerre. […]