[Manga] Tanaka OGERETSU : que l’amour est violent
Jeune mangaka originaire d’Osaka, Tanaka OGERETSU est découverte en 2014 par la maison d’édition japonaise Libre Shuppan qui fait d’elle une artiste rapidement reconnue et appréciée des lecteurs grâce notamment à son style mêlant simplicité et originalité et à ses graphismes aussi réalistes que séduisants.
Elle débarque en 2016 en France aux éditions Taifu avec les one-shots : Love whispers, even in the rusted night, The Proper Way to Write Love et la série : Escape Journey.
C’est aujourd’hui au tour du one-shot : Neon sign amber de paraître sous nos latitudes. Une superbe occasion pour Journal du Japon de faire le point sur cette auteure de talent qui mériterait bien plus de visibilité.
Ses premières œuvres : entre amour, violence et acceptation de soi
Love Whispers, even in the rusted night fut la première œuvre de Tanaka OGERETSU publiée en France. Ce one-shot nous dépeint le portrait d’un homme battu, un choix de thème très audacieux pour une première œuvre car ce sujet reste très peu exploité dans le monde du manga.
L’histoire nous mêle à la vie de Yumi, jeune livreur dans un restaurant. Il sort avec Kan depuis le lycée et leur relation était stable et heureuse jusqu’à leur entrée respective dans la vie d’adulte. Kan se met alors à changer et à frapper Yumi régulièrement, laissant bleus sur bleus. Ne considérant pas la violence de celui qu’il aime comme un problème, Yumi se mure dans le silence et endure la situation. Cependant tout bascule à nouveau quand Mayama, un ancien camarade de collège de Yumi, entre dans le restaurant où ce dernier travaille. Mayama ayant toujours eu des sentiments pour Yumi, se rend rapidement compte de sa détresse et décide de tout faire pour l’aider.
Même s’il n’est pas nécessaire d’avoir lu Love Whispers, even in the rusted night pour lire The Proper Way to Write Love, sorti en 2017, on retrouve dans ces deux one-shot un même personnage qui figure d’ailleurs sur la couverture du second suscité, tel l’incarnation de thème principal développé au fil de ses pages.
The Proper Way to Write Love s’ouvre sur l’histoire de Hiromu. Lycéen de 1ère année, introverti et impopulaire, Il décide de rejoindre le club de jardinage du lycée qui, malheureusement pour lui, est le repère des voyous de son établissement. Il y vit l’enfer pendant trois ans. Quelques années plus tard, c’est un Hiromu métamorphosé qui occupe les pages : l’introverti et impopulaire adolescent laisse désormais place au fier et séduisant employé de salon de coiffure. Un jour, il rencontre de nouveau Natsuo, l’un des voyous du lycée qui l’avait tant fait souffrir, et décide de s’en venger en élaborant un piège très sournois.
Ensuite, la lecture enchaîne sur une seconde histoire dans laquelle nous retrouvons Kan, l’ex petit copain de Yumi (Love Whispers, even in the rusted night) après leur séparation. Kan ne fait plus place à l’amour dans sa vie par peur de redevenir la personne qu’il était quand il sortait avec Yumi. Suite à une soirée trop arrosée, il commence une relation purement sexuelle avec Shuuna, un collègue de travail. Mais c’est sans compter sur les sentiments de Shuuna qui aimerait vraiment que leur relation devienne sérieuse.
Alors que Love Whispers, even in the rusted night évoquait la violence conjugale au sein d’un seul et même couple, The Proper Way to Write Love comprend deux histoires distinctes entre vengeance et amour mais ayant le même noeud narratif comme point de départ, à savoir un passé douloureux, difficile à oublier et empêchant d’aller de l’avant pour entamer une vraie relation.
Enfin, nous ne pouvions finir que par Escape jouney, la première série d’OGERETSU sortie en France, et qui comprend aujourd’hui deux tomes. Il s’agit de l’histoire de deux étudiants, Naoto et Taichi, anciennement amants au lycée et séparés depuis. Naoto qui avait réussi à tourner la page, se voit forcer de côtoyer à nouveau Taichi qui a choisi d’étudier à la même université que lui. Au fil des pages, Naoto retrouve petit-à-petit l’ami qu’il avait perdu mais aussi l’amant, retombant amoureux de Taichi. Peuvent-ils tout recommencer ? Surmonter les erreurs commises dans le passé ?
Scènes explicites et psychologie développée
Aux premiers abords, les œuvres d’OGERETSU peuvent paraître dures à cause des sujets forts et encore peu exploités qu’elles traitent. L’auteure est inspirée par les rapports violents et conflictuels. Mais derrière ses conflits, il y a tout une trame psychologique à écrire, à développer et à faire évoluer.
Entre amour et violence, il n’y a qu’un pas.
En effet, dans Love Whispers, even in the rusted night, les scènes où Yumi subit les violences gratuites de Kan sont bien présentes. Par ce biais, l’auteure développe la psychologie de ses personnages et dépeint l’impact de cette violence sur l’être humain, autant du point de vue de la victime que de celui de son entourage qui, soit ferme les yeux soit veut aider mais sans savoir comment s’y prendre.
A travers le personnage de Kan, OGERETSU Kanata s’attarde également sur l’autre versant du couple ou duo de protagonistes, le bourreau. Dans The Proper Way to Write Love, la peur de Kan de redevenir l’homme brutal qu’il était, entraînant ainsi la crainte d’ouvrir son cœur à quelqu’un et de blesser à nouveau celui qui franchira le mur qu’il a construit pour se protéger, est quasi palpable. Ses regrets le rongent et tant qu’il ne tirera pas un trait sur son passé, il ne pourra profiter pleinement de sa relation amoureuse.
Ainsi, on l’aura compris, The Proper Way to Write Love aborde les conséquences dans le présent des violences physique mais aussi psychologique subies ou infligées dans le passé. Cela passe dans la trame narrative par des voies parfois inattendues, comme, par exemple, la vengeance de Hiromu contre Natsuo, son ancien démon. Le jeune coiffeur veut tellement le faire souffrir pour tout ce qu’il lui a fait subir au lycée qu’il élabore pour se faire, un plan machiavélique. Heureusement, malgré ses envies de vengeance, Hiromu découvre la vraie personnalité de Natsuo qui n’est autre qu’un garçon gentil, charmant et un peu naïf. L’amour est donc toujours possible.
L’aspect psychologique de The Proper Way to Write Love est encore plus réussi que le précédent, Love Whispers, even in the rusted night, grâce en particulier, à ce traitement narratif, fin et réaliste, du poids du passé.
Homosexualité et Famille…
Escape journey quant à lui, se focalise davantage sur l’aspect psychologique du couple homosexuel et de la conception d’une famille. L’œuvre rappelle à son lectorat qu’être en couple, c’est avant tout s’aimer. Trop souvent dans les romances gays, le sexe est placé au centre de l’histoire ce qui empêche d’y voir une dimension plus mature. Ici, la relation est plus réaliste, plus proche du quotidien d’un couple. C’est à travers les protagonistes et les personnages secondaires que l’auteure nous amène à nous questionner sur notre perception de la représentation d’une relation homosexuelle.
Tanaka OGERETSU nous surprend en montrant les différentes facettes des difficultés qu’une relation homosexuelle rencontre dans la vie de tous les jours. Entre Naoto qui est toujours entouré et Taichi qui est taciturne et ne parle jamais de ses sentiments, les disputes fusent alors que lorsqu’ils étaient en couple, ils ne se disputaient jamais. Pourtant, impossible de rester de simples camarades. Quel nom faut-il donc mettre sur leur relation : sont-ils amants ? Sexfriends ? Réellement amoureux l’un de l’autre ?
Ce sont des questions que se pose frèquemment Naoto, qui voudrait être la « famille » de Taichi. Malheureusement, Naoto pense que c’est impossible parce que Taichi est un homme et qu’il ne lui apportera jamais ce qu’une femme pourrait lui donner. Mais fonder une famille signifie-t-il forcément procréer ?
De son côté, Taichi se soucie peu du regard des autres et est heureux du moment qu’il est avec celui qu’il aime. Ce qu’il désire au fond de lui, c’est vivre sa relation au grand jour. Or, Naoto ne semble pas prêt à affronter le regard de la société. De la même façon, annoncer son homosexualité à ses proches et quelque chose de très difficile : il faut prendre sur soi, se faire confiance et croire en son couple.
C’est ainsi que l’auteure met le thème de l’homosexualité en avant sous toutes ses facettes et avec un grand réalisme.
Force expressive et finesse psychologique du dessin
L’autre point fort de Tanaka OGERETSU est la qualité de ses éléments graphiques qui se marient parfaitement avec les sujets qu’elle aborde. Elle infuse à son trait, un réalisme parfait qui met en exergue les relations entre ses personnages et fait ressentir toute sorte d’émotions aux lecteurs. Les expressions qu’elle dessine à ses protagonistes nous permettent de déchiffrer les sentiments qu’elle veut transmettre. Avec un tel trait, chacun de ses personnages possède son petit quelque chose en plus et tous ont un côté attachant avec leurs petites mimiques, défauts et comportements.
La mangaka arrive vraiment à clairement retranscrire par son dessin l’évolution des sentiments qui habitent ses protagonistes, que ce soit de la culpabilité, de la rédemption, de la difficulté de s’accepter ou de s’assumer. La justesse et le réalisme de ses coups de crayons ne sont aucunement discordants avec le style assez « doux » qu’elle a choisi pour représenter les scènes érotiques, violentes ou tristes. Ajoutons à cela pour conclure, des décors tout aussi bien travaillés que ses personnages, et nous avons là un chef d’œuvre visuel.
Par contre, attention, notons que les scènes de sexe sont présentes dans le travail de Tanaka OGERETSU et, de plus, détaillées (ce qui pourrait déplaire aux fans du genre yaoi).
Entre violence, érotisme et tendresse, Tanaka OGERETSU arrive à nous surprendre et à nous séduire en quelques pages. Elle apporte incontestablement un côté très réaliste à ses œuvres et insuffle de cette manière, une originalité plus que bienvenue dans le genre yaoi. Elle applique une profonde réflexion à ses sujets les traitant avec maturité et sérieux. Ces œuvres sont magnifiques, autant par leur qualité graphique que par celle des scénari touchants et justes. Il est ainsi clair que tout est réuni pour produire de beaux mangas face auxquels il est impossible de rester insensible.
Nous pouvons nous attendre à ce que le dernier titre de Tanaka OGERETSU, Neon sign amber, qui vient de paraître en France toujours chez Taifu, soit dans la lignée de ses prédécesseurs. Dans ce nouveau manga, les problèmes de société que doit affronter la communauté homosexuelle, l’acceptation et l’estime de soi seront les thèmes principaux. Dans un registre qui parait plus léger, la mangaka sera aussi à l’honneur en janvier 2018 avec Yarichin Bitch Club, sa nouvelle série à succès dans laquelle un groupe de 5 lycéens follement délurés et décomplexés vous y attendent, entre comédie et érotisme.
À vous maintenant de découvrir l’auteure, de feuilleter ses mangas et puis de venir nous parler de votre titre préféré en commentaire !
1 réponse
[…] Super article qui parle de son oeuvre […]